Plaque en hommage aux 270 000 expulsés et 160 000 réfugiés victimes du nazisme, Strasbourg (Bas-Rhin)

Légende :

Plaque apposée sur les murs de la gare SNCF de Strasbourg, quai n°1

Genre : Image

Type : Plaque commémorative

Source : © Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : sans date

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Bas-Rhin - Strasbourg

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Contexte historique

Le Gauleiter Wagner, chef de l’administration civile, décide dès les premiers jours de l’occupation de débarrasser son nouveau fief de tous les « éléments » qu’il juge indésirables et indignes de peupler une terre germanique. Il peut tirer prétexte d'un précédent, l'expulsion des Allemands en 1918-1919. Les détachements de la police allemande envoyés en Alsace reçoivent l'ordre d'expulser « juifs, romanichels, criminels, incurables, Français de l'intérieur et Französlinge, < les Alsaciens connus pour leur patriotisme français>» et de les diriger vers la zone non occupée. Les juifs qui n'ont pas été évacués ou qui n'ont pas quitté l'Alsace avant l'arrivée des Allemands sont les premiers à être chassés à partir du 14 juillet 1940. Ils sont autorisés à emporter 5 000 francs et 30 kilogrammes de bagages par personne, mais on ne leur laisse souvent pas le temps de les préparer. Ils sont entassés dans des camions et abandonnés à la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone non occupée, sans que les autorités françaises ne soient prévenues. Certains porte-parole de la police allemande prétendent alors qu'un accord à ce sujet a été conclu à la commission d'armistice de Wiesbaden (Allemagne): il n'en est rien. D'ailleurs la délégation française auprès de cette commission proteste contre « l'expulsion des Israélites » dès le 18 juillet 1940.

Suit, à partir du 20 juillet, l'expulsion des Français de l'intérieur et des autres catégories. S'ils échappent aux humiliations publiques souvent infligées aux « non-aryens », ils n'ont, eux aussi, très souvent qu'une heure pour se préparer et ne peuvent emporter que 30 kilogrammes de bagages, de la nourriture pour quatre jours et 10 000 francs français. Le trafic ferroviaire, ayant été rétabli, la plupart d'entre eux partent en train. Les Alsaciennes, épouses de « Français », peuvent rester en Alsace à condition de divorcer. Les Françaises, épouses d'Alsaciens, qui veulent  éviter l'expulsion doivent s'engager à ne plus parler que l'allemand et promettre fidélité au Führer. Très peu de couples acceptent de s'humilier ainsi.

Les biens des juifs et des « Français », ceux des « ennemis du Peuple et du Reich allemand » sont confisqués au profit du Reich dès juillet 1940. Une ordonnance de janvier 1941 étend ce traitement aux « Alsaciens » résidant en France, y compris les expulsés. Leurs mobiliers sont distribués à des sinistrés ou vendus aux enchères. Leurs logements sont attribués à des immigrés allemands ou à des victimes des bombardements. Leurs entreprises, gérées par des administrateurs provisoires, sont fermées ou fusionnées à des sociétés allemandes.

Les expulsions continuent en août et reprennent en octobre, quelquefois à la demande des intéressés qui ne supportent pas le nouveau régime. Au début de décembre 1940, Wagner entreprend avec l'accord du Führer une « seconde action d'épuration ». À la différence de son collègue de Lorraine, Bürckel, il évite de procéder à des expulsions massives qui auraient vidé totalement certains villages francophones. Les expulsés sont issus de toutes les couches de la population alsacienne, mais certaines catégories sociales sont particulièrement visées. Les notables patriotes, les engagés volontaires dans l'armée française durant la Grande Guerre, les chefs d'entreprise, les professions libérales fournissent des contingents importants. Sont aussi chassés certains hommes politiques, comme le maire socialiste de Mulhouse, Auguste Wicky, et celui de Colmar, Édouard Richard. Ce dernier avait été interné au préalable au camp de sûreté de Schirmeck. Figurent également parmi les proscrits certains militants de la Confédération générale du travail (CGT) et la plupart des fonctionnaires qui ont refusé de signer la déclaration d'adhésion au Führer et au Grand Reich.

Dans l'ancien département du Haut-Rhin, les expulsés sont concentrés à l'institut Saint-André à Cernay (Haut-Rhin). La Gestapo signifie aux chefs de famille qu'il leur est interdit de revenir sans autorisation en Alsace en les menaçant, s'ils tentent quand même de revenir, de dix années de travaux forcés dans une carrière. On les embarque dans des wagons verrouillés sans les informer de la destination de leur voyage. Certains craignent de se retrouver en Pologne. Dans l'ex-Bas-Rhin, les victimes sont embarquées directement dans les trains. Les convois traversent la zone interdite et la zone occupée, avec des arrêts interminables sur des voies de garage. À la dernière gare avant la ligne de démarcation, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), l'escorte policière et militaire allemande les abandonne.

Lors du prochain arrêt, à Mâcon (Saône-et-Loire), la plupart de ces convois sont accueillis avec les honneurs militaires par des détachements de l'armée française. La musique militaire joue La Marseillaise, reprise en général par les nouveaux exilés. Après que la Croix-Rouge ait distribué du café et des vivres,  le voyage reprend jusqu'à Lyon. Là, après un contrôle d'identité opéré par des fonctionnaires repliés d'Alsace ou de Moselle de la police spéciale, la plupart des expulsés sont pris en charge par le service des réfugiés non-rapatriables dirigé par l'avocat colmarien Jacques Kalb assisté par la Mosellane Ségolène de Wendel. Ils sont souvent hébergés provisoirement dans les locaux de la foire de Lyon où l'on répartit les familles dans les stands très mal chauffés.

Ceux qui en ont les moyens peuvent s'établir librement dans l'ensemble de la zone non occupée. Le préfet de la Moselle, lui-même expulsé, Charles Bourrat, est chargé par les autorités de Vichy de répartir les autres dans les 27 départements de cette zone. Nombreux sont les Alsaciens qui rejoignent leurs compatriotes non rentrés, en Dordogne ou en Haute-Vienne pour les Bas-Rhinois, dans le Gers ou le Lot-et-Garonne pour les Haut-Rhinois. D'autres se retrouvent dans des localités où les possibilités d'hébergement sont abondantes comme Lourdes. Les expulsés bénéficient du même statut de réfugié que ceux de leurs compatriotes qui les ont précédés, évacués et réfugiés volontaires qui ne peuvent pas ou ne veulent rentrer en pays annexé de fait, ainsi que les premiers évadés. La direction des réfugiés du ministère de l'Intérieur attribue une allocation à ceux qui ne trouvent pas d'emploi ou ne sont pas en état de travailler.

La troisième vague d'expulsions, en 1941 et 1942, est très réduite en Alsace: elle concerne essentiellement des tsiganes et des familles de non rentrés ou de réfractaires au Reichsarbeitsdienst, RAD ou service du travail. Elles cessent complètement à partir de l'instauration du service militaire obligatoire en août 1942. Désormais, les familles de réfractaires sont vouées à l'internement dans des camps spéciaux en Allemagne ou en Europe de l'Est.

Les effectifs des expulsés d'Alsace sont nettement inférieurs à ceux de la Moselle. Selon, un rapport de Wagner d'avril 1941, 23 790 Alsaciens auraient été expulsés à la date du 15 février 1941, mais il est probable que ce chiffre qui représente à peine 2% de la population de 1939, ne comprend ni les juifs, ni les Français de l'intérieur, ni les étrangers. Eugène Riedweg estime que 45 000 personnes sont expulsées d'Alsace de juillet à décembre 1940. Il faut ajouter à ce chiffre les quelques centaines d'expulsés de 1941 et 1942, mais on reste loin des effectifs des expulsés de Moselle, 95 000 au moins, soit plus de 14% de la population de 1936.  


Léon Strauss, "Les expulsions" in DVD-ROM La Résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance - AERI, 2016