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La "déclaration des 27" ou "déclaration Badie"

Légende :

Vincent Badie, député, prit l'initiative de rédiger un texte s'opposant aux pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Genre : Image

Type : Manuscrit

Source : © Bibliothèque de l'Assemblée nationale Ms 1696 Droits réservés

Détails techniques :

Document manuscrit recto-verso

Date document : 10 juillet 1940

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Auvergne) - Allier - Vichy

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Analyse média

Transcription :

"Les parlementaires soussignés, après avoir entendu la lecture de l'exposé des motifs du projet concernant les pleins pouvoirs à accorder au maréchal Pétain, tiennent à affirmer solennellement :

— qu'ils n'ignorent rien de tout ce qui est condamnable dans l'état actuel des choses et des raisons qui ont entraîné la défaite de nos armes,
— qu'ils savent la nécessité impérieuse d'opérer d'urgence le redressement moral et économique de notre malheureux pays et de poursuivre les négociations en vue d'une paix durable dans l'honneur.

A cet effet, estiment qu'il est indispensable d'accorder au maréchal Pétain qui, en ces heures graves, incarne si parfaitement les vertus traditionnelles françaises, tous les pouvoirs pour mener à bien cette oeuvre de salut public et de paix. Mais se refusent à voter un projet qui non seulement donnerait à certains de leurs collègues un pouvoir dictatorial mais aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain. Les soussignés proclament qu'ils restent plus que jamais attachés aux libertés démocratiques pour la défense desquelles sont tombés les meilleurs fils de notre patrie."


Contexte historique

Le 16 juin 1940, Philippe Pétain, maréchal de France, nouveau président du Conseil, demande l'armistice pour mettre fin à la déroute militaire mais entrevoit déjà une révolution culturelle. Comme Hitler laisse la Wehrmacht marcher sur Bordeaux où s'est réfugié le gouvernement, on envisage, avant d'y renoncer, qu'une partie de la classe politique gagne l'Afrique du Nord. Dans la confusion générale, le Massilia, un transatlantique, emmène déjà un sénateur et vingt-six députés résistant au défaitisme ambiant, dont Daladier, Mandel et Mendès France. Mais, à Casablanca, puis à Alger, les parlementaires sont placés sous surveillance ou poursuivis, voire empêchés de revenir pour le vote du 10 juillet.

Philippe Pétain, chef d'un gouvernement désormais installé à Vichy, s'intéresse relativement peu aux institutions. C'est Laval qui conçoit le projet d'amener les parlementaires à se saborder ; il cherche à se rendre indispensable, pour mener la grande politique étrangère qui passe désormais selon lui par la collaboration franco-allemande. D'abord sceptique, Pétain lui donne carte blanche. Le 9 juillet, les deux Chambres votent à la quasi-unanimité qu'il y a « lieu de réviser les lois constitutionnelles ». Et le 10, dans le décor insolite de la salle de théâtre du Grand Casino, c'est la mise à mort de la République. Le projet de loi tient en un seul article : « L'Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à effet de promulguer [...] une nouvelle Constitution de l'État français ». Abasourdis par les événements, alors que les ténors sont absents ou se taisent, les parlementaires se rallient à Laval qui alterne promesses et menaces. Par un vote massif, cinq cent soixante-neuf députés et sénateurs enterrent la IIIe République.

Deux groupes de parlementaires ont tenté de faire la part du feu. Des anciens combattants avec un texte confiant tous pouvoirs à Pétain sans lui donner un blanc-seing, mais ils le retirent. Une « déclaration » dite « des 27 », souscrivant à l'esprit de repentance, confirmant l'appel à Pétain « pour mener à bien cette œuvre de salut public et de paix », mais excluant nettement la disparition du régime républicain, doit être lue en séance par son rédacteur, Vincent Badie, radical-socialiste élu à Lodève. Il est physiquement empêché par un Lavalien de gagner la table érigée en tribune, pour défendre son texte, avant que soit votée la clôture de la séance. Il évoquera plus tard la tension de l'auditoire au moment où il s'apprêtait à lire son texte : " L'auditoire était déchaîné. Mon cœur se mit à battre comme si j'allais défaillir. J'allais accéder à la tribune quand on m'a empêché de l'atteindre. Le député Fernand Bouisson m'a pris par le pan de la veste et, avec l'aide des huissiers, m'a fait descendre de l'estrade."

Vingt-cinq de ces vingt-sept parlementaires font partie des quatre-vingts (3 ex-communistes, 36 SFIO, 27 radicaux, 10 modérés et démocrates chrétiens, 4 non-inscrits) qui refusent de voter les pleins pouvoirs à Pétain et donc d'adhérer au nouveau régime. Le lendemain, Pétain s'octroie les pleins pouvoirs. « L'État français » est né.


Jean-Pierre AZEMA. Extrait de Mémoires de France, sous la direction d'Emmanuel de Waresquiel. Ed. L'Iconoclaste, octobre 2006.
[en ligne sur le site de l'Assemblée nationale]

Pour en savoir plus : Sagnes Jean. "Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui dirent « non » à Vichy le 10 juillet 1940". In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 38 N°4, Octobre-décembre 1991. pp. 555-589.
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1991_num_38_4_1607