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Jamais deux sans trois de Louis Lextrait

Légende :

Témoignage, non édité, de Louis Lextrait, prisonnier de guerre ardéchois entre juin 1940 et novembre 1943. Il a tenté à trois reprises de rejoindre la France, la troisième évasion a été la bonne.

Genre : Image

Type : Témoignage

Source : © Archives dép. Ardèche 21 J 361 Droits réservés

Détails techniques :

ouvrage de 47 pages, format A4, avec cartes, photographies, lettres d'attestation

Date document : janvier 2000

Lieu : France

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Analyse média

Auteur : Louis Clément LEXTRAIT ( 1915-2001 )
Il nait le 1er avril 1915 à Albon d’Ardèche. Fils posthume de Eugène Louis Lextrait mort pour la France le 20 août 1914 de blessure de guerre lors de la bataille de Lorraine (acte transcrit le 17 septembre 1920 à Saint Genest Lachamp, sa commune de naissance le 18 mars 1889), Louis Lextrait est adopté par la Nation le 19 mai 1927. En octobre 1935, il s’engage pour deux ans et sert au 28e régiment du génie. Rappelé le 26 août 1939, il est fait prisonnier de guerre (PG) à Saint Die (Vosges) le 25 juin 1940. Il tente à trois reprises de s’évader et de rentrer en France, ce qui explique le titre de son témoignage. Ce n’est qu’à la troisième tentative qu’il réussit et se cache d’abord chez sa tante et son oncle à Loriol dans la Drôme puis à Lyon dans la famille d’ Eliane sa future femme. Son itinéraire pendant cette période de la Deuxième Guerre mondiale explique ses différentes décorations : médailles des évadés, de Rawa Ruska, de la déportation et de l’internement, croix du combattant volontaire de la Résistance et croix de guerre 1939-1945. Après guerre, il est militaire de carrière du 1er mars 1945 au 19 février 1957 et sert en Allemagne, en Extrême Orient, plus particulièrement en Indochine. Retraité, il revient à Albon d’Ardèche dont il devient premier adjoint le 19 mars 1977 puis maire le 13 mars 1983. Il décède le 3 avril 2001 à Privas.

Analyse
A partir des notes de Louis Lextrait, sa petite fille a réalisé en janvier 2000 ce tapuscrit de 47 pages format A4. Trois chapitres, du plus court au plus long, le composent : une...,.. et deux..., ..et trois… ! Des cartes de ses itinéraires lors de chacune de ses trois tentatives d’évasion accompagnent le texte ainsi qu’une carte localisant Rawa Ruska et ses différents Kommandos et un schéma de son trajet dans le train de Mâcon à Valence afin d’échapper à un contrôle allemand le 6 novembre 1943. Parmi les autres documents se trouvent quelques photographies et des extraits d’archives de cette période, trois lettres attestant que Louis Lextrait était bien un prisonnier de guerre ayant tenté puis réussi à s’évader et pour finir la photocopie de l’obtention de la médaille des évadés et de la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Est-ce la rencontre 55 ans après son évasion d’un ami de détention à Stettin qui est à l’origine de son témoignage écrit un peu plus d’un an avant son décès ? Tout au long de ce récit, Louis Lextrait fait part de son désir, de cette envie ancrée au plus profond de son être, de reconquérir sa liberté et pour y parvenir des réserves de nourriture faites et de l’entretien de sa forme physique. Ainsi s’explique la phrase mise en exergue « La liberté n’est pas une chose dont on vous fait cadeau, qu’on ne va pas mendier aux autres. La liberté, il faut la prendre ».


Contexte historique

Louis Lextrait fait partie de ces milliers de prisonniers de guerre français envoyés en Allemagne. Combien d’ardéchois sont dans cette situation ? D’après un rapport des renseignements généraux du 19 mai 1945 ils sont 4 050 ( AD07 72 W 552 ). Le 8 juin 1945 le comité départemental de libération fournit le chiffre de 3 651 prisonniers rentrés et 2 200 en attente ( AD07 70 J 16 ).

Enregistré sous le matricule 1 329, il appartient au stalag VC 342 ( pour les hommes de troupe) et travaille d’abord dans un kommando paysan dans le Wurtemberg. Au bout de six mois de captivité, il est envoyé à Nagold dans la Forêt Noire où il est employé dans une petite usine de mécanique de précision pour l’aviation et logé dans une baraque Adrian. Ayant appris la proximité, environ 100 km, de la Suisse ( enclave de Schaffhausen ) il décide avec deux camarades : SEGAILLAT et FELIX de tenter l’aventure les premiers jours de juin 1941, marchant la nuit, se cachant le jour. Ils sont arrêtés le 6e jour en franchissant le pont sur le Danube à Donaueschingen , renvoyés au stalag, mis à l’écart pendant une semaine, dans une baraque isolée et entourée de barbelés, avec une douzaine d’autres évadés repris et des prisonniers auteurs d’atteintes au peuple aryen. Avec ses deux compagnons d’évasion ils sont jugés par le tribunal civil de Baden Baden [ près du Rhin ], condamnés à 20 jours de forteresse ( cellule de 3 m sur 2, petite lucarne...) à Rastadt [ nord de Baden Baden ] puis à trois mois dans un camp disciplinaire à proximité d’un camp juif ( travail dans une carrière, maigre nourriture ) à Munzingen [ région de Ulm à l’ouest de Munich ] avant de revenir dans son stalag près de Stuttgart.

Sa deuxième tentative a pour point de départ Neckarsulm [ nord de la province de Bade ] où il travaille 11h/jour , une semaine de jour, une de nuit, pour l’usine d’armement NSU. S’il a participé au creusement d’un tunnel de 20 m de long, il n’a pas suivi certains de ses camarades qui tentent la belle en hiver mais sans succès. Avec trois autres prisonniers : SIDOINE, LECOINT, GALVEZ, ils préparent leur évasion pour fin mars 1942 en faisant des réserves alimentaires mais aussi en recevant dans un colis « de sa chère mère » une boussole cachée par Eliane. Après 5 jours de marche, pendant qu’il revient récupérer un petit portefeuille oublié dans leur cachette : un vestiaire d’une carrière, ses trois camarades prennent un train qui les amène jusque dans les Vosges où une patrouille allemande en arrête deux. Louis Lextrait prend le train trois jours après mais il est découvert en gare de Sarreguemines le 1er avril par un cheminot allemand.
Il est conduit dans une baraque spéciale pour PG évadés au camp de Boulay près de Metz Durant une corvée de bois deux PG tentent de s’évader, un est abattu presque à bout portant alors qu’il se retourne les bras en l’air. De Boulay il est dirigé sur Limbourg d’où il embarque en wagons à bestiaux pour Rawa Ruska [ camp 325 ] en Ukraine. Il fait partie du convoi, le premier arrivé dans ce camp de représailles des militaires évadés résistants le 13 avril 1942 après 6 jours et 6 nuits de voyage et 4 morts ou mourants dans son wagon. Il reçoit le 3e jour sa première louche de soupe qu’il boit dans ses sabots. Il lui faudra fabriquer ses propres couverts. Souvent des camarades morts pendant la nuit sont portés dans les rangs afin de recevoir et se partager leur part de nourriture. Parmi les détenus il y a trois autres ardéchois : FEVAT de Privas ( cf son témoignage dans l’Ardèche martyre de Demontés ), DESCHANDOL entrepreneur en maçonnerie de Bourg Saint Andéol et COMBE coiffeur à Antraigues qui évadé rejoindra le maquis polonais. Il retrouve aussi DURAND qui faisait partie des évadés par le souterrain à Neckarsulm.

Le 14 juillet 1942, il part pour Tarnopol, annexe en création de Rawa Ruska, où il participe à l’aménagement du lieu dont la pose de barbelés et crée ses propres couverts. Ils sont parqués pendant deux ou trois jours avec des juifs, femmes et vieillards, en ghetto depuis plusieurs mois. Poux et plus encore punaises sont des ennemis redoutables. Le régime alimentaire est toujours au minimum : une boule de pain pour 8 et une louche de soupe. Ensuite il est dirigé sur Denisson, annexe la plus à l’est où pendant trois mois dans une ferme d’état il récolte des betteraves à sucre. Ils réussissent parfois à glaner quelques épis de blé et à assommer de gros rats gris roux qui complètent leur alimentation. Depuis 6 mois il n’a pas de nouvelles de sa famille.
La récolte finie, ils partent en carriole pour une gare. Arrivés à Cracovie, ils sont autorisés à descendre sur le quai où ils découvrent un chapelet de pendus « des terroristes polonais » aux poutres du hall de la gare. En attendant le départ d’un train pour Stettin, Louis Lextrait retrouve, sans doute de retour du front russe, le gardien allemand en fonction lors de son évasion de Nagold qui, au terminus, lui administre un mémorable coup de crosse. Il redevient un PG normal dans le kommando N°XII/251 stalag IIC à Greifswald, à proximité de Stettin en Poméranie près de la mer Baltique, où il est affecté avec son ami BALOURDET dans une grosse firme : les établissements Schmitt, qui a le monopole des vins écumés dans les pays occupés et de leur distillation afin de produire un cognac pour les troupes sur le front russe.

Dans ce kommando composé d’environ 150 PG aux 3/4 belges, surtout flamands, il resquille chaque jour de 2 à 4 bouteilles de cognac qui lui servent de monnaie d ‘échange, avec des polonais et même des allemands, contre de la nourriture, notamment de la viande. La « vie est belle », il joue au football dans l’équipe du Kommando qui participe à une compétition entre Kommandos. Balourdet atteint d’une maladie de peau est forcé de quitter ce Kommando. Louis Lextrait doit chercher un nouveau candidat à l’évasion, ce sera HUARD.
A partir d’avril 1943 les bombardements aériens sont fréquents, exemple le 20 avril jour anniversaire d’Hitler. Un de ses camarades : DUCHAISEAUX est devenu à sa demande travailleur libre pour les beaux yeux d’une aryenne. Il travaille en équipe au chargement des bateaux sur le port de Stettin d’où il est possible de rejoindre la Suède. Le 3 octobre 1943 la décision de partir le soir même est prise. Un camarade de travail : SALLES se joint à lui. Ils rejoignent Duchaiseaux mais la rupture des relations diplomatiques entre la Suède et l’Allemagne fait avorter le projet. En contact avec des STO travaillant à la gare de marchandises de Stettin, Louis Lextrait sera prévenu de wagons en partance vers l’ouest hors d’Allemagne moyennant trois livres de chocolat, quelques paquets de cigarettes et 100 marks. Il fait provision de poivre moulu auprès de Huard afin de rendre inefficace les chiens. Le 14 octobre, avertis du départ de wagons chargés de pommes de terre pour Gand dans les Flandres belges, Lextrait, Huard et Salles s’évadent et délestent le wagon de 250 kg de tubercules, soit l’équivalent de leur poids car à la frontière les wagons sont pesés. Le 3e jour un bombardement est synonyme de peur, d’immobilisation du train pendant 6 jours en gare de Celle au sud de Hambourg, de problème de ravitaillement, de recherche d’eau, de perte de connaissance de Huard qu’un flacon d’eau de Cologne fourni par Henri Chapon coiffeur à Saint Pierreville permet de remettre sur pied. Après Duisbourg, Krefeld, ils arrivent à la frontière hollandaise où le poivre est utile puis à la frontière entre la Hollande et la Belgique et le 27 octobre dans la gare de marchandises de la banlieue de Gand. Louis Lextrait demande de l’aide à un prêtre qui refuse à la différence d’un cultivateur des Flandres qui parle français ( cf attestation ). Il leurs indique la direction de Oudenaerde et un accueil possible chez un de ses amis. Ils passent la nuit cachés au coeur d’une grande meule de gerbes de paille avec quatre jeunes du village réfractaires au STO . Le 31 octobre c’est le départ pour Melden où ils passent deux jours à l’abri, prennent les repas avec la famille d’agriculteurs ( cf attestation ) qui les a accueillis avant de prendre le train pour la gare frontière de Herseaux. A la descente du train les trois évadés se séparent. Louis Lextrait aura des nouvelles de ses deux compagnons : Huard est soigné pour une affection pulmonaire à Melun, Salles à Arras a subi l’amputation d’un pied gelé. A l’approche de la barrière du poste frontière Louis Lextrait demande aide à une personne qui l’accompagne en rase campagne jusqu’en France et même jusqu’à la station tramway qui relie le village frontière de Wattreloos à Roubaix. Il lui achète même une carte de trajet.

A Wattreloos Louis est accueilli par un jeune prêtre qui lui donne 15 fr et téléphone à Roubaix à un industriel : M.Devianne Duquesnoy. Récupéré par une voiture il est hébergé chez la fille et le gendre de cet industriel qui lui fournit un complet, une sacoche bourrée de sandwichs, lui donne 50 fr et un billet de train pour Dijon et lui indique le trajet ensuite: gagner Chalons sur Saône par la route, passer la ligne de démarcation puis reprendre la route. Le 2 novembre au matin en gare de Lille il monte dans la Bourbonnais direction Dijon. Là, il essuie un refus d’aide d’un prêtre, retourne à la gare pour une nuit mouvementée « la plus longue de sa vie », est fort bien accueilli à l’hôtel restaurant des Arcades dont le patron le confie au chauffeur du car pour Chalon. Une fois le trajet effectué, celui ci le met en contact avec un maraîcher habitant Saint Marcel les Chalons qui lui fait franchir la ligne de démarcation en side car dans le panier sous les cageots vides. Après une nuit passée chez le maraîcher, il prend le car pour Macon puis le train pour Valence mais après Vienne deux policiers allemands font un contrôle des passagers. Louis Lextrait fuit à l’autre bout du wagon, il est caché par des voyageurs dans les wc sous la cuvette du petit lavabo face à la porte avec les bagages en écran. En gare de Valence un voyageur qui l’a déjà aidé précédemment à se cacher lui prête sa carte d’identité et lui propose de passer le contrôle au bras de sa propre femme. Ultime étape le car pour Loriol où il arrive chez sa tante le samedi 6 novembre 1943 , un mois après avoir quitté le camp de Stettin.

Il termine son récit par un Merci très émouvant.
« Merci, braves paysans, frontaliers Flamands,
Merci, jeune et humble prêtre, riche industriel du Nord,
Merci ouvriers, hôtelier, chauffeur, maraîcher bourguignons, et à vous voyageurs du dernier train.
Merci à tous, inconnus courageux et généreux, qui m’avez pris la main.
Merci SEIGNEUR, de les avoir placés sur mon chemin »


Alain Martinot

Sources :
AD07 21 J 361
AD07 1 R 328