La chute de la section parisienne de l'Organisation juive de combat (OJC)

Légende :

Lettre manuscrite, datée du 21 juillet 1944, signée « Betty », dressant un bilan des arrestations au sein de la section parisienne de l'OJC.

Type : Lettre

Source : © Mémorial de la Shoah, DCCCXCV Droits réservés

Détails techniques :

Lettre manuscrite

Date document : 21 juillet 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Cette lettre manuscrite, datée du 21 juillet 1944, soit deux jours après la vague d’arrestations qui a décapité la section parisienne de l’Organisation juive de combat (OJC), est signée "Betty". Il pourrait s’agir de Betty Knout, fille d’Ariane Knout et membre de l’OJC. Sa principale activité au sein de cette organisation était le transport d’armes d’une région à l’autre et c’est au retour d’une de ces missions le 20 juillet 1944 qu’elle découvre la catastrophe qui a frappé son mouvement dans la capitale. Hormis Betty, le seul rescapé mentionné est Lucien Rabier, pseudonyme de Lucien Rubel, également absent de Paris lors du démantèlement du groupe. On ignore le destinataire de ce rapport mais il semble probable qu’il soit adressé à Lucien Lublin, l’un des principaux responsables de l’Armée juive. C’est Lublin qui donna pour consigne aux militants de l’AJ de Nice et Lyon d’envoyer des renforts à Paris après les arrestations.

Le rapport de "Betty" comprend trois parties: la liste des personnes arrêtées et celles des disparus (dont l’arrestation est incertaine), des hypothèses sur l’origine des arrestations, et un état de la situation au 21 juillet 1944.

La liste des résistants arrêtés comprend leur pseudonyme et leur fonction. Nous avons essayé d’établir une correspondance avec leurs véritables identités. Il s’agit de :
- "Henri, responsable général de l’AJ [Armée juive] à Paris" - Henri Pohorylès
- "Maurice Cachoud, chef du SFP pour le MLN" [service des faux papiers du mouvement de libération nationale]- Maurice Loebenberg
- "Kor, responsable général des Hollandais en France" - Max Windmuller
- "Trèfle, chef de la LJ [Légion juive] de Paris" - André Amar
- "César, adjoint du précédent" - César Chamay
- "Ernest – chef des GF [groupes-francs] de l’AJ» - Ernest Appenzeller
- "Charles, membre du GF" -
- "Claude – membre du GF" - Claude Versen
- "Patricia –membre de l’AJ affectée au SR [service de renseignements]" – Rachel Graff
- "Flamand – membre de la LJ" - Eddy Florentin
- "Else – Hollandaise, travaillant avec Kor"

La seconde liste contient les noms des "portés disparus présumés arrêtés" :
- "Jacquel, lieutenant de l’AJ" - Jacques Lazarus (arrêté à Paris le 17 juillet 1944)
- "Kapel, aumônier national de la MJS, membre AJ" - René Kapel (arrêté à Paris le 17 juillet 1944)
- "Janine, membre AJ"
- "Maurice Beugelmans, membre de l’AJ" - il s’agit de sa véritable identité et il n’a pas été arrêté lors de ce coup de filet de la Gestapo sur l’organisation parisienne.
- "Léon, Hollandais membre du GF"
- "Heins" - Heniz Blau
- "Gurt, membre du GF et Hollandais" -
- "Lane, Hollandais travaillant avec Kor"

Les 18 et 19 juillet ont également été arrêtés Bernard Susen, Ernst Ascher, Hans Ehrlich et Paula Kaufman. Nous n’avons pu les rattacher aux pseudonymes mentionnés dans la liste.

Poursuivant son rapport, "Betty" émet des hypothèses sur cette vague d’arrestations. Bien qu’une mention "1ère hypothèse périmée" ait été ajoutée au début du texte, il semble qu’elle avait cerné l’origine de ce démantèlement, à savoir la pénétration de l’organisation par des agents de la Gestapo se faisant passer pour des officiers de l’Intelligence service britannique. Elle émet également des doutes sur deux membres de l’OJC, "Henri" et "Helse", mais aucun élément n’a jamais prouvé leur culpabilité.

Face à la gravité et l’urgence de la situation, elle signale que Lucien Rubel a pris la responsabilité du groupe "avec l’approbation de chacun" des rescapés réunis pour reconstituer le groupe. Elle sollicite l’envoi "d’un responsable capable et compétent ainsi que de 2 ou 3 membres qualifiés (Marc, Zizi ou autres)" ; il s’agit ici de Marc Levy et Isidore Pohorylès du groupe OJC de Nice.
Au 21 juillet, le groupe comprend selon "Betty", "10 à 15 membres (…) dont la plupart fort peu audacieux et démoralisés". Leur armement se limite à "une mitraillette Sten, 3 chargeurs et 200 cartouches". Elle souligne également le manque de moyens financiers du groupe et attend des aides en ce sens. Elle termine son rapport en annonçant que le groupe parisien poursuit sa collaboration avec les autres mouvements de résistance et espère pouvoir monter une évasion de ses camarades arrêtés.

Dans l’album joint à cette notice est présenté un autre rapport manuscrit également signé "Betty" mais daté du 22 juillet 1944. Il est probable que cette seconde lettre ait été destinée à remplacer la précédente qui porte la mention "1re hypothèse périmée". Faisant référence à ce premier texte, elle souligne "Les hypothèses forgées jusqu’à présent semblent vouloir être démenties par la suite des renseignements obtenus. Une enquête sérieuse et précise s’impose, enquête très difficile à faire à l’heure actuelle faute de moyens". Ce rapport reprend dans les grandes lignes celui du 21 juillet en y apportant des compléments et précisions.
La liste des noms est scindée en trois parties : les résistants arrêtés, ceux se trouvant à Paris mais n’ayant pas donné de nouvelles et ceux dont elle ignore s’ils se trouvaient ou non dans le capitale au moment des événements. De la première liste, seul le pseudonyme "Else" a été enlevé. Le nom de Maurice Beugelmans qui apparaissait dans la liste des portés disparus du premier rapport est transféré dans la troisième liste (effectivement il se trouvait à Nice à ce moment).
Y ont été ajoutés les pseudonymes de :
- "Sancho – membres de l’AJ"
- "Annette – membre de l’AJ" - Annette Zyman
- "Coq (frère d’Annette), travaillant pour Henri"
- "Simon, secrétaire général de la MJS" - Simon Levitte

"Betty" estime que les premières arrestations le 18 juillet et les dernières le 20 juillet "qui se sont produites parmi le personnel du "Service" de Paris (Education physique et sociale)" n’ont pas de lien entre elles. Elle pense que les arrestations du 20 juillet sont à mettre en corrélation avec un coup de filet qui frappe les milieux officiels et notamment l’UGIF.
Tout comme celui rédigé la veille, le rapport du 22 juillet fait un état de la situation précisant que Lucien Rubel et elle-même sont les seuls représentants de l’AJ à Paris. En contact avec les autres mouvements de résistance, elle garde l’espoir de pouvoir mener une opération visant à libérer ses amis : "la chose n’étant pas impossible à cause d’évènements récents et importants qui se sont déroulés à Paris cette nuit". Elle rappelle disposer "d’une Sten, 3 chargeurs et 200 cartouches" et être démuni de tout moyen financier. Elle sollicite de ses supérieurs "2 ou 3 revolvers (…), des fonds et 2 ou 3 hommes capables de mener à bien les projets que nous avons échafaudé avec la Résistance". Elle conclut son rapport sur une note d’espoir tout en rappelant que les arrestations de Jacquel et Kappel ne sont pas confirmées.


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie : 
Association des Anciens de la Résistance Juive en France, Organisation juive de combat – France – 1940-1945, éditions Autrement, 2006.
Marie-Jo Bonnet, Tortionnaires, truands et collabos. La bande de la rue de la Pompe, 1944, Rennes, éditions Ouest-France, 2013.
Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1970.
Jacques Lazarus, Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série « Etudes et monographies » n°9, Paris, éditions du Centre, 1947.

Contexte historique

Face à la pénurie d’armes dont est victime l’Armée juive (AJ - également connue sous l’appellation d’Organisation juive de combat – OJC), Henry Pohorylès, chef du corps franc de Nice, est mis en rapport en avril 1944 avec un officier de l’Intelligence Service (IS), Charles Porel. Cette mise en relation est le fait d’une relation commune, Lydia Tschervinsky, jeune juive russe. Mais cet officier est en fait Karl Rehbein, un agent de l’Abwher. Les deux hommes se rencontrent une première fois à Marseille le 6 mai 1944 puis à Montauban à la mi-mai. Pohorylès envoie des rapports très détaillés au comité directeur de l’AJ à Toulouse sur ces entretiens.

Karl Rehbein réussit à capter l’attention des cadres de l’Armée juive leur faisant croire qu’un accord allait être conclu entre l’IS et l’AJ portant non seulement sur des livraisons d’armes mais également sur l’incorporation dans l’armée britannique d’une Légion juive recrutée en France et destinée à être transférée en Palestine après la libération de la France. Les deux chefs de l’Armée juive, Abraham Polonski et Lucien Lublin sont tenus au courant et participent activement à ce projet de Légion juive et donnent leurs instructions.

En juin 1944, Pohorylès, muté à Paris, reprend contact avec Charles Porel toujours par l’entremise de Lydia Tschervinsky, devenue la maitresse de Porel. Afin de finaliser les pourparlers, Jacques Lazarus, responsable de l’instruction militaire des membres de l’OJC, est envoyé à Paris. Une réunion a lieu dans un appartement de la rue Jobbé-Duval à Paris. Lazarus et Pohorylès y font la connaissance du capitaine Jack, officier du War office, en réalité Guy de Marcheret, agent double au service des Allemands et qui est déjà à l’origine de nombreuses arrestations de résistants.

Les pourparlers se poursuivent et un accord est trouvé le 11 juillet 1944 (selon le témoignage de René Kapel). Le texte de l’accord stipule entre autres « que le commandement interallié agissant en France par l’intermédiaire de ses officiers dûment mandatés par le War Office et l’Intelligence Service reconnaît l’Organisation juive de Combat comme formation nationale juive, enregistrée sous la dénomination de Légion autonome juive ».

Afin de conclure officiellement, Porel propose d’assurer le transport par voie aérienne vers Londres des deux émissaires de l’AJ, Jacques Lazarus et le rabbin René Kapel, aumônier général de l’OJC. Il est convenu que les officiers de l’Armée juive et les responsables des maquis juifs soient présentés aux agents de l’IS après réception d’un message codé diffusé à la BBC confirmant l’arrivée à Londres des deux émissaires de l’AJ.

Le 17 juillet 1944, Lazarus et Kapel montent dans une voiture qui doit les conduire à l’aérodrome d’où ils partiront pour Londres. Moins de deux heures après leur départ, ils se retrouvent dans les locaux de la Gestapo, rue de la Pompe. Leur interrogatoire est bref puisque pour les besoins de l’accord prévu entre l’IS et l’AJ, ils avaient déjà fournis à Porel leurs véritables identités.

Les agents de la Gestapo tendent alors des souricières dans les locaux de l’OJC. Le 18 juillet 1944, plusieurs membres de l’OJC sont arrêtés dans leur quartier général au 75 rue Erlanger, dont André Amar, César Chamay, Ernest Appenzeller, Henry Pohorylès, Max Windmuller, Patricia Graff. Avec les résistants arrêtés se trouve Maurice Loebenberg, chef national du service des faux papiers du MLN. Interrogé dans les locaux de la Gestapo au 180 rue de la Pompe, Maurice Loebenberg est transféré rue des Saussaies où il est effroyablement torturé. Selon le témoignage de Rachel Cheigam : "Alors que son corps n’était plus qu’une plaie, ses bourreaux l’ont précipité dans la cage d’escalier". Le 22 juillet 1944, son cadavre mutilé est trouvé dans le bois de Verrières (Verrières-le-Buisson, Essonne).

Le 19 juillet, les agents de la Gestapo font une descente dans le local de l’OJC situé 90 boulevard de Courcelles (Paris XVIIe) où des jeunes éclaireurs israélites ont été convoqués pour parfaire leur instruction militaire. Ce jour-là douze personnes sont arrêtées dont Eddy Florentin, Paula Kaufmann et Rachel Graff.

Les résistants sont transférés à Fresnes puis à Drancy. Le 17 août 1944, ils sont embarqués dans le dernier convoi de déportation parti de Drancy. Presque tous réussissent à s’évader en sautant du train en marche dans la région de Saint-Quentin le 21 août 1944.

Démantelé par cette vague d’arrestations, le corps franc de l’OJC de Paris réussit cependant à reconstituer une unité combattante grâce à des renforts venus notamment de Nice et de Lyon.

En décembre 1952, les survivants du groupe ont témoigné au cours du procès de la Gestapo de la rue de la Pompe devant le tribunal militaire de Paris. Jugé par contumace, Rehbein était aussi poursuivi pour le massacre de 34 résistants à la cascade du bois de Boulogne qu’il avait rassemblés là-aussi en leur faisant croire à une livraison massive d’armes.


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie : 
Service historique de la Défense, Vincennes : GR 28P6/349 et GR 28P9/10643 (affaire Porel).
Mémorial de la Shoah, Paris : DLXI-45, témoignage de René Kapel.
Jacques Lazarus, Combattants de la Liberté, 1995.
Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, par Jacques Lazarus (Capitaine Jacquel) chef du groupe parisien de l’Organisation Juive de Combat, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série « Etudes et monographies » n°9, Paris, éditions du Centre, 1947.
Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1970.
Marie-Josèphe Bonnet, Tortionnaires, truands et collabos. La bande de la rue de la Pompe 1944, Rennes, Ouest-France, 2013.
René S. Kapel, Un rabbin dans la tourmente (1940-1944). Dans les camps d'internement et au sein de l'organisation juive de combat, Paris, éditions du Centre, 1985.