Stèle commémorative dans la cour de la "Caserne des fusillés du 14 juin 1944", Cadenet (Vaucluse)

Légende :

Stèle commémorative dans la cour de la « Caserne des fusillés du 14 juin 1944 », la nouvelle caserne de la gendarmerie à Cadenet, Vaucluse.
Caserne située à la sortie de Cadenet, route de Lourmarin, inaugurée le 19 février 2015.

Genre : Image

Type : Stèle

Producteur : Michèle Bitton

Source : © Collection Michèle Bitton Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur.

Date document : Août 2015

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Cadenet

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Analyse média

Cette stèle d’environ un mètre de hauteur porte deux plaques : la plus grande, de facture pratiquement identique à celle relevée sur la façade de l’ancienne brigade de gendarmerie de Lauris, porte les mêmes inscriptions : « A la mémoire des gendarmes de la brigade de Lauris Morts pour la France. BUATOIS Robert. CHAUVET Louis. CELERIER Henri. ESCOFFIER Henri. Fusillés le 14 juin 1944 ». Au-dessous, une plaque plus petite rappelle la date d’inauguration et le nom donné alors à cette caserne : « Caserne des fusillés du 14 juin 1944. Inaugurée le 19 février 2015 ».

La plaque principale scellée aujourd'hui sur stèle était auparavant apposée sur la façade de l'ancienne gendarmerie de Cadenet (route de Pertuis) sur laquelle nous l'avions photographiée en 2007. C'est la même plaque rénovée qui a été déplacée lors du déménagement de la gendarmerie de Cadenet dans de nouveaux locaux dans la même commune. L'ancienne gendarmerie sur laquelle nous l'avions photographiée avait été construite au début des années 1980, après la suppression de la brigade de gendarmerie de Lauris et le maintien de celle de Cadenet avec une compétence territoriale élargie incluant notamment la commune de Lauris. En s'installant dans de nouveaux locaux en 2015, la gendarmerie de Cadenet n'a pas oublié cette plaque ; elle l'a rénovée pour la sceller sur une stèle et a donné à ses nouveaux locaux un toponyme rappelant la date à laquelle les quatre gendarmes avaient été fusillés, soixante et onze ans auparavant. Cependant, contrairement à l'emplacement de cette même plaque sur la façade de l'ancienne gendarmerie de Cadenet ouverte sur la principale rue du village, la stèle portant actuellement cette plaque est implantée dans la cour de la caserne derrière la gendarmerie, cour qui est protégée par une barrière fermée à clé. Pour y accéder, il faut entrer dans les bureaux la gendarmerie et obtenir l'autorisation de se faire ouvrir la porte de la caserne, ce qu'un gendarme a accepté en nous permettant de prendre les photographies ci-dessus. Ainsi placée, la stèle est protégée mais inaccessible au public, sauf dérogation ; la mémoire des gendarmes de Lauris fusillés en 1944 a été ici « privatisée » par leurs pairs.


Michèle BITTON avec la collaboration de Jean PRIOL, Mémoires 1939-1945 du Pays-d’Aigues (Vaucluse). 1 ; Ici même en 1944, Association Mémoire et Histoire, Marseille, 2017.

Contexte historique

Lorsque les corps de quatre hommes criblés de balles furent découverts le 15 juin 1944 à 15 h à l'endroit où est érigée la stèle des Garrigues, ils étaient placés l'un sur l'autre dans une fosse creusée à quelques centimètres de profondeur et recouverts d'un peu de terre et de branchages. Selon le rapport du procureur appelé le jour même sur les lieux et les enquêtes ultérieures menées par la police locale aucun témoin n'avait assisté à la fusillade, mais le 14 juin 1944 plusieurs véhicules circulant en direction de Cavaillon avaient été vus à l'arrêt à proximité du lieu où ont été découverts les cadavres et des coups de feu avaient été entendus. Les hommes atteints de multiples blessures à la tête et dans la région lombaire faites par des projectiles très puissants furent rapidement identifiés comme étant ceux de quatre des sept gendarmes de la brigade de Lauris qui, après avoir reçu l'ordre de leur chef de se rendre à Apt, avaient quitté leur caserne dans l’après-midi du 8 juin 1944, revêtus d’habits civils et munis de leur pistolet. Leurs actes de décès furent dressés le 16 juin 1944 à Mérindol et complétés ultérieurement par la mention « Mort pour la France » attribuée à chacun des quatre gendarmes. 

Louis Chauvet (41 ans) : Louis Jean Chauvet, domicilié à Lauris, gendarme. Né le 30 novembre 1903 à Aujargues (Gard). Fils de Félix Chauvet et de Jenny Meynier. Epoux de Juliette Brun. 
Robert Buatois (36 ans) : Robert Ferdinand Buatois, domicilié à Lauris, gendarme. Né à Salavas (Ardèche) le 9 septembre 1908. Fils de Joseph Buatois et de Marie Faure. Epoux de Marie Gombert. 
Henri Celerier (34 ans) : Henri Celerier, domicilié à Lauris, gendarme. Né à Saint-Yriex-La-Perche (Haute-Vienne) le 5 août 1910. Fils de Pierre Célérier et de Catherine Dupuy. Epoux de Juliette Boudaud. 
Henri Escoffier (24 ans) : Henri Marius Alexis Escoffier, domicilié à Lauris, gendarme. Né à Saint-Hilaire-du-Rosier (Isère) le 27 septembre 1920. Fils de Camille Escoffier et d’Alice Jamy. Epoux de Georgette Albanet. 

Dès le 8 juin 1944 (deux jours après le débarquement en Normandie), l’ensemble des brigades de gendarmerie de la section d’Apt reçurent l’ordre de se replier sur Apt. Deux jours plus tard, le chef de la section de gendarmerie d’Apt constatait que, comme la plupart des hommes de ces brigades, ceux de la gendarmerie de Lauris, à l’exception de leur chef, le Maréchal des logis Bourzeix, avaient effectivement quitté leur caserne mais ne s’étaient pas repliés sur Apt. 
Après leur départ de la brigade Lauris le 8 juin 1944 vers 17 h et jusqu’à leur arrivée cinq jours plus tard à Cucuron, l’itinéraire et les activités des quatre gendarmes qui seront fusillés ne sont pas connus. Il fut attesté qu’ils arrivèrent le 13 juin dans la soirée à Cucuron (village situé à quelques kilomètres de Mérindol) où ils furent accueillis par Marius Calvin, responsable de la résistance dans ce village, qui les hébergea pour la nuit dans un cabanon en attendant qu’ils soient pris en charge par des résistants du groupe FTP d’Alphonse Dumay installé dans un maquis proche. 

Le lendemain matin, Marius Calvin n'assista pas à leur arrestation dont les détails seront connus plus tard par d’autres témoins : le 14 juin 1944 à l’aube, un détachement de la 8e Compagnie de la Division Brandebourg qui avait son siège à l’hôtel Splendid de Cavaillon cernait le village du Cucuron ; quatre gendarmes trouvés en tenue civile et porteurs de leurs armes furent arrêtés, probablement sur dénonciation, et emmenés avant d’être fusillés quelques heures plus tard sur le territoire de la commune de Mérindol. 

Au sein de la brigade de gendarmerie de Lauris, ces quatre gendarmes, et plus particulièrement Robert Buatois et Louis Chauvet, avaient pris position en faveur de la résistance alors que leur chef et certains de leurs collègues ne cachaient pas leur opposition à leurs idées et surveillait leurs relations et leurs actions. Ils se sentaient suspectés et menacés à cause des activités qu’ils avaient déjà accomplies, notamment en protégeant par leur silence des jeunes réfractaires au service du travail obligatoire (STO) cachés dans la région ou en transportant du courrier destiné aux maquisards et en leur fournissant des informations sur les mouvements des forces allemandes. Par l’intermédiaire de l’agent de liaison Sabine (de son vrai nom Blanche Favier plus tard épouse Girardin), institutrice à Grambois, ils étaient plus particulièrement en lien avec Maurice Cousin, alias Bibendum, un des responsables locaux de la résistance aux fonctions mal définies. En revanche, le groupe de la résistance d’Alphonse Dumay que les quatre gendarmes s’apprêtaient à rejoindre selon le témoignage de Marius Calvin est mieux connu.

Alphonse Dumay (1919-1983) alias Raphaël et autres pseudonymes, était un militant communiste et fils de militants communistes notoires de Marseille. Chef de la compagnie FTPF de sabotage en Provence, il organisa dès 1943 à la Roche d'Espeil, sur un éperon rocheux du même nom situé sur le territoire de la commune de Buoux, en surplomb de la combe de Lourmarin, un maquis qui deviendra un des plus actifs, mais aussi un des plus controversés du Luberon. 

Les quatre gendarmes eux-mêmes n’ont pas fait partie de ce maquis ; ils furent arrêtés avant de le rejoindre. Leur assassinat fut le premier crime perpétré par la 8e Compagnie de la Division Brandebourg dans le Pays d'Aigues au Sud du Vaucluse, entre Durance et Luberon ; il y sera suivi par les fusillades de seize autres hommes tous également commémorés par des stèles du souvenir érigées à l’endroit où ils ont péri : six hommes fusillés le 9 juillet à Villelaure, huit le 14 juillet à Cadenet et deux le 9 août 1944 au maquis de Mirabeau.

 

Michèle Bitton

Sources 
Mérindol, état-civil, décès 1944, actes n°8, 9, 10 et 11. 
Rapport du Chef de la section de Gendarmerie d’Apt sur l’abandon de poste de 26 gendarmes de la section d’Apt, 10 juin 1944, texte transcrit dans La Résistance en Vaucluse, documents et témoignages, Service éducatif des Archives départementales de Vaucluse, Avignon, CDDP, 1980, doc. 169. 
AD Vaucluse 30 W 240, rapport du Procureur de la République sur l’assassinat des gendarmes de Lauris adressé au Procureur général près de la cour d’appel de Nîmes, 17 juin 1944. 
AM Mérindol (en cours de classement), texte dactylographié du discours prononcé par le Maire de Lauris, Georges Chevalier, le 20 juin 1995 lors des cérémonies commémoratives de l’assassinat des quatre gendarmes de Lauris. 
United Nations War Crimes Commission 7230/Fr/G/2178, 1948. Rapport du Professeur Gros sur les crimes de guerre commis par la 8e compagnie de la Division Brandebourg en 1943-1944 dans le Sud-Est de la France. 
Musée d'histoire Jean Garcin 1939-1945 (Fontaine-de-Vaucluse), fonds Blanche Girardin née Favier, alias Sabine dans la Résistance. 
Olivier LOCQUEGNIES, Vaucluse 44. L’année de la liberté retrouvée. Aspects de la Résistance et de la Libération, Service départemental de l’ONAC, DMPA et Conseil général de Vaucluse, Avignon, 2004. 
Jean-Claude CHAUVET, Louis Chauvet. Un gendarme de Lauris fusillé par les Allemands en juin 1944, chez l’auteur, JCC Production, 2005.
Jean-Marie GUILLON et Guillaume VIEIRA, « La 8e compagnie de la Division Brandebourg. Une pièce essentielle et méconnue de la lutte contre la résistance », Provence historique n°252, 2013. 
Michèle BITTON avec la collaboration de Jean PRIOL, Mémoires 1939-1945 du Pays-d’Aigues (Vaucluse). 1 ; Ici même en 1944, Association Mémoire et Histoire, Marseille, 2017.