Poème intitulé "Oublier !" de Ludovic Chabredier, dit Victor Cabane ()

Légende :

Poème intitulé Oublier !, composé par le résistant et peintre Ludovic Chabredier, dit Victor Cabane - 12 avril 1976

Type : Poème

Source : © Collection Famile Chabredier Droits réservés

Détails techniques :

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Date document : 12 avril 1976

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche - Saint-Péray

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Analyse média

Le poème originel a été publié en 1981 dans le recueil Chaînon Poétique, édité par la bibliothèque municipale de Champigny-sur-Marne.

Les six strophes de longueur inégale ont été écrites entre le 4 mars et le 12 avril 1976. Dans la version initiale, il signe Chabredier tandis que pour la deuxième, datée du 7 août 1991, il utilise le pseudonyme de Victor Cabane, celui qu'il employait pour distinguer l'homme de lettres du peintre.

Dans cette prose poétique, avec parfois une certaine recherche de rimes plus ou moins riches, les cinq premières strophes posent la question de comment oublier le lourd passif de cette période noire, la sixième répond par l'impossibilité d'oublier et demande, malgré ceux qui feignent d'ignorer le bilan tragique et les bons maîtres à penser qui n'ont qu'oubli à la bouche, justice en toute dignité et sans arrière-pensée pour les fusillés, pour ceux qui sont revenus vivants et pour ceux dont le cœur saigne. Cette position est à mettre en parallèle avec celle de Simon Wiesenthal dans une autobiographie intitulée Justice n'est pas vengeance, publiée en 1989.

La deuxième version, quinze ans après, constate, dans la dernière strophe ajoutée, que si Barbie a été jugé, tel n'est pas le cas de Touvier, de Papon, ou de Bousquet. Quelques modifications, suppressions et des compléments - « La débâcle et les gens mitraillés, nos maquis et les gars qui tombaient » - ont été apportés à sa création antérieure.

L'ensemble du texte est bâti autour du verbe oublier, qui est répété à de très nombreuses reprises, comme un leitmotiv, une litanie obsédante afin de convaincre certains résistants réfractaires à cette idée.

Dans cette œuvre, l'auteur fait allusion essentiellement aux événements tragiques qui affectent la France pendant la Deuxième Guerre et à leurs répercussions jusqu'aux dates d'écriture.

Sans respect de la chronologie, Chabredier, alias Victor Cabane, fait référence à la débâcle en mai- juin 1940 et l'exode de millions de Français, à Pétain, à son emblème : la francisque, au régime fasciste et collaborationniste qu'il a instauré dès le 10 juillet 1940 et avec l'entrevue de Montoire entre Hitler et Pétain en octobre]. Il mentionne les massacres commis par les nazis et leurs complices à Lidice [le 10 juin 1942, ce village de Bohême en ex-Tchécoslovaquie est détruit et un grand nombre des habitants fusillés ou déportés en représailles à l'attentat à Prague contre Reinhard Heydrich, protecteur adjoint du territoire] et à Oradour-sur-Glane [le 10 juin 1944, 642 habitants de ce village de Haute-Vienne sont victimes de la folie meurtrière de Waffen SS]. Il dit les tortures, la rafle du Vel d'hiv [à Paris les 16 et 17 juillet 1942, plus de 13 000 juifs dont un grand nombre d'enfants ont été arrêtés par des policiers et des gendarmes français dans la zone occupée, puis déportés], les fours crématoires et le camp d'Auschwitz. Il cite deux noms : Barbie [1913 - 1991, mort en prison à Lyon le 25 septembre après avoir été jugé en 1987 et condamné à perpétuité pour crime contre l'humanité. Surnommé le « boucher de Lyon», il était chargé de la lutte contre la Résistance…] et Touvier [1915 - 1996, responsable de la milice lyonnaise, arrêté en 1989, condamné en 1994 à la réclusion criminelle à perpétuité pour crime contre l'humanité]. Dans la strophe ajoutée en 1991, apparaissent Papon [1910 - 2007, haut fonctionnaire : secrétaire général de la préfecture de la Garonne, acteur zélé lors de la rafle de juifs à Bordeaux, condamné en 1998 à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l'humanité, se pourvoit en cassation, incarcéré à la prison de Fresnes, libéré pour raison de santé le 18 septembre 2002], et Bousquet [1909 - 1993, année de l'assassinat du secrétaire général de la Police sous le régime de Vichy d'avril 1942 à décembre 1943].


Alain Martinot

Contexte historique

Né à Lyon où son père est coiffeur, il fréquente l’école annexe des Beaux-Arts de Lyon entre 1932 et 1937. Il entre dans la gendarmerie mobile, et se voit affecté en 1938-1939 à la garde des camps de réfugiés espagnols dans les Pyrénées-Orientales. Il épouse en 1939 Marie-Thérèse Duplan, originaire du Teil et dont le père est un ancien gendarme. Rayé de la gendarmerie mobile le 1er juillet 1940, il est affecté à la brigade de Pont-de-Cheruy dans l’Isère. 

Arrêté en novembre 1942, pour écoute illégale de la radio de Londres, il est condamné à quinze jours de détention, portés à trente jours par Vichy, et est aussi renvoyé de la gendarmerie. Après sa sortie de prison, il regagne avec son épouse la maison habitée par ses beaux-parents à Rochemaure. Là, tout en se livrant à la peinture (en 1943, il participe à une exposition initiée au Teil par l’Union artistique des cheminots français, et en présente une, personnelle, à Montélimar), d’avril à décembre 1943, il est en contact avec M. Freyssenet, secrétaire de mairie à Alba qui recrute pour les maquis de Savoie-Drôme. Son épouse est aussi agent de renseignement. 

En février 1944, quand Fernand Archier tente de créer un maquis FTP dans la région de Bourg-Saint-Andéol (détachement Salomon), Chabredier est contacté pour aider à sa formation. Mais l’opération échoue car les Allemands sillonnent la région à la recherche des résistants. Le détachement se replie sur Rochemaure et passe une nuit, le 17 mars, chez les Duplan, à deux pas de la filature réquisitionnée par les Allemands pour le cantonnement de leurs troupes de passage. Le lendemain, Ludovic Chabredier avec l’aide de Pierre Mercoirol, conduit le détachement Salomon sur une hauteur du Coiron entre Sceautres et Saint-Martin-le-Supérieur. Mais le maquis est victime d’une dénonciation. Le 11 avril, un avion allemand survole la zone, et Ludovic Chabredier conseille de quitter les lieux, ce qui est fait le lendemain. Effectivement, le 13 avril, trois colonnes allemandes convergent sur la zone, brutalisant la population. Commence alors pour le détachement Salomon une longue période de nomadisation et de combats. 

Resté à Rochemaure, Ludovic Chabredier perd tout contact avec les FTP. Il réussit malgré tout à renouer les liens avec la Résistance : il s’agit de l’AS dont il devient, en mai 1944, le chef cantonal de Rochemaure, sous la direction du Capitaine Barillat (Francœur) et du lieutenant Charras (Saint-Jean) du secteur C de l’AS (celui de Privas-La Voulte). 

Lors de l’insurrection nationale, le 17 juin 1944, il rejoint le point de ralliement prévu et se voit remettre le commandement de la 5e compagnie le 20 juin. Il est muté au secteur B (celui de Saint-Agrève - Le-Cheylard) le 22 juillet et affecté comme adjoint au commandant de la 18e compagnie, laquelle participe au harcèlement des troupes allemandes notamment depuis les hauteurs de Soyons le 25 août, ou de Chames (26 août). Le 28 août, sa compagnie occupe Saint-Péray. 

Après la libération du département, Ludovic Chabredier est affecté à la prévôté FFI comme sous-lieutenant le 1er octobre 1944. Réintégré dans la gendarmerie le 7 mars 1946, il est nommé à la brigade d’Antraigues en avril, avant de quitter l’uniforme le 30 décembre 1946.
Il se consacre alors à deux de ses passions : la peinture et la sculpture. Professeur d'arts plastiques, il se passionne aussi pour l'histoire locale et publie notamment Rochemaure, gardien du Rhône. Il se découvre une nouvelle passion pour la préhistoire et réalise un relevé des gravures paléolithiques de la grotte d'Ebbou, près de Vallon-Pont-d'Arc, publié dans le Bulletin de la Société préhistorique de France en 1966. 

Adhérent du PCF, il participe activement au mouvement des artistes en faveur de la paix dans le contexte de la Guerre froide. Revenu à Lyon, après son départ de la gendarmerie, il vit chichement de sa peinture, travaille le cuir repoussé, et enseigne les arts plastiques. La peinture, il ne l’avait pas abandonnée, et plusieurs de ses tableaux illustrant les combats de la Résistance ou la répression nazie sont réalisés en 1944 (notamment l’épopée du détachement Salomon...). En 1945, il présente plusieurs de ses œuvres au Teil et à Privas, puis à la galerie des artistes à Lyon en 1946.

Ludovic Chabredier décède en 1992.


Jean-Louis Issartel