Henriette Jaurant, épouse Michel

Légende :

Henriette Jaurant, épouse Michel (29/11/1889 à Clermont-Ferrand-15/09/1947 à Dijon)
Résistante au quotidien
"In mémoriam"

Genre : Image

Type : Presse légale

Source : © Famille Michel Droits réservés

Détails techniques :

Article de presse

Date document : 17 septembre 1947

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Côte-d'Or - Dijon

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Analyse média

  • Description du document.

Brève dans le Bien Public du 23 septembre 1947 “In Memoriam”
"Le 17 septembre dernier, ont eu lieu en l’Eglise Notre-Dame de Dijon, les obsèques de Mme Amable Michel, née Henriette Jaurant, dont le mari et la fille trouvèrent la mort en déportation, le premier le 2 novembre à Dachau, la seconde le 10 janvier 1945. Devant la tombe de Mme Michel, M. F Bray évoqua les éminentes qualités patriotiques de cette épouse et de cette mère. Alors que son mari et sa fille étaient arrêtés, que son fils était passé en Afrique, où il devait revenir avec les chars de la 2e DB, elle supporta seule, avec une vaillance extraordinaire, cette effroyable épreuve. Les perquisitions et les interrogatoires effectués par les sbires de la gestapo n’arrivèrent jamais à abattre son magnifique courage et sa foi invincible dans les destinées de la patrie. Afin de venir à bout de sa résistance, les Allemands à Dijon les perquisitions, les Allemands l’emprisonnèrent quelques temps rue D’Auxonne. Dans cette nouvelle et cruelle épreuve, Mme Michel resta toujours ce qu’elle avait été : une Française indomptable au coeur généreux. Devant tant d’abnégation qu’une distinction officielle aurait dû consacrer, nous nous inclinons bien bas, et tous nos lecteurs s’uniront à nous pour présenter à M. Henri Michel et à sa famille nos condoléances émues.” Non signé.

  • Histoire du document.

Cette brève est en fait un résumé de l’allocution prononcée le 17 septembre 1947 par un ami de la famille, F. Bray, devant la tombe d’Henriette Michel. Les deux documents ont été conservés par la famille. La différence ? Bray y retrace avec plus de détails et avec emphase l’histoire de la famille tout en disant l’indicible qu’omet le Bien Public : Henriette a perdu raison ; en voici la fin : “Mme Michel supporta avec une vaillance qui fit notre admiration cette effroyable épreuve, ces perquisitions et interrogatoires sans fin, puis le resort trop bandé cassa et ce ne fut plus qu’une pauvre épave, mais combien glorieuse et émouvante que les sbires de la Gestapo trainèrent littéralement « rue d’Auxonne ».Oh, Madame, devant ce calvaire inouï de mère et d’épouse, alors que votre fils passé en Afrique pour Servir, s’armait pour revenir avec les chars glorieux de la 2e DB mais ne pouvait vous servir d’appui, devant votre inébranlable volonté de silence en face de l’ennemi, laissez-moi, puisque la France est oublieuse, m’incliner bien bas et bien respectueusement. Devant une telle étendue de souffrances, un tel ensemble de vertus patriotiques poussées jusqu’au sacrifice suprême volontairement accepté, on reste confondu d’admiration.Que cette admiration, chers amis, soit une consolation à votre douleur, que leur exemple reste présent à nos mémoires, afin qu’un jour, si la patrie devait connaître d’aussi dures épreuves, le sang de ces martyrs soit une nouvelle semence de héros n’ayant eux aussi qu’une seule devise : «Pour sauver la France»”.


Auteur notice Michèle Chevalier

Contexte historique

Fille naturelle de Marie Irma Jaurant, couturière à Clermont-Ferrand, Henriette (c’est son prénom d’usage) appartient à une lignée de paysans et de maçons de la Creuse. Elle se marie le 16 juin 1919 avec Amable Michel, 32 ans, voyageur de commerce, à Angoulême. Elle a deux enfants, Françoise Eugénie Irma, née le 26 août 1920, à Angoulême, et Henri Antoine Robert Michel, qui voit le jour le 22 avril 1922 à Clermont-Ferrand. La famille migre en 1927 à Dijon 10, rue Jacques-Cellerier. Son mari, en 1935, devient un négociant de café et ouvre un magasin de vente au 6, place Grangier à Dijon. Il milite aussi au Parti social français du colonel de la Rocque comme orateur.

La famille est catholique et aide à l’évasion des prisonniers de guerre du camp provisoire de Longvic, puis à celle des personnes pourchassées (voir notice media d’Amable Michel). Henriette voit son fils partir clandestinement rejoindre l’armée française d’Afrique en 1941. La filière partie de Nancy et l’autre de Bruxelles viennent se réunir, avec le franchissement de la ligne de démarcation, dans leur petit appartement de la rue Jacques-Cellerier. Après l’arrestation de leur fille en juillet 1942, Henriette, comme son mari, au bout de deux jours, sont incapables de résister aux supplications des malheureux porteurs du mot de passe, se souvient un ami de la famille. Puis c’est au tour d’Amable six mois plus tard d’être arrêté. Henriette reste seule à Dijon et n’a plus aucune nouvelles dès lors de son mari et de ses deux enfants. Si elle tient tête face aux perquisitions et ne parle pas, elle craque physiquement (son fils parle de convulsion).

L’ami de famille précise : “Les perquisitions et les interrogatoires effectués par les sbires de la Gestapo n’arrivèrent jamais à abattre son courage et sa foi dans les destinées de la patrie. mais en février 1944, les Allemands décapitent la résistance dijonnaise, et notamment les membres de Ceux de la Résistance”. Or, Bien que sa maison soit très surveillée, et que les bâtiments à côté soient remplis d’Allemands, Henriette héberge depuis quelques mois la famille Rohner au 10, rue Jacques-Cellerier. Celle-ci a résisté dès 1940 avec les Michel, et milite pour Ceux de la Résistance qui vient de fusionner dans le Mouvement de libération nationale.

Dénoncés par un certain Pierre en mars 1944, les Rohner sont arrêtés chez Henriette qui n’ouvre la bouche qu’une fois, au début, pour dire : “Allez-y, j’ai l’habitude, ça fera la troisième fois que vous venez retourner ma maison. Ma fille, mon mari, mes amis ! Simonne lui chuchote à l’oreille : “Cave” car elle y a entreposé les tracts “Où allons-nous” de Bernanos des Cahiers de Témoignage Chrétien. “J’ai su après qu’elle n’avait pas compris, il est vrai que depuis quelques mois sa pauvre tête était complètement détraquée.
Interrogée à maintes reprises par un officier SS et un interprète, Yann, elle voit arriver le vendredi 24 Mars 1944, Henriette pour une confrontation.
– Vous l’avez arrêté ? dis-je à Yann.
– Mais oui !, répondit-il en riant, ne nous avez-vous pas dit qu’elle vous avait donné de l’argent pour la Résistance?
– Moi ? Mais pas du tout, vous connaissez peut-être bien le français mais relisez ma déposition, je vous ai dit: des gens comme Mme Michel par exemple, et non, Mme Michel m’a donné de l’argent. Dans ces conditions, dis-je en m’échauffant, il faut arrêter tout Dijon, car tout le monde m’a donné !
– Du calme, du calme, me dit Yann.
– Cette femme est malade, informez-vous près du Dr Soichaux et faites-là examiner au besoin par un Docteur allemand. Elle a complètement perdu la tête depuis l’arrestation de son mari et est en dehors de notre affaire, la pauvre femme serait bien incapable de s’occuper de quoi que ce soit!
L’interprète Yann traduisit au S.S. Celui-ci haussa les épaules et l’interrogatoire commença pour Henriette :
– Avez-vous donné de l’argent à madame Rohner pour la Résistance?
– C’est possible, répondit-elle, je ne m’en souviens pas !
– Avez-vous eu des tracts entre vos mains?
– Bien sûr, comme tout le monde, j’en trouvais très souvent dans ma boîte aux lettres!
– Qu’en faisiez-vous?
– Je ne sais pas… Puis brusquement, elle mit ses mains sur ses hanches et faisant face au S.S. elle lui dit en riant aux éclats: “…Vous ne me faites pas peur, c’est pas la peine d’essayer de vouloir être plus méchant que vous n’en avez l’air, j’ai pas peur moi… non, j’ai pas peur !” Et elle riait, riait en se trémoussant sur place.

Simonne réclame avec insistance la libération d’Henriette, mais aussi les Roclore. Henriette a en effet pour compagne de cellule à la prison départementale de Dijon, Madeleine Roclore, 40 ans, épouse de Marcel (1897-1966), médecin-chef, croix de guerre, animateur du défunt Parti social français à Dijon et membre de Ceux de la Résistance. Pseudonyme Morvan, membre fondateur d’un maquis du Morvan et membre du Comité directeur de Ceux de la Résistance du futur député maire de Saulieu,. L’avis médical prévaudra. Henriette sort de prison cinq jours plus tard.

Dijon est libéré le 11 septembre 1944. Elle apprend sans doute que son mari et sa fille ne reviendraient pas vers mai 1945, lors du retour des déportés dijonnais, comme Simone Harrand, Blanche Grenier- Godard ou Eugène Marlot. En tout cas, à la parution à la une du Bien public le 21-22 juillet 1945 de “Deux victimes des camps d’extermination”, elle sait, c’est sûr, car les photos publiées sont celles que détenait la famille. Elle rencontre peu après sa petite-fille Marie-France qui a à peinte trois ans, mais la rejette car elle parle allemand, “la langue de l’ennemi”. Sa dernière grande joie selon son fils Henri est de connaître son petit-fils né le 15 mars 1947.
Henriette meurt le 15 septembre des séquelles des mauvais traitements qu’elle avait endurés. Epouse, mère et grand-mère. Son fils comme la société et les politiques d’alors ne la voient que par ces prismes. Alors le seul hommage public qui fut rendu à cette résistante de l’ombre fut celui du Bien Public dans "In memoriam". Aucune étude ne semble exister sur les dommages collatéraux de la résistance civile.


Auteur notice Michèle Chevalier

COMPLEMENTS
- Notices media d’Amable Michel, André Guillot, Simone Harrand, Françoise Michel, Marie-France Michel, Simone Rohner
- Jugement du tribunal allemand de Dijon du 14 août 1942
- Simone Harrand, Simone. Un grain de Sable, mention spéciale au prix littéraire de la Résistance en 1994. L ’Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (Adir) à La Contemporaine.
- Simonne Rohner, En enfer... 9 février 1944-8 mai 1945 dès son retour de déportation en 1945, et qui a habité chez la mère de Françoise. Sur le site web de Michel El Baze. 

=> Amable et Henriette Michel et leurs enfants, Françoise et Henri, de Dijon. Pionniers de la résistance en zone occupée. 
Michèle Chevalier. Décembre 2019