Page du passeport d’un requis du STO

Légende :

C’est la page 8 du passeport de Pierre Montalibet avec le tampon d’Auschwitz.

Genre : Image

Type : Passeport

Source : © Archives personnelles Pierre Montalibet Droits réservés

Détails techniques :

Le passeport compte 16 pages de 14,5 x 10,3 cm. 6 pages sont utilisées (voir album). La couleur du papier cartonné est bistre, imprimé en rose.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

Le passeport a été établi par la préfecture de police de Paris en date du 3 novembre 1943 alors que Pierre Montalibet a été envoyé en Allemagne au mois de mai. Ce passeport ne lui a jamais été remis. C’est au moment de quitter le camp d’Auschwitz, en janvier 1945, qu’un de ses collègues lui dit que les Allemands avaient l’intention de tout détruire et qu’ils sont allés dans les bureaux voir s’ils trouveraient des papiers les concernant. C’est à ce moment seulement qu’il a découvert l’existence de ce passeport.

Le passeport compte 16 pages. Sur la première figure le nom et la date de naissance. La photo de Pierre Montalibet est agrafée sur la page 3. Sur la page 4 est indiqué, par un tampon à l’encre rouge, que ce passeport, établi par la préfecture de police de Paris, est délivré pour l’Allemagne. Sur la page 7, il est indiqué que ce passeport est valable jusqu’au 3 novembre 1945. La page 8 porte deux visas allemands, à Auschwitz, du 6 décembre 1943 et du 5 décembre 1944. Le visa de la page 9 est daté du 2 mai 1945, à Zell am See.

Transcription des visas de la page 8 :

Dans la partie encadrée :
Autorisation de séjour pour la circonscription de Bielitz jusqu'au 5 décembre 1944
Gesch (geschrieben). Z:LA.II.Pol 300/0
Bielitz,le 6 décembre 1943
Le conseiller (ou sous-préfet)
attaché au secteur de Auschwitz

(signature illisible)

Au-dessous du cadre :
La validité de l'autorisation de séjour (S8) est étendue à la zone frontalière de la circonscription de Bielitz jusqu'au 5 décembre 1944.
Le 6 décembre 1943, le conseiller (ou sous-préfet)
attaché au secteur d'Auschwitz

(signature illisible)

Sur le tampon avec la croix gammée et l'aigle : « de la circonscription de Bielitz »

Transcription du visa de la page 9 :

Transféré en direction du pays natal.
Le conseiller (ou sous-préfet) de la circonscription de Zell am See
Le 2 mai 1945.
(signature illisible)

Écrit à l'intérieur du tampon :
Le conseiller ou sous-préfet) à Zell am See


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

Pierre Montalibet est né en 1918. Il a une formation d’électro-mécanicien. Il a exercé cette activité dans plusieurs entreprises romanaises avant la guerre. Ses enfants et petits-enfants lui avaient demandé d’écrire ses mémoires pour fixer et conserver ce qu’il leur racontait souvent sur son séjour difficile au titre du STO. Son histoire, ci-après, est tirée de cet opuscule de 14 pages tapuscrites (21 x 29,7 cm) et de la conversation que j’ai eue avec lui le 17 février 2011.

Durant les deux premières années de la guerre, les occupants nazis essaient d’appâter des Français par des promesses de conditions de vie et des salaires faramineux pour se faire embaucher outre-Rhin. En 1942, leurs besoins de travailleurs se multiplient dans les exploitations agricoles et les usines allemandes, pour suppléer leurs hommes mobilisés. Besoins qui s’accentuent en fin d’année lorsque, bousculés par les Soviétiques, il leur faut envoyer de plus en plus de combattants sur le front de l’Est. Le responsable du recrutement de main-d’œuvre dans les pays occupés, Fritz Sauckel, aggrave ses exigences. « La Relève », départ d’ouvriers volontaires pour travailler en Allemagne, est instituée par Vichy pour satisfaire aux pressantes demandes allemandes et annoncée par Laval dans une allocution le 22 juin 1942. Au moment où la France a un million de prisonniers français dans les Stalags, les Allemands promettent de libérer un prisonnier de guerre pour trois ouvriers volontaires. Ce sera un marché de dupes, les Allemands ne tenant que très partiellement leur promesse. Le 4 septembre 1942, l’échec de la Relève conduit Vichy à passer à la contrainte : une loi établit la réquisition de main-d’œuvre, concernant les hommes de 18 à 50 ans et les femmes de 21 à 35 ans, pour « effectuer tous travaux que le gouvernement jugera utiles dans l’intérêt de la Nation ». Ce n’est pas suffisant, les pressions allemandes s’accentuent : le gouvernement vote le 16 février 1943 une loi instituant le Service du travail obligatoire (STO) de deux ans en Allemagne.

Pierre Montalibet effectue son service militaire quand la guerre éclate. En 1940, c’est le repli de l’armée française, il se retrouve à Montpellier avec le 28e Génie. La classe 1938 est intégrée à l’Armée d’Armistice. En septembre 1941, la classe 1938 est démobilisée. Pierre Montalibet revient à Romans où il trouve un emploi dans un comptoir d’électricité. En 1943, son employeur l’inscrit sur la liste des employés de son entreprise désignés à l’Office de la Main-d’oeuvre pour aller travailler en Allemagne au titre du STO. Il refuse, mais trois mois plus tard, un dimanche de mai 1943, deux hommes de la Gestapo viennent à son domicile et l’embarquent pour l’Allemagne en passant par Valence, Lyon, Mulhouse, jusqu’à Merseburg où il est recruté par une usine de Caoutchouc synthétique Buna-Werk Schopan, sous-traitante de IG-Farbenindustrie.

Il est resté trois mois dans cette entreprise où il y avait beaucoup de sabotage. Lui-même plantait des clous dans les câbles électriques à poser dans les tranchées. Les représailles n’ont pas tardé : « Un jour de septembre 1943, nous fumes encerclés par un commando SS et, de là, transportés par wagons vers la Pologne (Haute Silésie). Trois jours après, nous étions au camp d’Auschwitz. »

Auschwitz comprend plusieurs camps sur une superficie de 42 km², clôturés par du fil de fer barbelé électrifié, avec miradors tous les 100 mètres. « Nous logerons dans un Blok, le plus près du village d’Aushcwitz, 32 déportés par baraque ». Ce camp faisait partie de tout un réseau de kommandos de travail dont le régime n'était cependant pas comparable à celui des camps de concentration et d'extermination voisins dont la seule issue envisagée était le four crématoire. Auschwitz I et III étaient des camps de concentration, Auschwitz II Birkenau, un camp d'extermination. Dans les deux cas, on éliminait : à Birkenau, tout de suite pour la plupart, aux autres, lentement, après utilisation de la force de travail. Ce n'était pas le but des camps de PG et des camps de travailleurs requis.

« L’usine de Buna est une véritable tour de Babel dans laquelle travaillent, à côté des déportés, des prisonniers de guerre anglais, des hommes des Chantiers de jeunesse français, des ouvriers civils et polonais, des Ostarbeiter ukrainiens, des Allemands et beaucoup de femmes, surtout polonaises et ukrainiennes. Chacun de ces groupes loge dans un camp différent. Ces divers camps entourent l’usine. Malgré les défenses formelles de communiquer, quelques ouvriers civils français essayent d’apporter à leurs concitoyens détenus une aide, hélas minime. Déportés et ouvriers sont commandés par des contremaîtres allemands ou polonais qui, parfois, font preuve de sentiments humains et essayent de procurer aux déportés à midi un peu de soupe de l’usine.» (Marcel Ruby)

« Le lendemain, nous sommes conduits à l’usine où vont se construire quatre fours à carbure, un étant terminé, nous allons complètement l’équiper électriquement. Nous sommes mis à disposition de la firme suisse Brown Boveri C° avec deux ingénieurs. Ceux-là, étant déjà là depuis plusieurs mois avec une équipe d’Allemands (de droit commun) […] nous avions de jeunes forçats polonais qui venaient travailler à notre atelier. Celui qui travaillait avec moi […] avait 16 ans, grand, squelettique et immatriculé au bras gauche. Seul rescapé de sa famille […] Je lui affûtais, à la meule, des lames de scie à métaux en forme de tranchet qu’il emportait cachées entre la semelle et son bois de galoche, pour aller le troquer contre une croûte de pain ou une soupe quand il rentrait dans son camp (de la mort). Nous, les requis, il fallait faire 2,500 km à pied pour rentrer dans notre camp. Inutile de vous dire que l’hiver, par – 25 ° sur ce chemin goudronné, cyclable, givré, on ne pouvait pas tenir dessus, sinon tomber tous les trois mètres. Alors, on arrivait trop tard au Camp et il n’y avait plus rien à manger. […] Pendant la bonne saison, le soir en rentrant, entre l’usine et notre camp, il y avait des champs de betteraves et des pommes de terre en silos. […] nous faisions le plein de déchets de pommes de terre que les paysans polonais nous donnaient en passant […] Nous déposions nos patates dans une armoire de la chambre, porte bien fermée, pour notre réserve de survie. […] nous mangions notre ration du soir, 300 g de pain avec 15 g de margarine, comme tous les jours. »

Pierre Montalibet évoque aussi les nuits où ils sont réveillés par les alertes au cours desquelles ils doivent aller se mettre à l’abri des bombardements.
« Et puis les jours et les mois ont passé, dans ce site d’horreur et de chair calcinée.
[…] Un soir, nous apprenons que notre ami, Pierre Mirault, a été tabassé par un gardien, qu’il souffre de la tête et qu’il est à l’infirmerie. Le lendemain matin, nous le trouvons de retour à la baraque, très souffrant, ses trois amis sont autour de lui, je le tiens dans mes bras, il semble nous faire comprendre qu’il veut que l’on garde ses papiers pour les rapporter à sa mère, mais quelques instants plus tard notre ami nous quittait. Nous nous sommes occupés de lui pour le faire inhumer au cimetière d’Auschwitz […] J’ai eu moi-même la permission d’aller y faire des visites, lui refaire son dessus de tombe à notre manière. Je lui ai confectionné une Croix en barres d’aluminium, avec sur celle-ci sa plaque d’identité. »

Après quelques jours passés à l’infirmerie pour « un fort mal de gorge », Pierre retourne à l’usine. « Pendant ce temps, les armées russes avançaient en Pologne et n’étaient plus qu’à 80 km d’Auschwitz. C’est dans la nuit du 20 janvier 1945 que l’aviation russe et alliée est venue, pour la dernière fois, bombarder le complexe IG Farben Industrie d’Auschwitz. Avant de quitter le camp, les SS incendièrent toutes archives et certains baraquements. »

Devant l’avance des armées soviétiques, les requis partent pour une marche forcée le 22 janvier à une heure du matin, par – 18 °, avec la neige. Ils passent à Bielitz, puis à Zarzuela, Fussiez, Fhrauz, Rasu, Ratibor, Troppau, Echersdorf, Bäru, Losdessul, Steinberg (ville frontière avec la Tchécoslovaquie). Ils ont ainsi parcouru 300 km à pied par un froid glacial, sur des routes de montagne, transportant leur maigre bagage, avec peu de nourriture, couchant dans les locaux disponibles (école, théâtre, cinéma…).

À Steinberg, le 3 février, ils sont embarqués dans un train où ils restent « trois jours faisant halte sur des voies de garage pour laisser le passage aux convois militaires ». Ils passent à Prague, puis à Landrau, Schandau-sur-l’Elbe où ils sont logés sur des bateaux bloqués par la glace. Ils sont mis alors à la disposition de l’organisation Todt pour creuser des tranchées antichars, pendant quelques jours. Dirigés vers Dresde, ils subissent un bombardement très violent à Pirna.

Avec deux autres camarades, Pierre Montalibet tente une évasion vers la frontière tchécoslovaque où ils sont accueillis chaleureusement dans les villages traversés sauf qu’au quatrième, ils sont livrés aux gendarmes par un des habitants. Ils sont alors ramenés à la frontière, livrés à la police allemande et emprisonnés à Lobositz. Ils sont remis au service de la main-d’œuvre allemand.
Munis d’un laissez-passer, ils tentent une nouvelle évasion vers Salsbourg en Autriche. Ils décident de changer de métier, Pierre Montalibet se déclarant boulanger, et se présentent pour obtenir un emploi. Pierre est dirigé vers une boulangerie où l’employé, un prisonnier de guerre français, s’était cassé la jambe. Mais il ne connaissait pas grand-chose à ce métier et le début a été catastrophique.

Après sa période de remplacement, il tente à nouveau de s’évader en utilisant un camion de la Croix-Rouge suisse, avec la complicité du chauffeur. Ils arrivent à Innsbruck que les Américains viennent de libérer. Pendant une dizaine de jours, Pierre Montalibet participe aux derniers coups de feu avec la 2ème Armée des généraux Patton et Bradley.
Il est ensuite rapatrié vers la Suisse où, après dix jours de soins sanitaires à Zurich, il rejoint la France où sa mère le reçoit à bras ouverts à Romans, en mai 1945.

La législation française ne donne pas le titre de « déportés » aux requis du STO. Pierre Montalibet est très en colère contre cette décision. Certes, il sait très bien que la sortie « normale » des camps d’extermination était la fumée des cheminées des fours crématoires et que leur sort n’était pas le même.

Des requis ont pu partir volontairement parce que, jeunes sans travail, abusés par la propagande, ils cherchaient un emploi rémunéré, ou parce qu’ils craignaient les représailles envers leur famille. D’autres – rares - sont partis pour continuer leur combat au milieu de leurs camarades comme Jean Perriolat qui a ensuite été déporté à Mauthausen. Un nombre important de jeunes est allé se cacher dans les fermes ou a rejoint les maquis naissants. Mais Pierre Montalibet considère qu’il a été réfractaire, arrêté de force par la Gestapo et envoyé contre son gré en Allemagne. Affecté à la production industrielle, il a côtoyé et travaillé avec des prisonniers du camp d’extermination. Il a enduré les brimades des kapos. La décision du 27 juin 1977 ne comble qu’en partie sa déception lui donnant droit à la « Carte de personne contrainte au travail en pays ennemi, victime du travail forcé en Allemagne nazie », pour la période du 5 mai 1943 au 10 mai 1945. Il est amer aussi parce que le contrat entre la France et l’Allemagne envisageait une rémunération de ces travailleurs forcés, or sa mère n’a reçu qu’un modeste versement seulement dans les premiers mois. Il ne reçoit que la pension des anciens combattants militaires.


Auteurs : Jean Sauvageon et Robert Serre
Sources : Témoignage écrit et oral de Pierre Montalibet. Marcel Ruby, Le livre de la Déportation, R. Laffont, 1995.