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Aubrac dresse le bilan de quatre semaines d'épuration, La Marseillaise, octobre 1944

Légende :

Conférence de presse du commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, résumée par La Marseillaise, journal du Front national, le 1er octobre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD B-d-R - PHI 419-1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (voir recto-verso).

Date document : 1er octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

La Marseillaise, journal du Front national, rapporte dans son numéro du 1er octobre 1944 la conférence de presse de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, en mettant au premier plan ses déclarations sur l'épuration. La procédure suivie pour épurer est rappelée afin de montrer que l'épuration suit des procédures codifiées et non arbitraires. Deux facettes de l'épuration sont retenues dans le premier paragraphe : épuration administrative et épuration économique.

L'épuration administrative vise à retrancher de la fonction publique le fonctionnaire qui a trahi la confiance publique. Le courant de l'article montre que les entreprises de presse, d'édition et cinématographiques sont également soumises à épuration pour le même motif car elles exercent une influence sur l'opinion publique.
L'article traite en premier de l'épuration de la police. Il fallait rétablir la confiance de la population dans une institution qui avait servi Vichy et les autorités allemandes. Les statistiques globales visent à montrer l'importance de l'épuration : un tiers des commissaires et la moitié des commandants de gendarmerie suspendus, 81 arrestations, 136 mesures d'internement. Un seul nom est donné, celui de l'intendant de police, Albert Mathieu. Il s'agissait de montrer à l'opinion publique que l'épuration ne frappait pas que les « lampistes », mais également les « gros poissons ». Cependant, les autres fonctionnaires de police restent anonymes, tandis que les responsables des affaires économiques et certains responsables de l'administration municipale sont eux nommés. Faut-il y voir la volonté de protéger une administration indispensable au maintien de l'ordre ?

La deuxième partie de l'article est consacrée à l'épuration économique. Raymond Aubrac met en avant les réquisitions d'entreprises comme les Forges et Chantiers de la Méditerranée, les Aciéries du Nord (ADN), l'épuration de la SNCF, d'établissements bancaires, ainsi que la mise sous séquestre d'entreprises de presse ou de spectacles. Il s'agit de montrer que tous les secteurs de l'économie sont touchés.

Dans le dernier paragraphe consacré à l'épuration, Raymond Aubrac dément les rumeurs de libérations massives et indues. Un mois après la Libération, le CRR tient à rétablir la confiance des Marseillais dans les autorités chargées de l'épuration.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dès la Libération de Marseille, l'épuration occupe les esprits. La presse comme les Renseignements généraux se font l'écho des interrogations et des doutes de la population. Les traîtres, ceux qui ont profité de la situation pour s'enrichir, seront-ils punis ? Les inégalités sociales ne se retrouveront-elles pas aussi dans l'épuration, les « lampistes » étant sanctionnés, tandis que les « gros poissons » échapperaient à une justice qui n'aurait pas perdu ses réflexes de classe ?

En rappelant le mécanisme de l'épuration, Raymond Aubrac tient à montrer que les instances de la Résistance ne sont pas dépossédées, tout en maintenant une certaine ambiguïté : les enquêtes donnant lieu à poursuite sont la tâche des Comités de libération qui sont qualifiés « d''organismes consultatifs ». On s'aperçoit que le CDL et le Comité départemental d'épuration sont les maillons dans la chaîne de l'épuration, mais que c'est l'administration qui décide des sanctions. Le CRR était chargé par le GPRF de restaurer l'autorité de l'État dans sa région et l'épuration en était une des manifestations les plus emblématiques.

Si Raymond Aubrac commence l'exposé de son bilan par l'épuration de la police, c'est parce que la population - qui craint le désordre - veut pouvoir faire confiance à la police qui a été partie prenante de la politique de collaboration. Raymond Aubrac montre l'ampleur des mesures qui ont frappé les responsables de la police marseillaise. Il n'indique pas le pourcentage de gardiens de la paix suspendus, alors même que des arrêtés ont été pris en ce sens dès la Libération de Marseille.
Le message est clair : l'épuration frappe les chefs, l'intendant de police Mathieu est cité à cet effet. L'épuration administrative se poursuit avec l'énumération des mesures frappant les administrations aux différents niveaux préfectoral, départemental et municipal. Il faut montrer à la population que les pouvoirs publics se reconstruisent sur des bases saines. L'épuration de la magistrature n'est pas évoquée, alors que Raymond Aubrac a pris dès le 28 août 1944 un arrêté suspendant de leurs fonctions le premier président ainsi qu'un vice-procureur de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. La cour de justice, instituée par arrêté du CRR le 5 septembre, fonctionnait depuis le 11 septembre, présidée par des magistrats professionnels, ce qui avait provoqué des remous (voir notice en média lié). Sans doute Raymond Aubrac juge-t-il préférable de ne pas s'appesantir sur le sujet.

Le deuxième volet de sa conférence de presse est consacré à l'épuration économique. L'assemblée provisoire et le GPRF entendaient procéder à une épuration économique. Le programme du CNR réclamait plus largement « l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie. »

Dès le 1er septembre 1944, le CRR publie un arrêté portant réquisition des Aciéries du Nord (ADN), citées dans le communiqué de Raymond Aubrac. Les arrêtés qui s'échelonnent jusqu'au 5 octobre conduisent à la réquisition de quatorze autres entreprises, dont les Forges et Chantiers de la Méditerranée et la Compagnie d'électricité de Marseille.
Ces réquisitions marquent une expérience sociale originale puisque le comité consultatif de gestion, formé de salariés, participe activement à la gestion de l'entreprise. Elles reflètent une prise de position politique qui va au-delà ce que préconiseront les ordonnances des 16 et 18 octobre 1944, qui codifient l'épuration des entreprises et la sanction des profits illicites. Elles provoquent dès octobre une vive réaction de la part des responsables gouvernementaux et de Gaston Defferre et, à terme, la mise en disponibilité de Raymond Aubrac en janvier 1945.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-47). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.