Plaque en hommage à René Leynaud, Lyon

Légende :

Né le 24 août 1910 à Vaise (quartier de Lyon, 5e arrondissement ), journaliste au Progrès de Lyon et poète, René Leynaud rejoint le mouvement Combat fin 1942. Il est fusillé sommairement à Villeneuve (Ain) avec 18 autres détenus de Montluc le 13 juin 1944.

Genre : Image

Type : Monuments et plaques

Producteur : Mylène Babolat

Source : © Cliché Mylène Babolat Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : Juillet 2020

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Rhône - Lyon

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Contexte historique

Dans sa notice “Camus : la voix de la Résistance” (Dictionnaire historique de la Résistance), Jean-Yves Guérin écrit à propos du futur prix Nobel : “Camus n’a jamais pensé avoir été un héros de la Résistance ; il en fut un “deuxième classe” ; les meilleurs selon lui, sont ceux qui ont payé leurs convictions de leur vie, tel ce René Leynaud dont sa préface à des poèmes posthumes est un tombeau du Résistant inconnu.” René Leynaud est-il vraiment un Résistant inconnu ?

René Leynaud était le dernier enfant d’une famille nombreuse (douze enfants), d’origine ardéchoise : son père, Frédéric Ernest Leynaud, né dans dans une famille d’agriculteurs, du hameau de Merzelet, commune de Vinezac, village situé sur le piémont vivarois des Cévennes, avait émigré à Lyon de même que trois de ses frères et soeurs, pour y rechercher du travail. Les frères et soeurs s’étaient tous installés dans le quartier de Vaise. Leurs épouses et époux respectifs étaient également originaires de l’Ardèche. La mère de René Leynaud, Marie Cécile Charray, fille d’agriculteurs, était née à Paysac (Ardèche). Le père de René Leynaud exerça de multiples métiers, ce qui valut de nombreux déménagements à sa famille : il fut pendant plusieurs années chauffeur à Cours-La-Ville (Rhône) puis il tenta de se réinstaller en Ardèche, à Saint-Sernin, où il se déclara cultivateur et tint un café dans le quartier de la gare. Au début du XXème siècle, il revint dans le Rhône et devint teinturier à Saint-Rambert-L’Ile-Barbe, puis il s’installa à nouveau à Vaise où il fut charbonnier. Il y mourut le 17 novembre 1913 alors que René Leynaud était à peine âgé de trois ans.
La veuve de Frédéric Ernest changea une dernière fois de domicile et s’installa avec ses enfants au 6, rue de la Vieille monnaie (aujourd’hui rue René Leynaud) dans le 1er arrondissement de Lyon. Elle y mourut le 19 juin 1939. Les liens avec la famille ardéchoise étaient demeurés forts. Dans les années vingt, adolescent, René Leynaud passait régulièrement ses vacances d’été à Vallon (Ardèche), rue du Barry, chez une de ses grands-mères.

A Lyon, René Leynaud fréquenta l’école communale publique puis poursuivit ses études secondaires au lycée Ampère. Il entreprit ensuite des études de Droit et pour les financer travailla comme pigiste au journal le Progrès de Lyon à partir de 1933. “C’est probablement dans les années qui le séparaient alors de la guerre qu’il se définit à lui même son goût de la poésie et son christianisme profond” note Albert Camus évoquant son ami en 1947. Féru de poésie et de culture allemande, il devint journaliste. Mobilisé en 1939, il se retrouva sur le front d’abord en Lorraine puis en Belgique. Pris au piège dans la poche de Dunkerque alors que son unité s’était disloquée, il réussit à gagner l’Angleterre sur une embarcation de fortune avec quelques éléments du Génie français : l’embarcation frôla le naufrage et mit 22 heures pour rallier Plymouth. Sans doute renvoyé au combat en France, il échappa à la captivité. Il se trouvait “à Agen, exténué et malade” (suivant les confidences de son épouse à Albert Camus) au moment de l’armistice de juin 1940. Après sa démobilisation, il reprit son métier de journaliste au Progrès de Lyon. Le 24 décembre 1940, René Leynaud épousa Ellen Lothammer dont la famille résidait en région lyonnaise. Le couple eut bientôt un garçon : Pierre Leynaud.

Dans l’équipe du Progrès de Lyon, René Leynaud côtoya des journalistes et des gens de lettres, futurs cadres de la Résistance : Georges Altmann, Marcel Rivière, Rémy Roure, Yves Farge, Pierre Corval. Le journal, soumis à la censure de Vichy en zone non-occupée, entretenait des relations ambivalentes avec le régime pétainiste. Après l’invasion de la zone Sud, le 11 novembre 1942, Le Progrès, dirigé par Émile Brémond, cessa sa parution, mais la direction continua de verser leurs indemnités à ses salariés. De ce moment date l’engagement plein de René Leynaud dans le mouvement Combat dont il devint l’un des principaux responsables dans la région lyonnaise (sous les pseudonymes Clair ou Clerc et Rouche). Il fut placé à la tête des services de renseignements, responsabilité qu’il continua d’assumer au sein des MUR. Il prit également en charge la direction locale du “comité national des journalistes clandestins”.

René Leynaud avait conservé une chambre au 6, rue de la Vieille monnaie. Il y abrita ses camarades de la Résistance de passage à Lyon. Il fit ainsi la connaissance d’Albert Camus, affilié lui aussi à Combat. Un goût partagé pour la littérature, des origines sociales populaires communes, en firent des amis proches. Dans les rendez-vous clandestins du mouvement Combat puis des MUR, Camus et Leynaud se retrouvèrent souvent à Lyon, à Saint-Étienne, à Paris.
“La dernière fois que je l’ai vu”, nota Albert Camus en 1947, “c’était à Paris, au printemps de 1944. Nous n’avons jamais été plus près l’un de l’autre qu’au cours de cette dernière rencontre. Nous nous étions retrouvés dans un restaurant de la rue Saint-Benoit et ensuite, le long des quais et par une merveilleuse journée, nous avions longtemps parlé de l’avenir”. René Leynaud comptait également dans le cercle de ses amis un poète qui logeait dans la clandestinité chez sa sœur Louise à Lyon : Francis Ponge.

Leynaud participa à la rédaction, à l’impression et à la diffusion du journal Combat ainsi qu’ à celles d’autres feuilles clandestines (Témoignage Chrétien, Défense de la France, La Marseillaise, les cahiers de Témoignage chrétien ...) ; ces journaux étaient tirés le plus souvent dans des imprimeries de la région lyonnaise qui bénéficiaient d’une couverture officielle. Combat fut bientôt édité avec un tirage important sur les presses d’une imprimerie clandestine installée rue Viala dans les locaux du très officiel “Bureau de recherches géodésiques” dirigé par un polytechnicien parisien, ingénieur aux cables de Lyon, André Bollier. Pour réaliser ce travail périlleux, l’équipe de la rue Viala avait recruté dans le cercle des relations de René Leynaud d’autres employés du Progrès, notamment le photograveur Francisque Vacher, le typographe Paul Jaillet. Durant la guerre, pour des raisons liées au ravitaillement et à la Résistance, René Leynaud retrouva aussi le chemin de l’Ardèche. Selon Louis-Frédéric Ducros, il rendait de fréquentes visites à ses cousins Montcouquiol, agriculteurs à Vinezac. Il fit adhérer Édouard Montcouquiol, (dont l’épouse était née Leynaud) au mouvement Combat. (Montcouquiol devint un des chefs de la résistance ardéchoise, sous le pseudonyme de “capitaine Jules”, affilié à l’AS puis aux FTPF).

Le 16 mai 1944, en fin de journée, René Leynaud fut contrôlé par la Milice, place Bellecour à Lyon. Il était porteur de documents compromettants : il avait été repéré dans l’après-midi alors qu’il relevait une boite aux lettres de la Résistance passage de l’Argue. Il tenta de s’enfuir. Un tir des miliciens le blessa à une jambe. Capturé, conduit au siège de la Milice puis à l’Hôtel-Dieu, il fut rapidement transféré à Montluc (une tentative de ses camarades pour le faire évader de l’Hôtel-Dieu, ne put aboutir). Dans la matinée du 13 juin 1944, les Allemands prélevèrent 19 prisonniers de Montluc, choisis parmi ceux qu’ils pensaient être les plus responsables de la Résistance. René Leynaud en était. Embarqués dans un convoi de camions bâchés, les prisonniers furent conduits d’abord place Bellecour au siège de la kommandatur puis le convoi se rendit dans les Dombes, dans le département de l’Ain, et emprunta la route reliant le village de Villeneuve à celui de Saint-Trivier-sur-Moignans. Au lieu dit “Boye” (commune de Villeneuve), en bordure d’une forêt de peupliers, ils firent descendre leurs prisonniers par groupes de six et les mitraillèrent dans le dos. L’un d’entre-eux, Jacques Thoinet, 19 ans, gravement blessé, survécut. Il échappa au coup de grâce, fut recueilli et soigné par un cultivateur voisin du lieu d’exécution. Le 26 août 1945, un monument fut érigé sur les lieux du massacre. Jacques Thoinet (19 juin 1924-2 mai 1981) n’eut de cesse de témoigner sur le martyre de ses camarades, en particulier sur celui de René Leynaud qui était à ses côtés dans le convoi allemand.

Les dix-huit morts de la fusillade, dont les corps furent abandonnés sur les lieux du massacre par les Allemands ne furent pas immédiatement identifiés. René Leynaud fut reconnu parmi les victimes de la tuerie le 24 octobre 1944. Son décès fut enregistré à la mairie de Villeneuve le 30 octobre 1944, sur déclaration de son beau-père, Roger Lothammer. La mairie du premier arrondissement de Lyon le transcrivit beaucoup plus tard dans son registre des décès le 9 mars 1962.
Les obsèques de René Leynaud furent organisées en l’Église Saint-Polycarpe de Lyon le 4 novembre 1944 en présence du général De Gaulle, en déplacement à Lyon et dans les Alpes. Il plaça sur son cercueil la Croix de guerre et la médaille de la Résistance. Le nom de René Leynaud fut inscrit au Panthéon de Paris dans la liste des “écrivains morts au Champ d’honneur”.

Marcel Rivière, journaliste au Progrès, déporté, rapporta dans ses souvenirs l’émotion qui l’étreignit lorsqu’il revint des camps et apprit de la bouche d’Yves Farge, devenu commissaire de la République en Rhône-Alpes, la mort de son collègue de travail. Albert Camus lui rendit hommage dans Combat. En 1945, il dédia son œuvre “Lettres à un ami allemand” à “son ami René Leynaud”.

René Leynaud n’avait jamais publié ses textes poétiques. Sa veuve, Ellen Leynaud, confia à ses amis les cahiers et les brouillons qu’elle put retrouver. Francis Ponge effectua un choix et un classement des textes qui furent édités par Gallimard en mars 1947 sous le titre “poésies posthumes”. Albert Camus en écrivit la préface. Ellen Leynaud retrouva dans les papiers de son mari un autre texte poétique qu’elle confia à un éditeur, Armand Henneuse (Les Ecrivains réunis), lui demandant un tirage de luxe, mais confidentiel (40 exemplaires) qu’elle réserva au cercle des amis du poète. “Le Poème inachevé” parut en décembre 1947, imprimé par Audin à Lyon “sur pur fil Johannot, fabriqué en Vivarais, patrie de l’auteur”. La mémoire de René Leynaud, vive à la libération, après une période d’éclipse (années cinquante et soixante) a ressurgi.

Le 9 juillet 1945, la municipalité de Lyon prit la décision de renommer la rue de la Vieille monnaie rue René Leynaud ; démarche complétée par la pose d’ une plaque commémorative le 2 mars 2016 au n°6 où il habitait. En 1969, Pierre Seghers retint dans son anthologie poétique (Le livre d’or de la poésie française 1940-1960, tome 2) un extrait du poème “Etre” accompagné d’une brève présentation biographique. Dans les colonnes du Progrès et dans des publications régionales, le journaliste Paul Gravillon, érudit local, multiplia les articles et les rappels sur René Leynaud dans les années quatre-vingt-dix. La famille du poète, son fils Pierre, ses petits-enfants, contribuèrent à ce réveil de la mémoire. En 1994, les Poèmes posthumes furent réédités dans une version bilingue (Français-Allemand) par les éditions Comp’act”et le Goethe institut de Lyon présidé par le fils d’une famille allemande anti-nazi, Bernhard Beutler. La même année, la revue Laudes réédita dans ses colonnes le “Poème inachevé”. Le Mémorial de la prison de Montluc, ouvert en 2010, plaça le portrait de René Leynaud et une brève biographie dans la cellule où il fut détenu. Dans le cadre du Printemps des poètes, à l’initiative de l’association de poésie Pandora et de la bibliothèque municipale de Lyon-La Part-dieu, avec le soutien de la DRAC, un prix René Leynaud fut créé à Lyon en 2015, attribué à “un ouvrage de poésie contemporaine, porteur d’un souffle de Résistance” (premier lauréat : Thomas Vinau pour son recueil “Bleu de Travail” remis au cours d’une cérémonie au CHRD de Lyon). En 2016, le compositeur Gilbert Amy a présenté au festival d’Aix-en-Provence une composition,“Le poète inachevé”, inspirée de la vie et de l’oeuvre de René Leynaud.


Notice LEYNAUD René, Eugène par Pierre Bonnaud, version mise en ligne le 24 juin 2018, dernière modification le 24 juin 2018.