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Témoignage écrit de Georges Arjaliès sur la solidarité

Genre : Image

Type : Témoignage écrit

Source : © Dépôt MRN, fonds Amicale d'Eysses Droits réservés

Détails techniques :

Témoignage dactylographié sur deux pages.

Date document : 1990

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Retranscription :

« Témoignage G. Arjaliès (1990)

La solidarité (1)

Lorsque je parle d’Eysses, je dis toujours que pour moi, c’est une « faculté ». J’avais eu le privilège, grâce à l’effort exceptionnel de mes parents, de pouvoir étudier jusqu’à l’âge de 21 ans. Je dois dire que ces études m’avaient convaincu que j’étais bien loin de tout savoir, et qu’il convenait de faire preuve de modestie.
Eysses allait me montrer l’exactitude de cette appréciation car j’y ai rencontré des « maitres » qui m’ont appris une nouvelle manière de vivre. Avec la solidarité.
En voici une première leçon.
A Eysses, nous vivions en gourbis, c’est-à-dire en groupes d’effectifs variables, souvent par région d’origine, ou par maquis, ou par « affaire », ou par prison d’origine. Ainsi on trouvait dans un gourbi des camarades qui avaient eu entre eux de sérieuses affinités. Le « terroir » avait déjà fait son œuvre. Les gourbis avaient un surnom qu’on s’honore d’avoir toujours porté : gourbi des « cloches », des planeurs, des sangliers, etc. Tous évoquent d’émouvants souvenirs. Des souvenirs de 45 ans, et de presque une année côte à côte, le jour dans le même chauffoir et la nuit dans le même dortoir.
Dans notre gourbi se trouvait notamment Aulagne en face duquel j’étais à table jusqu’à ce qu’il soit mortellement blessé le 19 février 1944.
Mon chef de gourbi était Entine et une formule de distribution des colis venait d’être prise. Elle nous laissait maitre de la situation. Tous les colis étaient centralisés. Un seul surveillant était présent pour la forme. Tandis que plusieurs de nos amis, constitués en « commission de solidarité » se relayaient pour la remise des colis, avec cette particularité qu’il y avait toujours un communiste et un gaulliste, que tous les colis étaient ouverts en présence du chef de gourbi intéressé et qu’un prélèvement était fait avec l’accord de celui-ci.
Que faisait-on de ces prélèvements ? J’allais le savoir dès l’après-midi ! Car lorsqu’Entine est arrivé avec mon colis ouvert, j’ai pu constater que quelqu’un s’était servi. J’ai vivement réagi, contre Entine, contre l’organisation. Je tempêtais contre le monde entier. Nous avions pris dans ces conditions notre repas de midi de toute manière si léger qu’il ne pouvait pas nous faire de mal. Nous nous retrouvons dans l’après-midi et le calme habituel des chauffoirs, lorsqu’un camarade que je ne connaissais pas autrement que de vue, vient s’adresser à moi !
« Ce matin tu as reçu un colis. Il avait été ouvert et tu as élevé de vives protestations. Je dois te donner des explications à ce sujet. D’abord, je me présente. Je m’appelle Jean Vigne. Je suis le délégué communiste du préau. Tout ce qui s’est passé est strictement conforme à l’accord qui a été pris entre nos organisations respectives : accord sur les prélèvements. Accord sur les explications que je vais te donner. Je viens te parler précisément parce que tu es gaulliste. Si demain un de mes amis avait ton attitude, c’est ton délégué qui s’adresserait à lui. Je te demande instamment de comprendre la situation dans laquelle se trouvent de très nombreux camarades. Beaucoup, déjà bien avant leur arrestation, ont dû se séparer de leur famille. Ils ne savent pas où est leur femme et encore moins leurs enfants. Ils n’ont plus personne à qui s’adresser sauf à nous. Nous sommes leur famille. Nous sommes frères en quelque sorte et rien ne pourra jamais leur parvenir autrement que par nous. Je te demande cet effort de compréhension. Voilà pourquoi ton colis a été ouvert, et avec ce qui a été prélevé, joint avec ce qui sera pris dans d’autres colis, nous confectionnerons un colis pour l’un des notres, la seule condition étant qu’il soit entièrement coupé de sa famille. Comprends ce que cela représente pour lui, d’encouragement, pour sa dignité d’homme. Si tu as dans ton gourbi un camarade dans ce cas, il pourra lui aussi un jour prochain avoir son colis. Il sera l’égal de tous et tu en seras toi-même, j’en suis sûr, très heureux ».

J’étais abasourdi. J’ai seulement serré chaleureusement la main de Jean Vigne et lui dis : « Excuses-moi. Je n’avais pas vu les choses de cette manière. Je te promets que l’incident, quant à moi, ne se reproduira plus et même vous pouvez compter sur moi pour aider à ce que les relations aillent encore mieux ». Voilà comment je suis devenu un fervent partisan de la solidarité, tant à Eysses que dans mon kommando à Landsberg, où très rapidement, nous avons fait admettre à tous le principe du versement de deux cuillérée de soupe dans les gamelles de solidarité. J’ai dit que je considérais Eysses comme une Faculté : quand on a eu des professeurs comme Jean Vigne, cela n’est pas étonnant. J’ai dit que je considérais Eysses comme une faculté : quand on a eu des professeurs comme Jean Vigne, cela n’est pas étonnant.

(1) Citer le témoignage de Louis Ferrand. »


Sources : Témoignage écrit de Georges Arjaliès (1990) conservé dans les archives de l'Association nationale pour la mémoire des résistants emprisonnés à Eysses.

Contexte historique

Né le 14 mars 1916 à Lagny (Seine-et-Marne), ingénieur des Arts et Métiers (promotion 1934-1937), Georges Arjaliès est incorporé le 19 octobre 1937 au 38e régiment du Génie de Montargis (Loiret). Lors de l’hiver 1937, il suit le peloton préparatoire aux EOR à Nancy au 18e Génie. En avril 1938, il est nommé sergent-radio. Parti aux armées le 27 août 1939, il participe en mai-juin 1940 aux opérations en Belgique et en Argonne. En juin 1940, il ramène en France le gros de sa compagnie dont il prend le commandement. Démobilisé le 30 juillet 1940 à Montpellier, il élit domicile à Saint-Etienne où il devient chef d’atelier dans une manufacture de ressorts.

En avril 1941, il se joint au groupe de résistance Espoir et prend la responsabilité de la propagande pour le secteur de Saint-Etienne. En décembre 1941, il occupe la même fonction au sein du mouvement Franc-Tireur. En juillet 1942, il est promu chef des groupes-franc de Franc-Tireur de St-Etienne. A ce titre, il organise des attentats et sabotages.

Arrêté le 29 septembre 1942 par la Xe Brigade mobile de Lyon, il est emprisonné à Lyon Saint-Paul le 5 octobre 1942. Condamné à 5 ans de prison par le Tribunal d’Etat de Lyon le 10 avril 1943, Georges Arjaliès est transféré à Eysses le 15 octobre 1943. Il y devient responsable de l’organisation militaire du préau 3.

Transféré à Compiègne le 30 mai 1944 puis déporté à Dachau le 18 juin 1944, il est envoyé en kommando de travail à Landsberg. Au sein de ce kommando, il devient responsable des informations et de la solidarité dans l’organisation clandestine. Libéré par les Américains le 28 avril 1945 à Allach, il est de retour en France le 4 juin 1945.


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Service historique de la Défense, Bureau Résistance, dossier individuel de Georges Arjaliès.