La mémoire immatérielle : le Chant des partisans

Légende :

Edition du Chant des Partisans (paroles et partition), sans date ni nom de lieu et sans nom d'éditeur

Type : Partition

Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé

Date document : sans date

Lieu : France

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Analyse média

Sur cette publication du Chant des partisans, les noms des auteurs  (musique: Anna Marly, paroles: Joseph Kessel et Maurice Druon) ne figurent pas. On peut donc penser qu'il s'agit d'une édition à caractère restreint et non commerciale, faite peut-être dans un but commémoratif à un échelon local.

L'illustration de la couverture est intéressante par son inspiration. A. Ducré est un illustrateur publicitaire et dessinateur de chromos et le "partisan" qu'il représente, avec sa cartouchière et son bandeau autour du front, a peu à voir avec l'aspect réel de la plupart des FFI de 1944. Mais l'absence de casque et d'uniforme renvoie bien à la tradition de l'engagement de civils armés.


Bruno Leroux

Contexte historique

Bien des chants sont nés dans la fraternité des maquis, pastiches de La Madelon ou de La Carmagnole, satires de mélodies à la mode. Mais c’est à Londres qu’est née la plus célèbre des chansons originales de la Résistance.

A l’origine se trouve un chant russe composé durant l’hiver 1942, en l’honneur des partisans soviétiques, par une jeune artiste d’origine slave, Anna Marly (de son vrai nom Anna Betoulinski), qui se produit devant les soldats alliés. En mai 1943, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui a fait sa connaissance lors d’un de ses séjours à Londres, la sollicite alors qu’il cherche un indicatif musical pour les émissions du nouveau poste radio « Honneur et Patrie » animé par André Gillois, en même temps qu’un chant symbolisant la Résistance française.

La chanson d’Anna Marly est aussitôt adoptée, sous deux formes : sifflée, elle devient pendant un an l’indicatif journalier d’ « Honneur et Patrie », radio dite « noire » qui feint d’émettre clandestinement en France même. En même temps, d’Astier convainc Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon d’écrire de nouvelles paroles en français, qu’il remporte en France et fait imprimer, en septembre 1943 sans nom d’auteur et sans musique, sous le titre Les partisans (chant de la Libération) dans une revue clandestine, Les Cahiers de Libération.

De sorte que c’est comme un « poème » issu de la presse interdite que la BBC présentera ce texte en février 1944, avant de diffuser le chant complet ( paroles et musiques) au moins une première fois en avril 1944 et une seconde fois le 19 août, jour de l’insurrection parisienne. L’origine métropolitaine, anonyme et clandestine du Chant des partisans est ainsi doublement mise en scène, en même temps qu’il bénéficie déjà d’une diffusion qu’aucun chant de maquis ne peut connaître.

Cependant, sa popularité, très peu attestée durant la clandestinité, explose véritablement après la Libération. Gillois et Druon l’entendent siffler dans le métro parisien à l’automne 44 ; les soldats français sur les fronts des Vosges et d’Alsace le connaissent très vite. La diffusion dans les salles de cinéma de l’interprétation de Germaine Sablon (dans le court métrage Three songs of resistance réalisé à Londres par Cavalcanti en 1943) y contribue sans doute, tout comme le nom de Kessel, mais aussi le retour d’Anna Marly en France. Son « quart d’heure de gloire », comme elle l’évoque avec philosophie dans ses souvenirs, est surtout dû au fait qu’ « on réclame partout les chants de la Résistance », et avant tout ce Chant des partisans qu’elle chante au gala de la Libération devant de Gaulle, au congrès de la SFIO, dans les fêtes et commémorations organisées par les comités de libération locaux et les amicales issus des organisations résistantes.

La popularité du Chant des Partisans dans l’immédiat après-libération est un des indices de cette reconstruction de l’identité nationale autour des idéaux de la Résistance partagée à cette époque par de nombreux Français. Son texte même est un condensé de l’image qui l’emporte alors de la Résistance, celle des années 43-44 , suffisamment forte et unie pour résister à la répression (« ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place »), touchant les classes populaires (« ouvriers et paysans »), orientée vers le combat armé libérateur.

De même, son destin ultérieur peut s’analyser à l’aune des vicissitudes de la mémoire de la Résistance depuis soixante ans. Si les résistants l’imposent très vite dans la plupart des commémorations nationales et locales de la Seconde Guerre Mondiale, c’est parce qu’ils se sentent menacés par l’oubli et les divisions, comme ce président d’une amicale l’écrit dès l’après-guerre à Anna Marly : « aux jours où la fraternelle unité de la résistance se désagrège sous l’influence corrosive de la politique, […] où le nom même de Résistant serait en passe de devenir une défroque ridicule, en vos chansons vit et vivra associé à votre nom l’ardent esprit de la Résistance. »

Rappel à l’unité face aux divisions partisanes avivées par la guerre froide, rappel aussi de la spécificité de leur combat, notamment lorsqu’ils côtoient d’autres combattants ou font face aux monuments confondant tous les morts de la guerre de 40, telle est la spécificité du Chant des Partisans dans les commémorations. Et de fait, depuis soixante ans, entonner ou écouter Le Chant des Partisans est devenu quasiment le seul rite qui différencie l’hommage aux morts de la Seconde guerre mondiale de ceux des autres conflits.

Le Chant des partisans a aussi été utilisé comme lien concret entre la génération des Résistants et les suivantes. Les chorales de jeunes sont parfois conviées à le chanter dans des commémorations, notamment lors d’inaugurations de monuments ou d’anniversaires décennaux Mais ceci reste occasionnel. Beaucoup plus volontariste a été son usage au sein de l’Education nationale : intégré après 1945 à la liste des chants patriotiques imposée aux candidats au certificat d’études, il est l’un des trois à subsister, lors de l’allègement de cette liste en 1963, avec La Marseillaise et Le Chant du Départ. Cependant, le succès de certaines versions « profanes » du chant dans les années 50 (Yves Montand) comme dans les années 90 (Johnny Halliday, le groupe Zebda) tendrait à montrer que la force de ce « lieu de mémoire » ne tient pas seulement à la volonté des associations ou du pouvoir politique.


Bruno Leroux

Sources:
Anna Marly, Mémoires, Little Big Man, 2000
CNRS/IHTP, La mémoire des Français. Quarante ans de commémorations de la Seconde Guerre Mondiale, CNRS, 1986
Patrick Cabanel, La république du certificat d'études, Belin, 2002.