Les libéralités concédées aux détenus par le directeur Lassalle

Légende :

Rapport intitulé « Note sur la situation de M. Lassalle ».

Genre : Image

Type : Rapport officiel

Source : © Archives nationales Fontainebleau, dossier de carrière de JB Lassalle, 19840465, art. 259. Droits réservés

Détails techniques :

Papier pelure, texte dactylographié, 3 pages, dimensions: 21 X 27 cm

Date document : Vraisemblablement janvier 1944

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Ce document, ni datée, ni signé, est une note émanant de l’administration pénitentiaire relative à la situation de M. Lassalle. Elle débute par l’entrée en fonction de Jean-Baptiste Lassalle à la maison centrale d’Eysses le 21 septembre 1940 et se conclut sur l’arrêté d’internement administratif pris à son encontre suite à l’évasion de 54 détenus le 3 janvier 1944. Elle pourrait donc dater de janvier 1944. Cette note insiste essentiellement sur les libéralités concédées par M. Lassalle aux détenus politiques, ce que lui reproche son successeur M. Chartroule, qui estime que ces concessions ont favorisé l’évasion de janvier.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

L’efficacité de l’organisation des résistants incarcérés à Eysses se mesure d’abord aux acquis obtenus par ces détenus. Par commodité, nous appelons organisation avouée celle qui inévitablement était connue des autorités, du moins à l’échelle de la prison. D’après l’ensemble des sources concernant les différentes prisons de l’Etat français, c’est à Eysses que l’organisation est la mieux structurée, fin 1943. Les entorses au régime carcéral initial sont nombreuses, concédées par la direction face à un groupe organisé et combatif. Le rapport du 31 décembre 1943 signé par M. Chartroule (directeur de la circonscription pénitentiaire), résume ainsi les libéralités accordées sous l’autorité du directeur M. Lassalle :

« M. Lassalle tolérait que les détenus assurent eux-mêmes leur police sans intervention du personnel et lui présentent périodiquement un cahier de revendications.
- Les fouilles des dortoirs et le sondage des barreaux des fenêtres n’étaient plus pratiqués, les détenus ayant donné leur parole de rester calmes et disciplinés.
- M. Lassalle ne se conformait pas aux instructions restrictives qu’il avait reçues en ce qui concerne la réception des colis par les détenus, la correspondance de ces derniers et les visites qu’ils recevaient.
- Il était toléré que les détenus aient en mains des timbres poste, ce qui leur permettait d’en remettre à ceux de leurs camarades dépourvus d’argent pour faire affranchir leurs lettres.
- L’usage du tabac était toléré.
- Les locaux occupés par les détenus étaient ornés d’inscriptions, banderoles et décorations diverses ayant un motif patriotique.
- Les détenus étaient autorisés à virer les sommes portées à leur pécule au nom de personnes habitant la localité, lesquelles utilisaient ces sommes pour leur procurer des vivres dont ils faisaient bénéficier l’ensemble de leurs co-détenus par solidarité ; c’est ainsi que M. Lassalle fermait les yeux sur le vin et les pommes de terre qui entraient à la Maison centrale en quantités importantes.
- Les instruments de musique étaient autorisés par M. Lassalle qui avait en outre toléré qu’une scène de théâtre et ses accessoires soient installés par les détenus.
- La veille de noël M. Lassalle avait laissé les détenus organiser une fête et y avait même assisté.»


L’élément identitaire est bien l’appartenance commune à la Résistance puisque les avantages ne concernent pas l’ensemble des « politiques », notamment les espions à la solde de l’Allemagne. L’obtention de l’appel des noms en lieu et place des matricules renvoie à l’existence civile de l’individu. Il va sans dire que la règle du silence et l’interdiction de se déplacer sans autorisation volent en éclat. Cependant, les déplacements inter-préaux restent exceptionnels et sont réservés aux délégués vêtus du costume traditionnel des prévôts. Mais les prévôts, traditionnellement choisis par la direction parmi les détenus méritants moyennant quelques avantages sont remplacés par des délégués choisis par leurs camarades de détention. Qui plus est, ce sont eux qui négocient quotidiennement leur marge d’autonomie avec la direction. Les avantages matériels sont le fruit d’une reconnaissance de fait d’un régime politique, s’apparentant à celui traditionnellement concédé sous la IIIème République.


Sources : Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, Paris, L’Harmattan, 2007.