Croix de Lorraine au sol (mémorial FFI de Mirmande)

Légende :

Un des nombreux symboles visibles au mémorial de Mirmande. Photo prise lors d’une cérémonie.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Mirmande

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Analyse média

Le cadre de la photographie est celui du mémorial des FFI de Mirmande. L'élément principal de ce lieu de mémoire est le monument représentant, schématiquement, les contours du département de la Drôme. À son pied est dessinée, incrustée dans le parvis, une Croix de Lorraine dont on peut apprécier les dimensions. Au loin, la vallée du Rhône, étroite à ce niveau, est dominée par les collines de l'Ardèche entaillées par les carrières à chaux.

La photographie a été prise lors de la cérémonie annuelle commémorant la libération de la Drôme le premier septembre 1944.

La croix de Lorraine de Mirmande est la plus grande que l'on puisse observer dans la Drôme. En ce qui concerne les dimensions, à l'autre extrémité, on pouvait remarquer une Croix de Lorraine de deux centimètres incrustée dans la croix de la cour des fusillés de La Chapelle-en-Vercors. Cette croix a disparu ! L'auteur ignore les raisons de cette disparition, touriste en mal de souvenir, opposant au gaullisme ou fervent gaulliste ? Ce fait montre que la Croix de Lorraine est un symbole majeur touchant l'histoire de la Seconde Guerre mondiale en France ainsi que celle de la Résistance.


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

La Croix de Lorraine est l'emblème du gaullisme combattant, devenu celui de la Résistance et après la guerre du gaullisme comme parti politique. Selon son histoire, ses choix, l'observateur en retient une ou plusieurs significations. Symbole fort, il peut être à l'origine de polémiques sur son utilisation.

C'est pour répondre à la croix gammée qu'en juillet 1940, sur proposition du vice-amiral Émile Muselier, la Croix de Lorraine est brodée sur un pavillon tricolore de beaupré des navires et sur les cocardes des avions des forces ralliées au général de Gaulle. La Croix de Lorraine devient, par la suite, le symbole des Français libres. En France, elle apparaît dès 1940 sous forme de graffiti traduisant une sympathie vis-à-vis des Britanniques et de Charles de Gaulle. Puis elle symbolise la reconnaissance de De Gaulle comme chef de la Résistance. Après la guerre, la Croix de Lorraine devient l'emblème des partis politiques gaullistes, du RPF au RPR. En 2002, elle est abandonnée par l'UMP. Ce symbole orne des lieux de mémoire aux dimensions et significations diverses. Il peut être discret, peu visible ou quasiment ostentatoire, ornant un monument public ou une stèle familiale, décorant un lieu républicain laïque ou gravé sur une plaque d'église catholique. Tailles et sites lui donnent des portées différentes.

À Mirmande, la croix est un élément majeur du lieu qui honore des catégories différentes de disparus. En plus de celle incrustée sur le parvis, deux croix préludent aux plaques des personnes mortes pour la France. Sur les murs semi-circulaires dominant le parvis, sont inscrits les noms des Résistants tués au combat mais aussi ceux des déportés drômois morts, des fusillés de Valréas, des aviateurs alliés abattus et morts sur le département, des soldats de l'US Army tués lors de la bataille dite de Montélimar. Cela traduit une volonté d'honorer tous ceux, civils et militaires, qui sont morts pour la libération du territoire, sans tenir compte ni de leur nationalité ni de leur appartenance politique ou religieuse. En 1995, date d'inauguration du mémorial, il semblerait que la Croix de Lorraine soit toujours un symbole fort de la Résistance plus sûrement que celui du gaullisme. Cette universalité ne se retrouve pas sur d'autres lieux. À Mirmande toujours, le monument dédié au maquis Caillet est orné de deux Croix de Lorraine. On peut remarquer que l'une d'elle n'est pas sur la face principale de la stèle mais sur sa tranche. Expression d'une volonté politique, d'un choix esthétique ou simple coïncidence ?

Traduisant une volonté politique, la croix peut être surchargée par une étoile rouge. Deux exemples sont visibles, l'un sur le mémorial de la Résistance à Sainte-Jalle et l'autre sur le monument du quartier Saint-Pierre à Nyons. Le drapeau du 1er régiment FTPF de la Drôme présente la même particularité. C'est l'expression, pour la mémoire, d'une forte implantation FTPF dans le sud de la Drôme.

Si l'on observe à l'échelle communale les monuments aux morts, on constate que la Croix de Lorraine est peu fréquente comme élément de repère et de décoration. On la trouve sur le monument aux morts d'Allex, déposée entre deux « crapouillots », symbole de la guerre des tranchées, forme de combat qui résume pour beaucoup ce que fut la guerre de 1914-1918. À Livron, la croix orne, inscrite dans le V de la victoire, le monument dédié aux morts de 1939-1945, séparé de celui de 1914-1918. On trouve également la Croix de Lorraine sur un monument spécifique à 1939-1945 à Taulignan. Coiffant la stèle, la reproduction de l'appel de Charles de Gaulle renforce la vision gaullienne de l'ensemble. Les militaires honorés sont encadrés par deux croix sur une plaque du monument de la Bâtie-Rolland. À Mours-Saint-Eusèbe, une simple croix est associée au sigle FFI pour rappeler, par une chronologie erronée (1939-1944), la mort de quatre hommes. La croix, encadrée de deux drapeaux tricolores rappelle la mort de quatre hommes lors de la Seconde Guerre mondiale, bien datée à Beaumont-lès-Valence. Alors que la guerre de 1914-1918 n'est rappelée par aucun symbole, celle de 1939-1945 l'est par l'adjonction de la croix entre les dates. Illustrée par la croix dans le V, la libération de la France est invoquée à Gigors pour rappeler la mort de trois personnes. C'est la Résistance, et non des morts, qui est honorée sur une plaque du monument d'Ourches. En 2004, la croix dans le V incarne la Résistance quelles que soient ses péripéties. À Saint-Restitut, l'hommage à un mort est rendu par une petite plaque avec la croix dans le V alors que deux autres hommes tués en 1942 et 1945 ne bénéficient pas du même symbole. Quelle en est la raison ? Au hameau de la Mure, à Vassieux-en-Vercors, la croix est associée au conflit de 1939-1945, alors qu'elle n'est pas gravée sur le monument principal de la commune. Réalisée en fer plat, au pied d'un croix chrétienne, elle est associée à une stèle qui rappelle les « martyrs de 1944 », à côté de celle des « morts de 1914 ». En avant du monument d'Upie, une plaque ornée de la croix rappelle l'exécution de Paul Mially. Pour les monuments aux morts communaux, la Croix de Lorraine se retrouve sur une vingtaine d'entre eux. C'est peu si l'on considère que la Drôme possède plus de 370 monuments communaux. D'autres lieux de mémoire en recèlent. C'est le cas pour des églises. Dans celle de Clérieux, les Lorrains expulsés de Heming en 1940 et réfugiés dans cette commune drômoise associent leur reconnaissance à leurs hôtes en juxtaposant une Croix de Lorraine à leurs noms, sur une plaque scellée sous la statue de Jeanne d’Arc. Que de sens pour cette croix ! Dans l'église de La Bâtie-Rolland, exemple rare, deux plaques ont été scellées de part et d'autre de celle de 1914-1918. Trois noms y sont gravés alors que sur celle de 1914-1918 il y en a 14. Le regard est plus attiré par ces plaques d'autant qu'une erreur chronologique est remarquable. Deux fois sont gravées, en grosses lettres, les dates extrêmes du conflit : 1939-1944. On ne peut retenir l'explication de la libération de la Drôme en septembre 1944 pour justifier l'erreur puisque un soldat est mort le 9 février 1945. La façade de l'église de Vassieux-en-Vercors, reconstruite après les événements de juillet 1944, révèle une Croix de Lorraine discrète, que peu de visiteurs aperçoivent. Elle est dessinée par une disposition particulière des pierres en bossage. Seule une observation attentive permet de discerner ce symbole situé au-dessus d'une croix et d'une statue de la Vierge. La croix se retrouve sur une plaque d'une Vierge du vœu du 15 août 1944, invocation spécifique du catholicisme drômois après 1944. Dominant le village de Crozes-Hermitage, la statue de Marie possède sur son socle une plaque sur laquelle la Croix de Lorraine est encastrée dans le M, initiale de la Vierge. La statue a été consacrée en 1950, c'est-à-dire à une période où commence à s'estomper la mémoire de la Résistance et surtout où le général de Gaulle est dans sa « traversée du désert ». Cette imbrication de la croix avec la Vierge peut prêter à diverses interprétations.

La Drôme est le lieu de deux nécropoles nationales situées, l'une à Vassieux, très connue, l'autre à Eygalayes dans les Hautes Baronnies, quasiment ignorée. Cette dernière est ornée, en son centre, d'une Croix de Lorraine. Ce n'est pas le cas de celle de Vassieux, encore que, sur une photo du transfert des corps, en 1948, on peut distinguer une grande croix de Lorraine mesurant 4 mètres de haut environ. Cette croix a disparu. On en retrouve une, ne mesurant que quelques centimètres, dans la crypte attenante à la nécropole. Elle illustre, sur une plaque, un fragment de poème d'Arthur Rimbaud.

Plusieurs unités combattantes drômoises ont pris comme insigne la Croix de Lorraine. C'est la cas de la compagnie Morin dont le souvenir est matérialisé par une plaque apposée à Beaufort-sur-Gervanne. La croix est superposée à l'insigne du régiment de la Drôme. Pour la compagnie Mabboux la stèle principale est édifiée à Miribel. On la retrouve sur l'insigne de la compagnie, à l'hôpital de Romans, sur la stèle Mabboux à Serves-sur-Rhône. La compagnie Pons a adapté la croix à l'ancre de marine, Paul Pons étant un marin. Cette croix de Lorraine particulière orne le monument d'Espenel et les stèles commémorant les combats menés par la compagnie à Crest et Saillans. À Romans-sur-Isère, le monument dédié au 11e régiment de cuirassiers met en valeur une croix de Lorraine tréflée.

La Croix de Lorraine décore de nombreuses stèles honorant un ou plusieurs Résistants tués lors de combats. Il serait fastidieux de toutes les citer. Celle d'Henry Lugan et d'Alexis Vert, à Sain-t-Laurent-en-Royans, dans la forêt de la Sapine, en bordure de la route D 2 est à noter car à la croix chrétienne de la première stèle a été substituée la Croix de Lorraine.

Dans les mairies, des plaques rappellent des épisodes de la Résistance. Celle de Charols honore son maire déporté et mort à Mauthausen. Plus spectaculaire et unique dans la Drôme, la salle du conseil municipal de Piégon est décorée par les peintures murales de Jean Lhuer. Le Résistant, grandeur nature, est accompagné, comme symbole, de la croix qui se retrouve sur les drapeaux peints sur un mur latéral. Moins artistique mais émouvant, un dessin sous-verre rend hommage à Saint-Bonnet-de-Valclérieux.

Symbole gaulliste ou de la Résistance, la croix orne de façon surprenante, le drapeau de la classe des conscrits de 1946 à Romans-sur-Isère. Cette tradition qui remonte au début de la IIIe République, consistait à parader dans la ville ou le village avec un drapeau tricolore orné de Marianne ou d'un symbole républicain quand les jeunes conscrits passaient le Conseil de révision. Cette pratique, quasiment initiatique, a progressivement disparu dans les années 1960. Romans possède encore un drapeau de la classe de 1965.

La famille peut aussi affirmer son appartenance à la Résistance ou au gaullisme à travers la pierre tombale. Dans un cimetière drômois s'élève une stèle familiale constituée par une Croix de Lorraine.

En conclusion, la Croix de Lorraine orne pratiquement tous les supports de lieux de mémoire. Elle est le type même du symbole polysémique. Elle est ostentatoire comme à Mirmande ou discrète sur le pilier d'une fenêtre d'un bâtiment perdu dans la campagne de Saint-Laurent-d'Onay. L'auteur en a dénombré plus de 80 dans la Drôme. Sa fréquence varie toutefois selon les appartenances politiques des concepteurs des monuments. Elle conserve une forte résonance même si elle a été abandonnée par le parti issu de son fondateur, le général Charles de Gaulle.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.