Françoise Michel

Légende :

Françoise Eugénie Irma Michel
6/08/1920 à Angoulême (16)-20/01/1945 à la forteresse de Jauer, en Haute Silésie (Allemagne, puis Pologne)
Pionnière de la résistance à Dijon ayant accouché dans un bagne nazi

Genre : Image

Type : photo d’identité

Source : © Famille Michel Droits réservés

Date document : 1940

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Côte-d'Or - Dijon

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Analyse média

Fille d’Amable Michel et d’Henriette Jaurant, Françoise, dite Fanchette, est une jeune fille de vingt ans, patriote et catholique, qui s’est dévouée comme toute sa famille, à la cause de la résistance dès la première heure. Elle est employée de commerce chez ses parents, négociants de café, au magasin Coboca, 6, place Grangier à Dijon. Son père, Amable est croix de guerre, croix de feu et orateur du Parti social français (PSF) du colonel de la Rocque, le plus grand mouvement de masse ayant existé à la veille de la guerre. Les historiens parlent aujourd’hui de droite d’ordre, de catholicisme social ou de nationalisme chrétien.
Cette photo est la dernière détenue par la famille de Françoise Michel avant qu’elle ne soit emportée par le tourbillon de l’histoire.


Auteur notice Michèle Chevalier

Contexte historique

Juin 1940, c’est la défaite et près de 2 millions de soldats français vont être capturés par les Allemands et envoyer en Allemagne. En attendant, il faut les parquer, comme dans le camp de Longvic, intallé à la hâte, près de Dijon. Françoise Michel s’y rend chaque jour pour ravitailler les prisonniers de guerre et les aider à passer en zone libre. Une filière se constitue avec une poignée d’amis. Françoise en est l’un des maillons forts avec son père. Ils travaillent avec Maxime Guillot et Camille Chevalier, deux futurs compagnons de la Libération, et au tout tout début avec le chanoine Kir, futur maire de Dijon (de juin à septembre 1940). Simone Harrand, une amie de Françoise, les Regniault, qui tenait un salon de coiffure, Alice Comparot, employée d’assurance, séparée de son mari, un fils de 17 ans, et Jean-Marie Lagrange, croix de guerre, cafetier à Chalon-sur-Saône, en font aussi partie.

Un ami de la famille, F Bray, témoigne en 1947 : “La première vision que j’ai eu de la résistance dijonnaise, ce fut penchées sur les grilles du camp de Longvic deux jeunes filles, dont Mlle Françoise Michel, passant à ces malheureux, avec des vivres, le désir et les possibilités de fuite. Et c’est la famille entière qui rechercha les appuis nécessaires, hébergea, transforma en civils, fit partir enfin des centaines de centaines d’évadés.”
Après la fermeture du camp de Longwic en avril 1942, elle continue à faire passer en zone libre les personnes poursuivies par le régime nazi. Le 11 juillet 1942, un agent de l’Abewr (le contre-espionnage allemand) infiltre la chaîne d’évasion à Chalon-sur-Saöne, chez Camille Chevalier. Sa femme et Simone Harrand sont arrêtées en même temps. Françoise est cueillie par la gestapo au magasin, devant ses parents, le 20 juillet 1942. Son amie Simone a bien envoyé un message à Françoise pour qu’elle s’enfuit avec son fiancé en zone libre. Mais le 25 juillet 1942 au matin, conduite rue d’Auxonne, celle-ci découvre, affolée, dans la cellule qu’on lui a attribuée, deux détenues, dont Françoise. Ses parents n’ont pas voulu qu’elle parte avec Albert, “disant que ce n’était pas correcte pour une jeune fille de voyager avec son fiancé”. Et, en plus, elle est enceinte. Le fiancé de Françoise, Albert Guillot, multiplie les démarches pour qu’ils se marient par procuration, mais en vain. Résistant comme elle, il sera arrêté six mois plus tard en même temps que son père Amable Michel, et décédera à Dachau à 30 ans.

Françoise est condamnée le 6 août 1942 à douze ans de travaux forcées par le tribunal militaire allemand de Dijon, “pour soutien continu de prisonniers de guerre en fuite et falsification répétée de documents”. Il est précisé qu’elle a participé activement à l’élaboration de faux papiers. Sur les sept accusés, elle vient en troisième position pour la sévérité de la peine. Le tribunal note qu’elle a aidé Chevalier comme Simone, et aussi directement Simone, et retient pour elle 75 cas (dans les 800-850 cas selon le Comité départemental de libération et la presse locale à la Libération). Il estime qu’elle a des circonstances atténuantes car c’est la plus jeune des accusés, qu’elle a été influencée par son amie Simone, et qu’elle n’a pas agi pour l’argent, mais par compassion et par un patriotisme “mal placé”. Il a aussi l’impression d’avoir en face de lui quelqu’un de pas très vif et qui n’a pas d’expérience de la vie. Et décide donc de se montrer plus “tolérant” en ne lui octroyant que 12 ans de travaux forcés.
Chevalier est fusillé le 18 août, et Simone voit sa condamnation à mort commuée en travaux forcés à perpétuité. Les deux amies sont déférées de la prison d’Hauteville de Dijon à la Santé à Paris. Tondues et habillées en bagnard, elles partent pour l’Allemagne le 31 août 1942. C’est à Francfort que leur destin diverge.

Le 21 septembre 1942, Françoise arrive à la prison d’application de peine de travaux forcés pour femmes d’Anrath, près de Krefeld et de Dusseldorf (JVA Willich aujourd’hui). Dans les années 30, c’était la plus grande prison d’Allemagne. La partie réservée aux femmes comportait 214 places en 1938, elle recevra 4 à 5 fois plus de prisonnières pendant la guerre, sous la houlette d’un directeur sadique, Bodo Combrick. Condamnées aux travaux forcés par un tribunal militaire et prisonnières de droit commun s’y côtoient.
Françoise y accouche le 10 mars 1943 d’une petite fille, Marie-France. Marie parce qu’elle est catholique, France, par patriotisme. Comme il n’y a qu’une infirmière (qui a aussi le rôle de surveillante générale) et qu’un médecin pour les hommes et les femmes d’Anrath – qui ne tient que trois permanences par semaine – Françoise a dû surtout compter sur ses compagnes de cellule pour accoucher. Elles avaient de l’expérience. L’historienne Corinna Von List rappelle que 64% des femmes déportées avaient plus de 30 ans et étaient installées dans la vie. “Cela invite à corriger l’image de la jeune fille chère à une certaine iconographie de la Libération”, en réalité minoritaire. Pour sauver son enfant, Françoise la confie à l’aumonier de la prison, qui la place dans un couvent de la région. Il s’agit très certainement de Johannes Marschang (1884-1978), un homme d’exception qui encourageait les prisonniers politiques à tenir bon et leur procurait des vivres interdites, s’opposant à Combrick qui les affamait à mort.

Et puis le débarquement des Alliés en Normandie réussit, l’offensive soviétique est en marche. Alors effort de guerre allemand oblige, Françoise est transférée le 17 juin 1944 à la forteresse de Jauer, une autre prison de travaux forcés (en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, aujourd’hui en Pologne, en Haute-Silésie, sous le nom de Jawor). Un lieu de déportation par répression ignoré du public comme Anrath d’ailleurs, et qui reçoit les femmes “”NN”” jugées à Breslau et les femmes non “”NN”” venant de la prison d’Anrath. Bref, les grosses peines. “Dans cette forteresse, lorsque des chants s’élevaient, rapporte une évadée rescapée, c’était toujours de la cellule des Françaises, et avec ce chant, seule forme de résistance possible, c’était un peu d’espoir et de volonté de tenir, qui descendait dans l’âme de ces ensevelies vivantes.” Françoise sait que son amie Simone Harrand, détachée dans un Kommando, est toute proche. Elle réussit à lui faire parvenir son testament : elle lui confie sa fille Marie-France au cas où elle ne reviendrait pas, se sachant malade de la tuberculose. Mais alors que l’évacuation de Jauer vers le KL Ravensbrück se prépare, l’Armée rouge approchant, Françoise meurt le 20 janvier 1945 entre 10 h et 11 h du matin, à 25 ans. Sa fille n’a pas 2 ans. Françoise était jeune et aurait dû s’en sortir comme Simone et bien d’autres. Qu’on en juge statistiquement : dans l’état actuel des recherches, sur les 8 900 femmes déportées par répression, une sur cinq n’est pas revenue. Un taux de mortalité deux fois moins important que pour les hommes. Comme l’a résumé Geneviève de France, la maternité est en soi une cause de surmortalité. Françoise n’aura pas de tombe et son combat de jeune femme déportée par mesure de répression ayant accouché dans les géoles nazies sera ignoré, même si son enfant sera retrouvé à la Libération et adopté (voir notice media Marie-France).

La Dijonnaise Simonne Rohner, déportée à Ravensbrück, qui habitait chez la mère de Françoise quand elle fut arrêtée avec son mari et son fils, rapporte une rencontre révélatrice sur Françoise dans En enfer... 9 février 1944-8 mai 1945, alors qu’elle se trouvait à Hanovre, au printemps 1945 :
–Vous êtes Française?, me dit-elle.
– Oui !
– Moi aussi, je sors de la prison de Hanovre, où nous avions été évacuées de la Forteresse d’Anrath-Les-Kreffeld !
– Vous étiez à Anrath ! Alors vous avez connu Françoise Michel ?
– Mais naturellement que j’ai connu Fanchette, c’était une fille épatante, un cran à tout casser, gaie, charmante !
– Qu’est-elle devenue ?
–Elle fut évacuée par le premier convoi, vers le centre de l’Allemagne, elle était un peu déprimée à l’idée de quitter le lieu où se trouvait sa petite fille, elle a eu énormément de chagrin lorsqu’elle en fut séparée. En tout cas, elle était en bonne santé !
J’appris que cette femme du Pas-De-Calais avait été condamnée à mort, puis graciée, son mari, mineur, avait été fusillé. J’étais toute heureuse de savoir Fanchette vivante et je me réjouissais à l’idée de la revoir bientôt ; quel chagrin j’eus au retour en apprenant sa mort, je ne pouvais y croire…” Un cran à tout casser ? Alors, au tribunal militaire allemand de Dijon, Fanchette n’était pas si si simplette, si naïve que ses juges l’ont cru, elle a simulé pour se protéger et protéger les siens et ses amis. Chapeau. 


Auteur notice Michèle Chevalier

COMPLEMENTS
- Notices media de Jugement du tribunal allemand de Dijon du 14 août 1942, d’Amable Michel, André Guillot, Simone Harrand, Henriette Michel née Jaurant, Marie-France Michel, Simone Rohner
- Fiche de Camille Chevalier, sur le site de l’Ordre de la Libération. Par Olivier Matthey-Doret (Extrait de son livre “Les Compagnons de la Libération de la Région R2).
- Simone Harrand, Simone. Un grain de Sable, mention spéciale au prix littéraire de la Résistance en 1994. L ’Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (Adir) à La Contemporaine.
- Simonne Rohner, En enfer... 9 février 1944-8 mai 1945 dès son retour de déportation en 1945, et qui a habité chez la mère de Françoise. Sur le site web de Michel El Baze 

=> Amable et Henriette Michel et leurs enfants, Françoise et Henri, de Dijon. Pionniers de la résistance en zone occupée. 
Michèle Chevalier. Décembre 2019