"Solidarité"

Légende :

Compte-rendu manuscrit en yiddish sur la situation de l'organisation "Solidarité" en avril 1942.
Un exemplaire du journal Solidaritet [Solidarité] est présenté dans l'album joint à cette notice.

Type : Manuscrit

Source : © Mémorial de la Shoah, CMXXV_8_4 Droits réservés

Détails techniques :

Document manuscrit de deux pages recto-verso

Date document : Avril 1942

Lieu : France

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Traduction de la première page :

"Etat de l'organisation au mois d'avril :
76 comités d'hommes, 151 comités de femmes, 10 groupes de jeunes, en tout 810 militants et 2795 collecteurs.
Collectés : de février à mai, 624 214 francs
Dépensés : de février à mai, 595 381 francs
Secours aux familles : 2745 francs ; colis alimentaires : 2640 francs (dans les prisons et dans les camps).
Nous éditons un journal, Solidarité, tous les quinze jours en 1200 exemplaires.
En plus du secours matériel et moral, nous mobilisons les masses par la propagande dans la lutte contre l'occupant : ne pas travailler, travailler moins, exécuter un mauvais travail. Ne pas faire de commerce avec eux. Nous créons un état d'esprit pour que les relations envers eux soient comme avec des lépreux (après une explication qui convient).
Pour l'ouverture des portes des camps et des prisons, contre les exécutions et les déportations. Nous prouvons le rôle néfaste des "petits juifs bruns*", ainsi (...)".

* Il s'agit de l'UGIF


Traduction extraite de : Par-delà les barbelés / lettres et écrits rassemblés par David Diamant, Erlich, Paris, 1986, page 152.

Contexte historique

Au cours de l’entre-deux-guerres, dans le contexte d’une immigration importante en France, la stratégie mise en place par le Parti communiste pour attirer les travailleurs immigrés et les encadrer consiste à les intégrer dans les cellules communistes traditionnelles tout en leur permettant d’avoir une structure spécifique organisée en sous-sections par nationalité ou par langue. Cette organisation, d’abord appelée en 1923 le bureau de la Main-d’œuvre étrangère (MOE) devient en 1932 la Main-d’œuvre immigrée (MOI). En 1935, la MOI comprend une dizaine de groupes de langues qui disposent chacun d’une direction et d’un journal. Si les juifs peuvent être membres de diverses sections en fonction de leur pays d’origine (Pologne, Hongrie…), une section juive est également créée. Elle se révèle rapidement comme l’une des plus dynamiques de la MOI avec le développement de nombreuses associations et la publication d’un journal quotidien en yiddish, Naye Presse, diffusé à 10 000 exemplaires, ce qui en fait le plus important quotidien yiddish en Europe de l’Ouest. Par l’intermédiaire de son réseau d’institutions sociales, culturelles et sportives, la section juive de la MOI joue un rôle d’entraide important au sein de la communauté des immigrés juifs à Paris et permet de les acculturer à la France.

L’interdiction du PC par le gouvernement Daladier en septembre 1939 à la suite du pacte germano-soviétique entraîne la dissolution de l’ensemble des institutions et associations qui lui étaient liées. La section juive de la MOI se reconstitue dans la clandestinité au cours de l’été 1940. La première réunion organisée par deux membres de la direction de la MOI, Gronowski et Kaminski, se tient à Paris début septembre, au domicile de Rex Puterflam, 54 rue de Custine dans le XVIIIème arrondissement. Y participent d’anciens rédacteurs de la Naye Presse (Adam Rayski, David Kutner, Mounie Nadler) ainsi que Simon Cukier (directeur de la Clinique populaire), Jacques Ravine, Isaac Kristal (dirigeant de l’Ordre ouvrier, une œuvre sociale communiste), Sophie Schwartz (dirigeante des Femmes juives contre la guerre et le fascisme avant 1939) et Teschka Tenenbaum (militante du syndicat de la Confection).

L’organisation reprend la publication de son journal, renommé Unzer Wort (Notre parole), et se reconstruit dans la clandestinité sous la couverture du mouvement « Solidarité » qui réactive les différentes organisations d’entraide qui existaient avant la guerre. Alors que le PC reconstitue au cours de cette période des cellules d’entreprises destinées à regrouper à la base les militants ouvriers sur leur lieu de travail, « Solidarité » regroupe pour sa part ses sympathisants à partir de leurs lieux d’habitations qui est pour les artisans juifs bien souvent leur lieu de travail. Des comités d’immeubles, de rue et de quartier sont mis en place ainsi que des groupes s’adressant à des catégories particulières (femmes de prisonniers de guerre par exemple). Alors que la population juive immigrée se trouve dans une situation difficile du fait des conséquences de la défaite et de l’Occupation (pénuries, difficultés de ravitaillement, chômage) mais aussi des premières mesures antisémites adoptées par le régime de Vichy (le statut des Juifs du 3 octobre 1940), « Solidarité » développe d’abord des actions destinées à favoriser l’entraide. Des collectes de fonds sont organisées pour être redistribuées aux familles les plus démunies ainsi qu’aux femmes dont les maris sont prisonniers de guerre. Le dispensaire de la rue de Turenne, la cantine populaire de la rue Saintonge et le foyer ouvrier de la rue du Faubourg du Temple qui existaient avant la guerre sont ré-ouverts pour apporter des soins et un meilleur ravitaillement. A la fin de l’année 1940, le nombre de groupes ou de comités de « Solidarité » dépassait la centaine en région parisienne. Pour des raisons de sécurité, chaque groupe se limite à 3 personnes, conformément à la règle mise en place par l’appareil du PC pour la reconstitution des cellules clandestines de l’organisation.

Derrière ces activités sociales et humanitaires, « Solidarité » permet également de diffuser la propagande communiste (distributions de tracts et diffusion de la presse clandestine du parti). Les réunions de l’organisation servent aussi à la formation idéologique de ses membres et permettent de porter à leur connaissance la « ligne » adoptée par l’appareil qui évolue en fonction des événements extérieurs et des choix décidés par Moscou. Après une phase consistant à dénoncer la poursuite de la « guerre impérialiste » et à limiter les attaques contre les Allemands dans le contexte du pacte germano-soviétique, le PC renoue avec une ligne antifasciste claire dès lors qu’Hitler a déclenché son offensive contre l’URSS en juin 1941.

La situation de « Solidarité » se complique à partir du printemps et de l’été 1941 lorsque sont organisées à Paris les premières rafles de juifs étrangers par les Allemands (la première rafle, dite du "billet vert", se déroule le 14 mai 1941). Alors que la plupart des militants menaient des actions clandestines tout en conservant leur identité, leur profession et leur domicile légal, une clandestinité totale s’impose désormais. Ce choix s’explique également par le refus des membres de "Solidarité" de voir leur organisation passée sous la coupe de l’Union Générale des Israélites de France (UGIF) mise en place par le régime de Vichy à la demande des Allemands pour contrôler l’ensemble des institutions juives. Trop visibles, la clinique et la cantine de l’organisation sont fermées. L’évolution des événements et les grandes rafles de l’année 1942 amènent la section juive de la MOI à développer de nouvelles structures, davantage spécialisées dans le sauvetage et la résistance, et qui prendront donc la suite de « Solidarité » qui était l’organisation la plus active au début de l’Occupation : le Mouvement national contre le racisme (MNCR) est créé en 1942 à Lyon, l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) en avril 1943. Avec la création des FTP-MOI en 1942, plusieurs jeunes militants qui avaient participé aux activités de « Solidarité » en 1940-1941 rejoindront par ailleurs la lutte armée menée contre les Allemands et leurs auxiliaires de Vichy. 


Auteur : Fabrice Grenard

Sources et bibliographie
Stéphane Courtois, Denis Peschanski,Adam Rayski, Le Sang de l'étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, 1994.
Annette Wieviorka, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Perrin, 2018.