Témoignage d'une directrice d'école membre de Combat

Légende :

Laure Guille, membre de Combat pendant la guerre, témoigne en 1949 auprès du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, 5 pages.

Type : Témoignage

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 44 J 43, dossier XV Droits réservés

Date document : février 1949

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

En février 1949, la commission d'histoire de l'occupation et de la libération de la France qui devient en 1951 comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, recueille le témoignage de madame Laure Guille, directrice d'école maternelle à Marseille et membre du mouvement Combat (voir contexte historique). Le texte retranscrit autant ce que Laure Guille a dit que ce que la personne qui recueille son témoignage a choisi de retenir. Par ailleurs, plus de quatre années se sont écoulées depuis la libération de Marseille en août 1944. Il y a donc des approximations (Jacques Monod ne quitte pas Marseille en 1942 mais choisit à la rentrée de septembre 1943 de ne pas rejoindre son poste au lycée Thiers), des noms oubliés. Il était impossible pour des raisons évidentes de sécurité de prendre des notes, de tenir un journal, les camarades de résistance étaient parfois connus par leur seul pseudonyme.

Laure Guille aborde les thèmes suivants :
-de l'aide aux réfugiés à l'engagement dans un mouvement de résistance
L'aide aux réfugiés espagnols qui franchissent massivement les Pyrénées en janvier 1939, n'est pas politiquement neutre. La droite et l'extrême droite voyaient dans les Républicains espagnols vaincus, des révolutionnaires dangereux pour la paix sociale en France. Laure Guille fait le lien entre les propos de Pétain louant la dictature établie à la suite d'un coup d'état par le général Primo de Rivera (13 septembre 1923- 30 janvier 1930) et ce que l'on peut attendre du régime de Vichy. Elle se montre plus perspicace que son voisin, Jacques Monod, professeur de lettres en classe préparatoire au lycée Thiers. Jacques Monod, très engagé dans l'aide aux réfugiés, espagnols, autrichiens, allemands, tchécoslovaque est profondément pacifiste. Il fait dans un premier temps confiance au maréchal Pétain avant de se rallier à l'opinion de son amie. Son engagement humanitaire lui rend inacceptable le régime de Vichy antisémite et xénophobe.

- de l'indignation morale et politique à une action collective au sein d'un mouvement
L'engagement dans un mouvement ou réseau est le fruit de rencontres. Pour madame Guille et Jacques Monod, c'est la rencontre avec Maurice Chevance, Bertin, responsable régional du mouvement Combat qui est décisive. Les réseaux protestants que Jacques Monod connaît grâce à ses responsabilités dans l'Eglise réformée de Marseille, sont d'autres moyens de recrutement et d'élargissement du mouvement. La clandestinité oblige à faire confiance à ses contacts qui vous mettent en relation avec d'autres personnes (comment créer un réseau dans les PTT pages 3 et 4)

-des activités multiples
Le témoignage de Laure Guille montre la multitude d'actions des résistants : aide aux persécutés en mettant en place des filières de sauvetage et des faux papiers, propagande par la distribution de journaux de la Résistance (Petites Ailes, Liberté, Combat), renseignement (mouvements du port de Marseille) et lutte armée par la mise sur pied de l'Armée secrète (voir contexte historique)

-le cloisonnement très relatif des mouvements et réseaux
Raymond Vincent, communiste, s'engage dans l'OSS (office of strategic services), réseau américain de renseignements. Il y entraîne Jacques Monod, ami de son frère Gaston et membre de Combat. Laure Guille ne voit pas d'inconvénient à ce que les renseignements qu'elle transmet aboutissent aux services américains à une date où les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre. Jacques Monod écrit dans Témoignage chrétien fondé par le jésuite Pierre Chaillet .

-un lourd tribut
A partir de mars 1943, la Gestapo commence un des plus vastes coups de filet contre la Résistance à Marseille et dans toute la région. Le rapport « Flora » dresse une liste de 241 noms de résistants appartenant aux MUR (Mouvements Unis de Résistance, voir contexte historique) en particulier au NAP (Noyautage des administrations publiques), à l'Armée secrète (AS). Maurice Chevance échappe miraculeusement à l'arrestation. Mais le docteur Xavier Fructus, chef de Combat sur Marseille, est arrêté et son fils déporté. Gaston Crouzet, chef adjoint au ROP (recrutement, organisation, propagande) de Combat et son fils, chef adjoint de l'Armée Secrète, l'écrivain Benjamin Crémieux responsable du NAP et son fils Francis membre de l'AS, Francis Beltrami sont déportés à Buchenwald. Raymond Vincent, jeune communiste, est cependant membre du réseau américain de renseignement OSS. Il est à l'origine des premiers Groupes Francs des MUR dans les Bouches du Rhône. Il est arrêté et sans doute fusillé le 13 septembre 1943. Son frère, Gaston, également membre du réseau OSS, meurt à Saint Martin en Vercors lors de représailles allemandes le 25 juin 1944.

Jacques Monod qui se sait de plus en plus menacé, ne rejoint pas son poste à la rentrée de septembre 1943. Il est suspendu de l'Education nationale le 13 janvier 1944. Il rejoint le maquis du mont Mouchet dans le Cantal. Il est tué le 20 juin 1944 à Chaudes-Aigues dans les combats menés par sa compagnie. Ce témoignage est sans doute moins élaboré que les écrits des fondateurs de mouvement mais il donne un aperçu sincère et dénué d'arrières pensées de l'action de résistants de base.


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

L'été 1940 voit passer par Marseille nombre des futurs fondateurs des mouvements de résistance. Parmi eux le capitaine Henri Frenay. Refusant la défaite, Henri Frenay crée le « Mouvement de Libération nationale » qui a pour vocation de lutter contre l'occupant aux côtés de la Grande Bretagne mais en gardant son indépendance vis à vis des Britanniques et de la France libre. Dans un premier temps, Henri Frenay, comme Jacques Monod, crédite le maréchal Pétain d'un double jeu. Dés le départ, Henri Frenay structure son organisation en différents secteurs, secteur « recrutement, organisation, propagande » (ROP), secteur renseignements (SR), et un « Choc » (formation paramilitaire) car Henri Frenay inclut dés le début la lutte armée, ce qui paraît, à cette époque, très ambitieux , voire totalement irréaliste . Il envisage une organisation où les membres sont regroupés en sizaines et trentaines. Henri Frenay rencontre à Marseille Maurice Chevance (Bertin) qui a créé une agence de transport de bagages pour militaires, nombreux à transiter par Marseille. Maurice Chevance devient le responsable régional du MLN et recrute à son tour un officier de la coloniale, Henry Aubry (Avricourt). Le recrutement ne se limite pas au milieu militaire. Maurice Chevance rencontre Jacques Monod, Laure Guille. Les réseaux d'aide aux réfugiés deviennent un vivier. A Lyon Henri Frenay et Bertie Albrecht publient les Bulletins d'information qui deviennent Les Petites ailes de France. A partir de Juillet 1941, Les Petites Ailes deviennent en zone sud Vérités.
Une autre organisation au positionnement assez semblable à celui du MLN de Frenay, est créée à l'automne 1940 par les démocrates-chrétiens Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon : Liberté. Même volonté de rester indépendants des Britanniques et de la France libre, même crédit accordé dans un premier temps au maréchal Pétain. Les deux mouvements se montrent très anticommunistes et hostiles à l'URSS. L'attaque de l'URSS par l'Allemagne amènent les deux mouvements à se montrer plus positifs tout en restant méfiants vis-à-vis de l'URSS et des communistes. Au cours de l'année 1941, les deux organisations nouent des contacts. Les militants de base ne voient pas d'obstacle à distribuer les journaux des uns et des autres. En novembre 1941, la fusion de Liberté et des publications du MLN donnent lieu à un nouveau journal clandestin Combat .
Jean Moulin, de passage à Marseille, pousse au rapprochement entre mouvements qui fusionnent en un nouveau mouvement qui prend le nom du journal : Combat. Liberté et le MLN rompent avec le maréchalisme et en mars 1942 reconnaissent le général de Gaulle comme « symbole » de la Résistance. Combat devient le principal mouvement non communiste de la zone Sud. Jean Moulin poursuit son œuvre d'unification de la résistance. Fin 1942, il préside un comité de coordination des mouvements de la zone Sud qui rassemble les principaux mouvements non communistes, Libération, Franc-Tireur, Combat. Début 1943, les trois mouvements fondent les Mouvements Unis de Résistance ( MUR). Ils sont dirigés pour la région par Maurice Chevance.
En mars 1943 débute l'affaire Flora qui voit la Gestapo marseillaise démanteler méthodiquement pendant plusieurs mois les MUR. Tous les services (SR, NAP, AS, Organisation Universitaire, faux papiers, groupes francs) et toutes les directions sont frappés.
Fin 1943, l'unification se poursuit : les MUR et une partie des mouvements non communistes de la zone nord forment le MLN (Mouvement de Libération Nationale). Les survivants des vagues de répression de la Gestapo participent activement aux combats de la Libération.


Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Mencherini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947) Midi rouge, ombres et lumières. 4, Paris, éditions Syllepse, 2014.