Du maquis de Rec à la création d’un maquis juif autonome

Légende :

En décembre 1943, Raoul Léons adresse un rapport à la direction de l’Armée Juive (AJ) à Toulouse dans lequel il expose « l’utilisation des effectifs AJ dans les maquis des mouvements unis de la Résistance ». Ce rapport fait suite à l’arrivée au maquis de l’Armée secrète de Rec de recrues de l’Armée juive afin d’y suivre un entraînement militaire et conclut que la « création d’un centre indépendant est la meilleure solution ».

Type : Rapport

Source : © Mémorial de la Shoah, Paris (France) Droits réservés

Détails techniques :

Rapport manuscrit de 3 pages

Date document : Décembre 1943

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Tarn

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Contexte historique

Début novembre 1943, un groupe de volontaires est conduit par Jacques Lazarus au maquis de Rec afin d'y apprendre les rudiments d'instruction militaire avec pour objectif final de rejoindre la Palestine par la frontière de Pyrénées. C’est par l’intermédiaire de Raoul Léons, résistant belge, responsable d’un des secteurs de l’AS du Tarn et par ailleurs membre de l’Armée juive (AJ) que le contact est établi entre Lazarus et le maquis de Rec. Ce maquis de l’Armée secrète devient donc provisoirement une base d’entraînement pour les jeunes de l’AJ.

Dans son ouvrage publié en 1947, Jacques Lazarus témoigne de ce premier départ au maquis : « Je me mis le lendemain en rapport avec Raoul, le chef de secteur dont dépendait le maquis témoin. Il me fixa exactement l’itinéraire. Il s’agissait de se rendre à Albi, par voie ferrée, d’y prendre le car jusqu’à Saint-Jean-de-Jeanne ; quinze kilomètres séparaient cette localité de la ferme du Bec. C’était là. Par prudence, je constituai deux équipes qui quitteraient Toulouse à vingt-quatre heures d’intervalle ; je pris le commandement de la première. Le hasard nous servit ; la foire annuelle d’Albi battait son plein. Un car cahotant et ferraillant nous mena jusqu’à Saint-Jean-de-Jeanne, où nous arrivâmes en pleine nuit, avec quatre heures de retard. Heureusement, un agent de liaison nous attendait et nous allâmes par les sentiers boueux, marchant allègrement dans la nuit. (…) Après deux heures de marche, la ferme du Bec. Nous fûmes déçus. Une salle enfumée, éclairée de quelques bougies ; une dizaine de garçons assis se chauffaient autour de l’âtre. Ils nous accueillirent avec sympathie. Le sous-officier nous fit servir un repas, composé de soupe, de pommes de terre en ragoût, de crème de gruyère et de café. (…) Une porte entr’ouverte au fond de la salle permettait d’apercevoir une seconde chambre, où des litières de paille s’étalaient à même le sol.(…) Le maquis, auréolé, en ville, de romanesque et de légende, n’était plus qu’une vieille masure abandonnée. »

Très vite, les cadres de l’AJ envisagent de créer leur propre maquis, en toute autonomie, afin que ses membres puissent rester unis par le même idéal sioniste. La décision de créer un maquis juif autonome est prise par les dirigeants de l’AJ à Toulouse à la mi-novembre 1943. Si on suit la chronologie générale du développement du phénomène maquisard, cette création se situe à contretemps. En effet, après la phase d’intégration des maquis à la Résistance en février 1943 s’opère une phase de repli qui dure jusqu’au printemps 1944 du fait des privations de la vie quotidienne et les espoirs déçus de voir advenir le débarquement tant attendu.

Cette décision repose, en fait, sur plusieurs motivations. La première d’entre elles, c’est de renforcer le lien communautaire entre les jeunes juifs, ne parlant pas nécessairement la même langue et encore moins le français, en les faisant vivre en vase clos pour développer une identité commune. Il ne s’agit pas simplement de faire face aux nécessités du présent, bouter les occupants hors de France, mais de s’inscrire dans une perspective de plus longue durée : celle du projet sioniste visant à la création d’un Etat autonome d’Israël. Ainsi, il s’agit de « maintenir les jeunes entre eux afin de pouvoir leur donner une formation sioniste particulière » comme le souligne Raoul Léons dans son rapport. Le site choisi est celui d’une ferme isolée dans le Tarn ; l’installation pourra s’effectuer avec la complicité du propriétaire qui selon Léons donnera un avis favorable.

L’AJ défend l’autonomie de son maquis à l’égard d’autres organisations du même type déjà présentes dans la région : les Eclaireurs israélites, par exemple, ont installé leur propre maquis dans le même département, rattaché militairement à l’AJ (l’accord est signé le 1er juin 1944). Bien sûr, il est prévu de les verser dans les formations régulières le moment venu. Toutefois, parce que le maquis poursuit des objectifs liés au mouvement sioniste, les dirigeants de l’AJ décident de le tenir à l’écart des organisations rattachées à la France libre, tels les Mouvements Unis de la Résistance : « Pour l’instant, il n’est pas à conseiller je crois d’entrer officiellement en rapport avec les MUR au nom du sionisme ; il existe un mouvement juif rattaché ; ce mouvement n’est pas à tendance sioniste ».

Pour cette raison, le maquis ne peut compter que sur lui-même, l’environnement local et les dirigeants de l’Armée juive pour son ravitaillement en nourriture et en armes, ce qui explique, aussi, son dénuement initial au niveau matériel : « En ce qui concerne les frais, d’après nos expériences antérieures, un centre monté de 25 hommes revient par mois à 30 000 francs environ en comptant les agents de liaison (ce chiffre n’est pas absolu) » (…) « Au point de vue armement, nous ne pouvons rien promettre pour l’instant, nos moyens sont très réduits ».


Auteurs : Guillaume Pollack et Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :
Mémorial de la Shoah, Paris : CDLXIX-36 (« Lt RL à la Main Forte. Rapport sur un travail effectué au mois de novembre et décembre 1943 »).
Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, par Jacques Lazarus (Capitaine Jacquel) chef du groupe parisien de l’Organisation Juive de Combat, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série « Etudes et monographies » n°9, Editions du Centre, Paris, 1947.
Anny Latour, La Résistance juive en France, Stock, 1970.
Fabrice Grenard, Les maquisards. Combattre dans la France occupée, Vendémiaire, 2019.