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Le groupe PIAT du maquis Bernard

Légende :

Recto : Septembre 1944, dans le Morvan (Nièvre). À côté des armes individuelles communément parachutées (pistolet-mitrailleur Sten MKII, fusil Lee Enfield n°4), ce groupe de maquisards du maquis Bernard est doté, chose exceptionnelle, d’une arme antichar anglaise (un PIAT), qui lui offre un atout non négligeable lors de l’attaque de convois allemands. Coll. Hubert Cloix.

Verso : Samedi 8 octobre 2011 au Musée de la Résistance en Morvan à Saint-Brisson (Nièvre), dans le cadre des journées annuelles de la Fondation de la Résistance, Hubert Cloix, ancien maquisard du maquis Bernard, retrace l’histoire du groupe PIAT de la compagnie André devant la photographie évoquant ce groupe. Photo Frantz Malassis.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Coll. Hubert Cloix et Frantz Malassis Droits réservés

Détails techniques :

Recto : photographie analogique en noir et blanc
Verso : photographie numérique en couleur

Date document : Septembre 1944

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Nièvre

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Contexte historique

Le Projector Infantry Anti Tank, dénommé en abrégé PIAT, est une arme portative antichar en dotation dans les troupes britanniques à partir du 30 avril 1943. Plus de 1 200 exemplaires de cette arme ont également été parachutés en France à destination de la Résistance (1). Le mode de propulsion de la roquette antichar au moyen d’une tige poussée par un ressort puissant relayant l’action propulsive d’une cartouche spéciale placée à l’arrière du projectile rendait son tir silencieux et peu repérable par l’ennemi car n’émettant pas de flamme ni de fumée. Cependant, ce mode de propulsion originale rendait le rechargement de cette arme long (2), avec une cadence de tir de deux coups par minute, et difficile, puisqu’une force de traction de 90 kg était nécessaire pour comprimer le ressort. Quoiqu’il en soit, cette arme redoutable contre les blindages (3) car utilisant une munition à « charge creuse » (4) apportait un atout non négligeable aux maquisards qui en étaient dotés notamment lors de l’attaque de convois allemands.

La constitution et l’instruction du groupe PIAT
En juillet 1944, des SAS (5) hébergés au camp du maquis Bernard (6) dans la forêt d’Ouroux-en-Morvan (à l’est de la Nièvre), reçoivent un PIAT lors d’un parachutage. Les SAS affectent immédiatement cette arme à la compagnie André (7) de ce maquis morvandiaux qui forme en ces rangs un groupe PIAT comprenant : un chef de pièce (Hubert Cloix), un tireur (Raymond Bletti), un chargeur (Albert Perrier) et deux accompagnateurs (Jean Saillet et Flavilli). Un SAS sert d’instructeur à ces maquisards qui ne connaissent rien au maniement de cette nouvelle arme. L’instruction est des plus sommaires et se déroule entre Montsauche et Ouroux-en-Morvan dans un champ de tir improvisé avec un cairn (8) comme objectif. Le SAS explique alors le fonctionnement de l’arme et fait la démonstration de son efficacité en exécutant un tir. Le groupe PIAT met en pratique cette formation accélérée en atteignant la cible désignée du premier coup. L’entraînement s’arrêtera là car les munitions larguées sont rares et ne doivent pas être gaspillées (9).

Le groupe PIAT au combat
Le groupe PIAT de la compagnie André, sera engagée lors de la bataille de Crux-la-Ville du 12 au 17 août 1944, durant laquelle 1 500 allemands appuyés par de l’artillerie et de l’aviation encerclent 800 maquisards. Ceux-ci, décrochent après avoir fait subir des pertes sévères à l’armée allemande. Cependant, le groupe PIAT ne peut tester la valeur opérationnelle de son armement car aucun véhicule ennemi n’est à leur portée.

Quelques jours après, le 21 août, une autre mission est donnée à la compagnie André. Près de Saulieu, ce groupe de combat doit arrêter un convoi en direction de Sigmaringen dans lequel se trouvent Philippe Pétain et Pierre Laval en vue de les livrer aux autorités françaises. Dès 8 heures, le groupe PIAT s’installe au bord de la route en lisière d’une forêt, au cœur d’un dispositif s’étalant sur plusieurs centaines de mètres. À 11 heures, l’ordre est donné d’annuler l’opération, ce qui n’est pas sans susciter la colère des maquisards. Hubert Cloix se souvient que cette colère retombera lorsqu’ils comprendront la raison de l’annulation de l’embuscade. Pour lui, Philippe Pétain et le gouvernement de Pierre Laval n’ont plus aucune autorité sur la France, leur exil en Allemagne rendait en fait la situation politique beaucoup plus claire.

Le 4 septembre 1944 à 9 heures, une embuscade est préparée à Saint-Péreuse sur la route qui relie Nevers à Autun par trois groupes de la compagnie André du maquis Bernard : le groupe PIAT, sous les ordres d’Hubert Cloix, et deux groupes de voltigeurs équipés chacun d’un fusil-mitrailleur. La mise en place du PIAT est toujours délicate pour le chef de pièce qui doit gérer deux contraintes contradictoires : être proche de la route pour permettre un tir efficace et se rendre invisible de l’ennemi. Lors de l’embuscade de Saint-Péreuse, les bas-côtés de la route sont larges et plats ce qui facilite la mise au point des réglages de tir mais complique la dissimulation de ce groupe de maquisards. Hubert Cloix improvise donc un camouflage fait de branchages et d’herbes hautes. En fin de matinée, un bruit de moteur se fait entendre au loin. Toute l’équipe PIAT prend position, Raymond Bletti, le tireur attend l’ordre d’Hubert Cloix, son chef de pièce. Dans ce moment de tension extrême, le chef de pièce doit garder son sang-froid, face à un véhicule ennemi qui se dirige droit sur son groupe, pour donner l’ordre de tir au bon moment, c’est-à-dire quand la distance ne dépasse pas 40 mètres. Le projectile frappe de plein fouet le premier véhicule du convoi, une traction avant Citroën, qui zigzague en sortant de la route et manque de peu de finir sa course folle en écrasant ce groupe de maquisards. Deux occupants sont tués par les tirs d’une Sten. La synchronisation est parfaite avec un autre groupe équipé d’un fusil mitrailleur qui arrête une deuxième voiture, tue lui aussi deux soldats allemands et fait prisonnier l’hauptmann von Baütcher, chef de la Kommandantur de Nantes. Ce dernier, blessé lors de l’embuscade, sera transporté jusqu’au camp du maquis Bernard. Il meurt le lendemain des suites de sa blessure au poumon. Ce fut le dernier fait d’arme de ce groupe de la Compagnie André avant la libération du Morvan le 11 septembre 1944.

Les conditions de réalisation de cette photographie
Cette photographie-souvenir a été prise par une sœur d’Hubert Cloix (10) entre le 11 et le 15 septembre 1944, donc après la libération de la région du Morvan. Elle montre la volonté de garder une trace d’une partie de ce groupe de combat avant que chacun des hommes le composant ne rentre dans ses foyers ou ne poursuive la guerre dans l’armée régulière et que les armes qu’ils venaient juste de s’approprier ne soient rendues aux autorités militaires. C’est la raison pour laquelle cette photographie compte déjà beaucoup d’absents.
De gauche à droite, on reconnait :
- Xavier de Planhol (à genou visant avec une Sten) qui ne faisait pas partie de ce groupe mais pose pour la circonstance avec ses camarades du maquis Bernard,
- Hubert Cloix, allongé derrière le PIAT au poste de tireur alors qu’au combat comme nous l’avons vu il était chef de pièce,
- Jean Saillet au poste d’accompagnateur-pourvoyeur qui lui seul sur ce cliché « rejoue » la fonction qu’il occupait réellement au sein de ce groupe de combat.

Aujourd’hui, elle est un point de départ, un prétexte pour Hubert Cloix lorsqu’il évoque avec précision l’histoire de ce groupe de maquisards au combat à l’été 1944. Cependant, ce qui est tout à fait normal et fréquent, il est beaucoup plus vague sur les conditions de réalisation de cette photographie, « événement » qui ne l’a pas marqué à l’époque après tous les moments forts qu’il avait vécu. Cette photographie prise immédiatement après la libération du territoire appartient à un corpus photographique très précis : celui des premières images de résistants sortant de la clandestinité. Les résistants y sont en général photographiés avec les attributs qui marquent leur appartenance à la Résistance comme les brassards mais aussi les armes que beaucoup exhibent. Cette photographie-reconstitution du groupe PIAT de la compagnie André du maquis Bernard permet d’analyser la façon dont ces résistants veulent être perçus par le reste de la population : des combattants ayant pris part à la libération du pays les armes à la main.

Données techniques du PIAT
- Poids de l’arme : 15, 6 kg.
- Longueur : 990 mm.
- Portée pratique : 75 m.
- Portée maximale en tir tendu (en antichars) : 105 m (115 yards).
- Portée maximale en tir indirect (utilisation en mortier) : 320 m (350 yards).
- Cadence de tir : 2 coups/min.
- Calibre : 89 mm.
- Principe de propulsion : charge creuse autopropulsée par un ressort précédemment comprimé et verrouillé.
- Poids du projectile : 1,13 kg.
- Vitesse du projectile : 106 m/s.



(1) 2 440 bazookas sont également parachutés en France à destination de la Résistance française. Hubert Cloix se souvient que deux bazookas équipaient également le maquis Bernard.
(2) Le mode d’emploi en français parachuté avec l’arme traduisait bien, selon Hubert Cloix, l’humour britannique puisqu’il était écrit : « Si le premier coup manque, ajuster le tir en visant plus haut ou plus bas ». Or, étant donné la cadence de rechargement du PIAT cela était techniquement impossible en condition de combat.
(3) La roquette du PIAT perce tous les blindages de l’époque. Cependant, son système de propulsion est surclassé par rocket launcher type AT M1 A1 surnommé bazooka en datation dans l’armée américaine à partir de mai 1942. Le bazooka utilise lui aussi une roquette à « charge creuse » mais sa charge propulsive est mise à feu électriquement. Cet avantage lui permet d’avoir une cadence de tir de 4 à 5 coups à la minute et une portée maximale de 275 mètres. En revanche, la flamme arrière au départ du coup nécessite un espace dégagé assez important derrière le tireur et rend celui-ci facilement repérable.
(4) La « charge creuse » est utilisée pour la première fois par les Allemands le 10 mai 1940 pour détruire des coupoles blindées du fort belge d’Eben-Emael. Cf. Dominique Venner, Les armes de la Résistance, Paris Jacques Grancher, 1976, 330 p.
(5) Special Air Service, unité des forces spéciales de l’armée britannique créée en 1941. Elle se spécialise dans des raids audacieux derrière les lignes allemandes.
(6) Le maquis Bernard se situe à cheval sur les communes d’Ouroux et Montsauche. Il a été créé fin1943 à l’initiative de Louis Aubin alias Bernard, ancien gendarme à la retraite. Depuis le printemps 1944, le maquis Bernard voit ses effectifs affluer : le 31 mai 1944, il compte 25 hommes, 65 hommes le 13 juin 1944 et pas moins de 125 hommes le 5 juillet 1944. À partir du 14 juillet, grâce à de nombreux parachutages d’armes, il incorpore chaque jour de nombreux arrivants pour atteindre 1 200 maquisards au début de septembre 1944. En mai 1944, le maquis Bernard a accueilli un escadron de 40 parachutistes SAS britanniques dont il devient un auxiliaire essentiel, fournissant logistique, équipes de garde et surtout guides parlant anglais pour accompagner les opérations extérieures. En juin, l’état-major départemental de la Résistance nivernaise sous les ordres du colonel Roche s’installe au maquis Bernard qui lui assure la protection nécessaire. De par sa position au centre du Morvan, lieu de repli des unités allemandes, de par l’importance de ses effectifs, le maquis Bernard a joué un rôle important en retardant les unités de la Wehrmacht. Il participe à de nombreuses opérations militaires : combats de la Verrerie, du pont Dourneau, de Montigny, bataille de Crux-la-Ville, embuscade de Saint-Péreuse, opération Pont du Montal… Voir Quelques aspects de la Résistance dans le Morvan et le Nivernais 1940-1944. Document réalisé à l’occasion des Journées annuelles de la Fondation de la Résistance Nevers, 7-8-9 octobre 2011 par Hubert Cloix, Paris, Fondation de la Résistance, 2011.
(7) En juillet 1944, le capitaine Bernard demande au lieutenant André Guyot alias André, jeune saint cyrien, de créer la compagnie André qui est constituée d’anciens du réseau Vengeance et de volontaires de la région.
(8) Amas artificiel de pierres placé à dessein pour marquer un lieu particulier.
(9) Hubert Cloix précise que cinq roquettes étaient encore disponibles pour approvisionner le PIAT à l’issue de cette formation.
(10) En 2016, Hubert Cloix précise que sa sœur a utilisé un appareil photo Junior Lumière 24X36.


Frantz Malassis
Avec la collaboration d’Hubert Cloix