Le maquis de l’Espinassier

Légende :

Patricia Graff-Rubel au premier rang et de gauche à droite : Jean-Jacques Fraicent (Frayman), Jacques Lazarus (Jacquel), Henri Broder, Pierre Loeb et Albert Cohen. Cette photographie a été prise au maquis de l'Espinassier lors d'une tournée d'inspection de Jacques Lazarus en mai 1944.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Mémorial de la Shoah, Paris (France) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : Mai 1944

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Tarn

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Analyse média

Souhaitant marquer leur spécificité juive, les maquisards de l'Espinassier hissent, à côté du drapeau français, le drapeau bleu-blanc symbolisant le futur Etat juif.  Lors de leur intégration au sein du Corps franc de la Montagne noire après le 6 juin 1944, les maquisards n'ayant plus la possibilité de hisser ce drapeau arborent des épaulettes bleu-blanc. 

Lors des Rencontres et Conférences organisées en mars 1997 à Toulouse, et dont l'une était consacrée aux Juifs dans la Résistance, Henri Broder, adjoint au chef du maquis de l'Armée juive de Biques, est revenu sur l'histoire de ce drapeau. Selon son témoignage, l'histoire de ce drapeau bleu-blanc remonte à la bataille de Bir-Hakeim en mai-juin 1942 au cours de laquelle un groupe de soldats palestiniens combattait aux côtés des troupes du général Koenig. Durant les combats, cette unité avait sorti un drapeau bleu-blanc. A la fin de la bataille voyant un des soldats ranger le drapeau, Koenig le questionna sur ce drapeau et décida de le mettre à l'honneur sur sa voiture aux côtés du drapeau français en hommage à ces combattants.

Evoquant cette photographie, Henri Broder témoigne : "Cette photo, une des rares que Jacques Lazarus et son ami prirent au maquis est passée un peu partout. Ici, c'est uniquement un chiffon bleu et un chiffon blanc que l'on a cousus pour symboliser le fait que nous étions juifs. Mais par la suite, étant donné que c'est en noir et blanc, certains auteurs ont dessiné un Maguen David pour montrer que c'était bien le drapeau juif".

Ces photos prises à l'Espinassier ont bien failli être interceptées par les Allemands comme le raconte Jacques Lazarus dans Juifs au combat. Alors qu'il revient à Toulouse après son inspection du maquis de l'Espinassier, en compagnie de René Kapel et Albert Cohen, les trois shommes sont interpellés par une patrouille allemande qui fouille leurs bagages et portefeuilles. Jacques Lazarus explique : "L'officier retournait le Kodak en tout sens. Il ordonna brisquement à Bébé [Albert Cohen] de l'ouvrir. Celui-ci, très calme, exécuta l'ordre. L'appareil était vide. Bébé le referma. Il m'expliqua plus tard ce tour de passe-passe. La pellicule s'y trouvait toujours, mais il avait ouvert l'appareil du côté opposé à l'endroit où elle était placée."


Auteur : Fabrice Bourrée

Bibliographie :
Monique-Lise Cohen et Jean-Louis Dufour (sous la dir. de), Les Juifs dans la Résistance, éditions Tiresias, 2001.
Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, par Jacques Lazarus (Capitaine Jacquel) chef du groupe parisien de l’Organisation Juive de Combat, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série "Etudes et monographies" n°9, Editions du Centre, 1947.

Contexte historique

La création du maquis de l’Espinassier est la conséquence du repli en mars 1944 des maquisards du maquis juif de Biques, créé en novembre 1943. Sous le commandement de Pierre Loeb, les maquisards se déplacent d’une cinquantaine de kilomètres en quelques heures. Ils s’installent finalement à La Jasse de Martinou, près de la commune de Lacaune. Depuis le début des persécutions antisémites par le régime de Vichy, sous l’autorité du maréchal Pétain, Lacaune est un centre régional destiné à recevoir "des individus dont les agissements, l’attitude, la nationalité ou la confession constituent des facteurs de mécontentement ou de malaise dans la population". C’est à dire que Lacaune a pour fonction de recevoir les "juifs indésirables", en l’occurrence 650 familles entre 1940 et 1944.

A la Jasse de Martinou se trouvent d’autres maquis dépendant de l’Armée secrète (AS) et des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF). Le maquis juif y perd son autonomie mais ses éléments restent groupés sous le commandement de Pierre Loeb et d’Henri Broder. Cette intégration dans l’environnement résistant améliore leur armement notamment grâce à la réception de parachutages. Afin de se distinguer, les maquisards juifs arborent une épaulette bleu-blanc.

Le 20 avril 1944, les maquis de Lacaune subissent une offensive allemande, obligeant les maquisards à déménager une nouvelle fois. C’est à l’Espinassier, près de Labastide-Rouairoux, que le maquis de l’Armée juive se reforme, toujours sous le commandement de Pierre Loeb assisté d’Henri Broder et Jean-Jacques Fraicent (Frayman). C’est dans les maisons de ce hameau abandonné que se regroupe une vingtaine d’hommes. Pour survivre, ils n’ont que leur créativité, qui permet d’installer un semblant de ligne électrique, quelques pistolets sauvés de Lacaune au moment de l’offensive et la possibilité de se ravitailler auprès d’un chantier de jeunesse près de Labastide. Soucieux de conserver leur spécificité juive, les maquisards lèvent chaque jour le drapeau blanc à l’étoile de David aux côtés du drapeau tricolore. Jacques Lazaraus témoigne : "Traqués en tant que Juifs, nous voulions montrer à l’ennemi que c’était aussi en tant que Juifs que nous combattions".

Suite au débarquement en Normandie le 6 juin 1944 et conformément à l’accord passé avec les chefs de la Résistance tarnaise, les maquisards de l’Espinassier sont versés au Corps franc de la Montagne noire au sein duquel ils constituent le 4e escadron ou "peloton Trumpeldor".


Auteur : Guillaume Pollack

Sources et bibliographie :
Juifs au Combat, témoignage sur l’activité d’un mouvement de résistance, par Jacques Lazarus (Capitaine Jacquel) chef du groupe parisien de l’Organisation Juive de Combat, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Série "Etudes et monographies" n°9, Editions du Centre, Paris, 1947.
Anny Latour, La Résistance juive en France, Stock, 1970.
Valérie Ermosilla (Pietravalle), La Résistance juive dans le Tarn 1939-1944, réalités et représentations, mémoire de maîtrise sous la direction de Pierre Laborie et Jean Estèbe, Université Toulouse Le Mirail, 1987.
"L’assignation à résidence des Juifs par le gouvernement de Vichy, l'exemple de Lacaune", Association Amitiés judéo-lacaunaises (en ligne).