Les Petites Ailes, journal clandestin créé par Jacques-Yves Mulliez en septembre 1940

Légende :

Exemplaire du numéro 6 des Petites Ailes, journal clandestin créé par Jacques-Yves Mulliez, en septembre 1940

Genre : Image

Source : © Musée de la Résistance de Bondues Droits réservés

Détails techniques :

Journal dactylographié

Date document : sans date [1940]

Lieu : France - Hauts-de-France (Nord - Pas-de-Calais) - Nord - Lille

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Contexte historique

Tout comme La Libre Belgique, L’Oiseau de France naît en février 1915 dans un milieu catholique. Par contre, il demeure pratiquement l’unique journal clandestin paru dans les dix départements français occupés pendant la Grande Guerre, ce qui s’explique par leur appartenance à la « zone des armées » allemandes, une zone sous régime militaire, avec une densité maximale de troupes d’occupation. C’est déjà une performance que son créateur, le pharmacien Joseph Willot, de Roubaix, ait réussi à le faire durer deux ans (1915-1916), avec un tirage maximum de mille exemplaires, à un rythme parfois hebdomadaire. Comme le reste de la presse clandestine de 14-18, il s’agit d’un organe d’information et d’opinion, qui ne donne que très rarement des consignes d’action et multiplie les conseils de prudence, le premier étant: « cette feuille doit être brûlée après lecture ». Saisissant contraste avec la presse clandestine de 1940-1944, qui incitera ses lecteurs à se transformer en diffuseurs, pour développer des organisations de résistance. Son titre, qui vise à le présenter comme lancé par l’aviation française, n’est d’ailleurs que l’une des neuf appellations d’une feuille qui s’est d’abord appelée La Patience, et pendant un temps (octobre 1915), La Prudence. Pour les régions françaises occupées en 14, l’enjeu est de tenir moralement, dans un conflit où le reste du pays est totalement engagé.

En 1940, le souvenir de L’Oiseau de France est réactivé par Jean-Yves Mulliez, héritier d’une grande dynastie industrielle du Nord: il dénomme Les Petites Ailes une feuille clandestine qui connaîtra 13 numéros d’octobre 1940 à mai 1941, tirés à quelques centaines d’exemplaires. Agent du SR Guerre de Vichy, Mulliez se sert du journal pour recruter des informateurs dans son réseau de renseignement ; réciproquement, il l’alimente en informations récoltées au cours de ses allers-retours réguliers à Vichy. La diffusion des Petites Ailes est assurée par d’anciens officiers, des jésuites et des scouts, le journal étant d’ailleurs reproduit sur la Gestetner du mouvement Scout de France de Tourcoing, chez son responsable, Henri Rousseau. L’origine des Petites Ailes explique que, tout en étant anti-allemand, le journal croie au double jeu de Pétain et soit en faveur de certains aspects de la Révolution nationale.

Par contrecoup, cette feuille très précoce va susciter dans le Nord l’apparition, en 1941, de nouveaux journaux se démarquant de lui : La vraie France, de l’industriel Henri Duprez, et surtout La Voix du Nord, qui deviendra le principal organe clandestin de la région. Un de ses fondateurs, le catholique Natalis Dumez, témoignera avoir voulu reprendre le flambeau de Joseph Willot, mais en affirmant une ligne antimaréchaliste s’opposant aux Petites Ailes. Cet épisode montre combien les enjeux de la presse clandestine ont changé par rapport à la Grande Guerre, un des principaux étant le jugement porté sur la politique du gouvernement français légal depuis l’armistice.

Les Petites Ailes, que Mulliez, menacé d’arrestation, saborde en juin 1941, vont cependant connaître une postérité importante pendant quelques mois, en dehors de la zone rattachée du Nord. Un de leurs diffuseurs, Pierre de Froment, est en contact avec Henri Frenay, créateur du mouvement Libération nationale en zone Sud et qui cherche alors à développer une antenne de son organisation en zone occupée. Au témoignage de Frenay, Froment lui montre au printemps 1941 un numéro des Petites Ailes, en lui suggérant de lancer un journal analogue dans les deux grandes zones, occupée et « libre». Frenay qui ne fait paraître jusqu’alors qu’un Bulletin d’informations en zone Sud, accepte. À la mi-mai 1941 apparaît donc Les Petites Ailes de France. Édition de Paris, suivi début juin par Les Petites Ailes. Journal hebdomadaire. Tirage de zone libre. L’édition parisienne reprend l’épigraphe du titre nordiste: « Lisez attentivement Recopiez copieusement Distribuez prudemment».


Extrait de : "La presse clandestine d’une guerre à l’autre, en France et en Belgique" par Bruno Leroux, La Lettre de la Fondation de la Résistance n°79, décembre 2014 [en ligne]