Voir le verso

Dénonciation de Mireille Dumond, militante communiste, Marseille, 30 septembre 1939

Légende :

Lettre de dénonciation de la militante communiste Mireille Dumond adressée au préfet des Bouches-du-Rhône, 30 septembre 1939.

Genre : Image

Type : Lettre de dénonciation

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 4 M 2438 Droits réservés

Date document : 30 septembre 1939

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le document est la copie d'une lettre de dénonciation adressée au préfet des Bouches-du-Rhône quelques semaines après l'entrée en guerre de la France et quatre jours après la dissolution du Parti communiste français (voire contexte historique). Comme il est habituel dans les lettres de dénonciation, l'auteur se présente comme un citoyen irréprochable mû par son sens du devoir et non par des passions ou des rancœurs. Français, sous-entendu de souche, c'est un père de famille, il a donc accompli son devoir vis-à-vis de la nation en contribuant à assurer son avenir.

La cible de sa lettre est une enseignante et militante communiste très active à Marseille. Mireille Dumont, de son vrai nom Marcelle Bouvet, enseigne les sciences naturelles à l'Ecole primaire supérieure Michelet, dans le quartier des Cinq Avenues à Marseille, pas très loin du domicile du dénonciateur qui réside avenue des Chartreux. Sous le pseudonyme de Mireille Dumont, Marcelle Bouvet participe activement au comité Amsterdam-Pleyel, au Comité de Vigilance des Intellectuels contre le fascisme et à partir de juillet 1936 à l'aide à l'Espagne républicaine. Son dénonciateur ne connaît que le personnage public qui signe des articles dans Rouge-Midi, le journal local du Parti communiste français dont Mireille Dumont est membre depuis le 14 juillet 1936.
Mireille Dumont est également une militante féministe. Elle se bat pour que les femmes obtiennent le droit de vote et l'égalité des droits. Pour l'auteur de la lettre, elle détourne les femmes d'ouvriers de leur devoir. Le dénonciateur n'imagine pas que des mères de famille puissent se rendre volontairement à des réunions politiques. La présence des enfants et même de bébés à ces réunions lui paraît un signe supplémentaire de la dangerosité de Mireille Dumont. Pour l'auteur de la lettre, Mireille Dumont est une virago fanatique et une traîtresse en puissance : « chef de cellule, conférencière véhémente au profit du parti communiste ; personne extrêmement dangereuse par son activité inlassable(sans doute aux ordres des soviets)».
Ce délateur élargit ensuite son point de vue. C'est la classe ouvrière marseillaise tout entière qui est « complètement gangrenée … entièrement acquise et dévouée aux idées communistes » et bien sûr prête à trahir en cas de guerre. En fait, ce Marseillais de fraîche date souffre dans une ville « pourrie sous tous les rapports ».
En citoyen dévoué, il entend mettre ses qualités (« J'ai le don d'observation juste ») au service du pays et ne demande qu'à continuer ses dénonciations diverses qu'il qualifie de « remarques qualifiées »
En post scriptum, d'ailleurs, le délateur revient sur l'élection du docteur Franqui (sic) en fait Toussaint Franchi. En 1939,le député SFIO de la circonscription , Henri Tasso est élu sénateur . Une élection partielle a lieu et Toussaint Franchi présenté par la SFIO l'emporte au deuxième tour en avril 1939. Il devance Albert Pascalet, candidat du PPF (Parti Populaire Français), parti d'extrême-droite . Le docteur Franchi a été incarcéré du 17 au 23 novembre 1938 dans une affaire de certificat médical qu'un de ses malades aurait utilisé pour se faire réformer. L'incarcération de Toussaint Franchi a soulevé une grande émotion et de nombreuses protestations, en particulier de la Ligne des droits de l'Homme . Le dénonciateur n'évoque à aucun moment les étiquettes politiques mais résume l'affrontement électoral en termes moraux. On sent en creux une détestation de la démocratie et de Marseille « et naturellement il [Franchi] a été élu. Très édifiant. »


Auteure :Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque cette lettre de dénonciation arrive sur le bureau du préfet des Bouches-du-Rhône, la France est entrée en guerre depuis un mois. Depuis le 26 septembre 1939, le Parti communiste français est dissous et toute propagande interdite. La surveillance des militants communistes se renforce. Perquisitions, saisies de publications même antérieures à la dissolution, se multiplient. La police spéciale, en charge de la surveillance politique n'avait pas besoin d'une lettre de dénonciation pour s'intéresser à Mireille Dumont, qui milite activement depuis 1936. La répression anti-communiste permet à la haine politique de s'exprimer à peu de frais et sans risque. Les enseignants sont particulièrement visés par les lettres de dénonciation car ils incarnent des valeurs humanistes et démocratiques et sont censés avoir une grande influence sur les enfants qui leur sont confiés.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Mencherini Robert, Midi rouge, ombres et lumières. 1. Les années de crise, 1930-1940. Paris, Syllepse, 2004.
Maitron Jean, Pennetier Claude (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, quatrième partie, 1914-1918, De la première à la seconde guerre mondiale, tomes 16 à 44, Paris, éditions ouvrières, 1981-1997.