La mémoire de la Résistance : lieux, acteurs, formes et conflits

Par la pratique d'un combat dispersé et mobile, la Résistance n’a ignoré aucune partie du département de l'Yonne. Les résistants sédentaires (individus, familles, groupes) étaient partout, les petits maquis se déplaçaient beaucoup, les accrochages furent multiples, la répression fut intense. Cette réalité multiforme explique que les lieux de mémoire et les cérémonies commémoratives soient très nombreux, bien que souvent modestes.

Représentants de l’État, élus, collectivités territoriales et surtout associations d'anciens résistants, organisent des commémorations nombreuses qui inscrivent la mémoire dans le tissu social. Autant que la Résistance, ce sont les résistants que l’on honore ; ce sont les hommes et les femmes qui se sont engagés, qui se sont sacrifiés auxquels on pense d’abord. Ces lieux, ces cérémonies, traduisent dans leur modestie l’ancrage populaire de la Résistance de l’Yonne.

La présence de plaques, stèles et monuments, la fréquence des commémorations et le grand nombre des associations ne sont pas des réalités spécifiquement icaunaises. Mais des conditions locales spécifiques s'y ajoutent pour renforcer la mémoire dans ce département :  le rôle de la presse locale, partiellement issue de la Résistance ; l'investissement important dans le travail de mémoire de quelques anciens résistants jusqu'à leur mort récente ; l'influence majeure des ouvrages écrits par un ancien résistant communiste, largement diffusés dans le département et créateur d'une mémoire communiste sélective.

Dans l'Yonne, l'influence politique du Parti communiste a beaucoup diminué dès les années 1950, et c'est la droite qui domine depuis lors dans le département. Cependant, l'influence mémorielle du PCF est restée très forte, et très largement supérieure à celle de la mémoire gaulliste. Cette mémoire communiste s’appuyait sur des associations (l'ANACR principalement), des commémorations, des cérémonies, des articles de presse, des publications. Elle a imposé de fait une interprétation de la Résistance qui devint une évidence historique quasi consensuelle jusqu'aux années 1990.

Les recherches entreprises par les historiens de l'Association pour la Recherche sur l'Occupation et la Résistance dans l'Yonne et leur diffusion par des articles, des colloques, des livres, un cédérom, des expositions, apparut aux tenants de la mémoire communiste comme une opération qu'ils qualifièrent de « révisionniste », d'anticommuniste et de falsificatrice. Ces tensions, révélatrices des relations nécessaires mais difficiles de l'histoire et des mémoires constituées, ne nous conduisent pas au pessimisme et ne nous font pas oublier les bonnes relations globales avec la plupart des anciens résistants qui nous ont soutenu et ont admis notre démarche, considérant d’ailleurs souvent que nous étions ceux qui, par nos travaux, porteraient désormais leur mémoire.

Auteur(s): Equipe de l'Yonne

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Une mémoire multiforme enracinée dans l'espace haut ▲

Des plaques commémoratives, des stèles et de petits monuments sont implantés dans les rues des villes et des villages de l'Yonne, sur les bords des chemins et des routes, et jusqu’au fond des bois, qui rappelent les combats de la Résistance et des maquis. Combat dispersé et mobile, la Résistance n’a ignoré aucune partie du département. Les résistants sédentaires (individus, familles, groupes) étaient partout, les petits maquis se déplaçaient beaucoup, les accrochages furent multiples, la répression fut intense. Cette réalité multiforme explique que les lieux de mémoire et les cérémonies commémoratives soient aussi nombreux, bien que souvent modestes.

Certains de ces lieux commémoratifs sont dédiés à la mémoire d'un espace de résistance, d'autres à la mémoire d'un groupe ou d’une organisation de résistance. La plupart des plaques, stèles et monuments sont destinés à honorer individuellement la mémoire des résistants et sont situés sur le lieu de leur mort. Il arrive que l'appartenance à une organisation ou à un maquis soit indiquée, mais dans la plupart des cas, elle n'est pas mentionnée, sans doute pour signifier que l’engagement de ces résistants était essentiellement patriotique.

Il arrive enfin que des plaques soient apposées là où les résistants sont nés, ont vécu, ont exercé leur métier, marquant ainsi l’enracinement de la Résistance et la volonté des collectivités et des populations de revendiquer leur appartenance à la Résistance.

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Une mémoire transmise par des acteurs multiples haut ▲

Divers acteurs ont participé et participent encore à la transmission de la mémoire de la Résistance, depuis l'immédiate après-guerre. Les représentants de l'État, les collectivités locales et les élus sont institutionnellement impliqués. Le préfet, les sous-préfets d'Avallon et de Sens, ou leurs représentants, ont un rôle de représentation, participant à des actions diverses ou présidant les commémorations les plus importantes. Le conseil général de l'Yonne a soutenu et subventionné de nombreuses initiatives relatives à l'histoire et à la mémoire de la Résistance, de même que plusieurs municipalités et collectivités locales.

Les nombreuses associations d’anciens résistants et d'anciens maquisards interviennent aux côtés de celles d'anciens déportés et d'anciens combattants de la Ire Armée avec, le plus souvent, la volonté de défendre des mémoires particulières, même si, dans certaines circonstances, elles se retrouvent lors d’une cérémonie importante.

Dans le département de l'Yonne, de manière plus spécifique, la presse locale - partiellement issue de la Résistance - quelques anciens résistants (jusqu'à leur mort récente) et les ouvrages de Robert Bailly, édités et diffusés par l'ANACR, ont joué un rôle essentiel pour perpétuer et transmettre la mémoire de la Résistance.

Auteur(s) : Equipe de l'Yonne

Les commémorations : une mémoire partagée haut ▲

Les très nombreux lieux du souvenir sont presque tous entretenus et sont le centre de modestes cérémonies de commémoration, à l’initiative des associations d’anciens résistants, des amicales des mouvements, des amicales de groupes, etc. Elles bénéficient, dans la plupart des cas, du soutien des municipalités, soucieuses de maintenir dans leur village une certaine unité entre les générations, entre les anciens habitants et les nouveaux. Pour l'essentiel, elles s’étalent sur six mois, d’avril à octobre, avec une apogée pendant l’été, ce qui correspond à la période qui va du débarquement de Normandie à la libération du département.

Si les modalités, le contexte, et l'assistance peuvent changer, les même grands moments structurent chaque cérémonie, en quelque lieu qu'elle se déroule et quel que soit l'organisateur. Les cérémonies les plus importantes sont liées aux événements les plus marquants, aux groupes les plus structurés ou aux résistants qui furent les plus charismatiques.

Toutes ces cérémonies ont été, et sont parfois encore, des commémorations au sens plein du terme : l’occasion pour tous les anciens camarades de lutte de se retrouver entre eux, sur les lieux mêmes où ils avaient combattu, où certains de leurs camarades avaient trouvé la mort.

Ces cérémonies, à la fois solennelles, émouvantes et intimes, permettent de comprendre que ce sont des individus, des hommes et des femmes, qui ont fait la Résistance, qui se sont engagés, qui parfois se sont sacrifiés.
Lieux du souvenir et cérémonies ont traduit dans leur modestie l’ancrage populaire de la Résistance. Sans les anciens résistants, les cérémonies changent nécessairement de sens.

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Une mémoire communiste longtemps dominante haut ▲

Le Parti communiste était peu influent dans l’Yonne avant la Seconde Guerre mondiale, mais il est devenu un parti puissant à la Libération. Par la suite, son influence politique décrut fortement, mais son influence mémorielle resta longtemps très forte, dominant largement une mémoire gaulliste, demeurée beaucoup plus confidentielle. Cette mémoire s’appuyait sur des associations, des commémorations, des articles de presse et des publications. Elle imposa de fait une interprétation de la Résistance qui finit par être considérée par beaucoup comme une évidence historique.

La mémoire communiste a été construite par le Parti dans les années d'après-guerre. En organisant à Auxerre une grande cérémonie funéraire, le 9 septembre 1945, en présence de Maurice Thorez, le PCF construit son image d’initiateur, d’organisateur et d’animateur de la Résistance icaunaise. Par la pose d'une plaque commémorative à Auxerre, le 1er septembre 1974, il parvient à faire graver dans le marbre ce qu'il voudrait que chacun considère comme un fait historique établi : les communistes auraient été les premiers résistants de l'Yonne, et ce, dès le 1er septembre 1940.

Cette mémoire communiste se renforce dans les années suivantes par la large diffusion des ouvrages de Robert Bailly. Publiés dans un département où aucun travail historique d’ensemble n’avait été réalisé, ces livres, d'une grande richesse documentaire, rencontrèrent un réel succès, contribuèrent à diffuser une histoire communiste de la Résistance dans l’Yonne et devinrent la référence quasi unique.

Auteur(s) : Equipe de l'Yonne

Ecrire cette histoire dans un département imprégné de mémoire haut ▲

Dans l'Yonne, comme partout en France, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale a d'abord été celle de la Résistance, et elle a d'abord été faite par les résistants eux-mêmes. Les premiers correspondants départementaux du Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale étaient d'anciens résistants, qui avaient vécu les années noires et disposaient de réseaux leur permettant de recueillir des témoignages. Au début des années 1970, une nouvelle génération d'historiens entre en scène, les correspondants du Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale ne sont plus d’anciens résistants, et le champ de la recherche s'élargit au-delà de la Résistance.

En 1988, la fondation de l'ARORY, Association pour la Recherche sur l'Occupation et la Résistance dans l’Yonne, marque un moment essentiel dans l'histoire départementale de la Seconde Guerre mondiale. Elle regroupe d'anciens résistants qui l'avaient été dans des organisations très diverses, communistes, non communistes et anticommunistes, et des professeurs d'histoire engagés dans des recherches historiques. Elle est ainsi le lieu d'une difficile mais fertile coopération entre résistants et historiens.

La recherche historique sur l'Yonne dans la Seconde Guerre mondiale connut un grand développement dans les années 2000, avec la réalisation en 2004 du cédérom La Résistance dans l'Yonne, puis la publication en 2007 du livre Un département dans la guerre. Occupation, Collaboration et Résistance dans l’Yonne.

À mesure que la recherche s'approfondissait, le champ des connaissances s'élargissait, de plus en plus fondé sur un travail dans les archives, et les réalités historiques mises en évidence se renouvelaient. Sur certains points d'histoire, la recherche contredisant la mémoire, on entra dans le temps des tensions et des conflits.

Auteur(s) : Equipe de l'Yonne

Une mémoire qui reste vivante haut ▲

Malgré la disparition des anciens résistants, la mémoire de la Résistance reste vivante dans l'Yonne. Les années 2007 à 2014 ont vu la pose de stèles et de plaques, la construction de monuments, l'organisation de cérémonies, qui en sont la preuve. À cet égard, le dynamisme est sans doute le plus évident dans le Sénonais et la forêt d'Othe, là ou l'investissement de militants locaux de la mémoire est le plus grand.

Dans l'Aillantais et en forêt d'Othe, les historiens de l'ARORY ont participé aux côtés des municipalités, des élus locaux, des associations de randonneurs, etc., à la création de sentiers de randonnées pédestres, jalonnés de panneaux explicatifs, « sur les pas des maquisards ».

S'il en était besoin, le caractère vivant de la mémoire de la Résistance est confirmé par le succès des randonnées animées et organisées par l'ARORY. Depuis 2013, et chaque année au mois de juin, des centaines de personnes ont participé aux randonnées proposées dans la région d’Aillant-sur-Tholon et de Joigny. Ces randonnées qui intègrent des évocations théâtrales sont l'occasion d'un solide apport de connaissances sous une forme agréable, et traduisent un net rajeunissement du public qui y prend part.

Auteur(s) : Equipe de l'Yonne