Inauguration de la stèle à la mémoire d'A. Pubilier et de M. Revol

Légende :

Le prêtre de Larnage consacre un monument élevé à la mémoire de deux résistants larnageois tués au combat le 26 août 1944 : Aimé Pubilier et de Maurice Revol.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Archives famille Revol Libre de droits

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : août 1945 (?)

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Gervans

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Analyse média

La photographie représente l'inauguration et la consécration du monument élevé à la mémoire de Maurice Revol et Aimé Pubilier tués au combat le 26 août 1944. Le prêtre de Larnage a béni le monument entouré des membres des familles Revol et Pubilier et d'une partie de la population larnageoise. La stèle est signalée sur la carte IGN 25 000e Tournon-sur-Rhône.


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

La mort au combat de deux jeunes maquisards larnageois, Aimé Pubilier, Maurice Revol, peu connus, est rarement décrite et peu célébrée si ce n'est dans la mémoire locale. 

C'est grâce à la permanence de l'hommage rendu à leurs enfants que les familles ont conservé une série complète de documents qui permettent de suivre le cheminement de ces deux jeunes durant les six derniers mois de leur vie et l'histoire de leur mémoire. 

Remarquable aussi est le fait que le souvenir n'a pratiquement pas été entretenu par les organisations officielles. Aucun drapeau n'est monté sur le flanc du coteau qui domine, au sud de Gervans, la route nationale 7. C'est cette particularité d'un drame familial qui est commémoré en famille, loin des manifestations officielles, que le récit veut mettre en valeur. C'est aussi un drame, profondément ressenti par toute la population villageoise. Larnage est une commune rurale jouxtant, au nord, Tain-l'Hermitage. Elle est limitrophe des communes de Crozes-Hermitage et de Gervans sur lesquelles s'est déroulé l'accrochage du 26 août 1944. Larnage a vu sa population fortement progresser depuis 1944. Les nouveaux habitants ignorent bien souvent cet épisode tragique. La crainte de voir disparaître le lieu de mémoire est même apparue, autour de 2005, quand un groupement foncier a remis en valeur, dans des conditions très difficiles, les pentes escarpées de la colline. Conscient du symbole, les viticulteurs ont préservé la stèle commémorative. Désormais, le site du monument est bien visible depuis la route nationale 7.


La synthèse du récit de ce drame est rendue possible parce que nous disposons de documents remarquables prêtés par les deux familles. Ils nous permettent de suivre les deux jeunes depuis le début de 1944 jusqu'à leur mort, puis la réalisation du monument qui rappelle leur sacrifice.

L'accrochage, au cours duquel les deux hommes ont été tués, se situe dans une des régions particulières de la vallée du Rhône, en l'occurrence le défilé épigénique de Saint-Vallier-sur-Rhône à Tain L'Hermitage. Le Rhône a creusé son cours dans des roches dures, cristallines, au lieu de longer le rebord oriental du Massif central. Il en est résulté un défilé. Ce dernier a été le cadre de nombreux sabotages ferroviaires. Le récit s'articule essentiellement autour du commentaire des photos et des textes.

Le premier document est une photo que l'on trouve dans les tiroirs de pratiquement toutes les familles rurales. C'est le cliché de « la classe », c'est-à-dire des conscrits et « conscrites » d'une commune. Il est le témoignage d'un rite de passage qui a souvent disparu avec l'évolution des mœurs et la quasi-disparition du service militaire. Chaque année, les conscrits, c'est-à-dire les jeunes garçons en âge d'effectuer leur service militaire, après avoir subi le Conseil de Révision, se réunissaient lors de banquets hivernaux et invitaient les jeunes filles du village de leur âge. Dans cette commune, le groupe assurait aussi la tenue de la « vogue », fête annuelle du village. À Larnage, 541 habitants en 1936, les « conscrits » de l'année 1944 sont trop peu nombreux et s'adjoignent les camarades de la classe suivante. Lors de ces banquets, la nourriture est solide, même en temps de pénurie. Quant à la boisson, elle est abondante, notamment à Larnage, commune renommée pour son vin blanc. Aussi, les retours à la maison sont difficiles et les granges rencontrées sur le chemin deviennent un abri sûr pour se reposer ou pour conter des fleurettes. Le rappel de cette pratique des « conscrits », véritable rite de passage, est nécessaire et devient émouvant quand on regarde la photo officielle des « conscrits » et « conscrites » des classes 1944, 1945 à Larnage. La première observation à faire est de constater la bonne santé apparente de tous ces jeunes. Nous sommes à la campagne et, malgré des privations, la nourriture est correcte et n'altère pas la physiologie des jeunes gens. Les vêtements féminins sont sobres mais variés. On peut remarquer les chaussettes des jeunes filles, sûrement tricotées par ces dernières ou par la mère ou la grand-mère. Elles portent leurs habits de fête et leur garde-robe ne doit pas en comporter beaucoup d'autres. Deux sœurs sont habillées semblablement. Les chaussures semblent être en cuir. On a abandonné, le temps du banquet et de la photo, les galoches aux semelles en bois, voire les sabots. Les garçons portent tous une veste, celle du dimanche. À leur cou, est noué le foulard tricolore des « conscrits ». Les temps sont durs. C'est le seul signe de leur appartenance aux « conscrits ». Avant la guerre et même après, de nombreux colifichets multicolores ornaient les revers de leur veste. Accessoires indispensables, le tambour portant l'année de la classe et le clairon, fortement bosselé car utilisé depuis plusieurs générations, sont disposés au pied du groupe. Cette photo a été prise le 20 février 1944. Elle témoigne d'un des rares moments forts et joyeux dans la vie de la jeunesse d'une commune rurale pendant l'Occupation. Au printemps 1944, les sept garçons participent à la Résistance sans préparation militaire sérieuse. Six mois après, presque jour pour jour, ils subissent l'épreuve du feu. Le 26 août 1944, deux d'entre eux, Aimé Pubilier et Maurice Revol, sont tués au combat, lors d'un accrochage avec les Allemands qui, sortis du « chaudron » de Montélimar, battent en retraite de façon ordonnée, en empruntant la route nationale 7. La photographie prend alors une valeur d'exemple. Combien d'autres communes rurales ont-elles eu une histoire semblable ?

Le deuxième document est le récit officiel de l'accrochage. Il est intéressant car son écriture n'est pas celle d'un militaire de carrière. Il n'en a pas la rigueur. Écrire « à gauche de la commune de Gervans » est d'une grande imprécision. L'accrochage s'est produit au sud du village de Gervans, à l'époque hameau de la commune de Crozes. Le reste de la description traduit la perception de l'accrochage par un civil. Le rapport comporte une erreur de nom. Aimé Pubilier et non Pupiller a été tué sur le coup. Maurice Revol, la carotide tranchée, s'est effondré quelques dizaines de mètres après s'être replié. Cela n'enlève rien à l'intérêt du récit. Il note les erreurs commises par les combattants. Le poste de combat n'était pas assez camouflé et donc facilement repérable depuis la route nationale 7, distante de quelques centaines de mètres seulement. D'après un participant au combat, une autre erreur est le manque de coordination entre le groupe de Larnage et celui de Saint-Sorlin-en-Valloire, situé plus bas, au bord de la voie ferrée. Le groupe de Larnage avait reçu l'ordre de ne pas tirer, conscient de la force de l'ennemi. C'est pour soutenir le groupe avec lequel il n'avait pas de contact que l'accrochage a tourné au drame. Si la séparation entre les groupes est une nécessité dans la clandestinité, dans le cas de cette affaire, c'est une erreur majeure. La troisième erreur, très grave, est l'absence d'une bonne reconnaissance d'un chemin de repli. Un survivant de l'action raconte que, même connaissant parfaitement tous les sentiers de la colline, dans la panique du repli, il ne les a pas utilisés et s'est dangereusement exposé à découvert. Ce récit traduit bien les insuffisances de la préparation militaire des jeunes combattants. On retrouve souvent la même situation qui fait l'objet de critiques, voire de sarcasmes, de la part des détracteurs de la Résistance, notamment parmi les soldats de métier. Ils sont particulièrement malvenus. Car il est évident que les Résistants auraient aimé profiter d'un bon entraînement et d'un armement conséquent. Les documents suivants permettent d'aborder ce que l'on appelle actuellement « le travail de deuil », expression totalement inconnue en 1944.

Les familles ont pris en charge, seules, la mémoire des deux disparus. La construction de la stèle témoigne de ce cas assez particulier. Le lieu du drame a d'abord vu l'érection d'une simple croix en bois. Quelques mois après, les familles ont fait ériger une stèle relativement imposante et intéressante par sa forme. Elle est constituée d'un élément en pierre taillée posé sur un bloc de béton lui-même installé sur un socle bétonné. La pièce en pierre taillée semble provenir d'un sommet de pilier d'entrée de cour. L'origine de la croix en fer forgé n'est pas connue. La croix témoigne de l'appartenance religieuse des deux tués. Ce symbole est assez rare sur les lieux de mémoire. Tout ceci a été fourni, comme en témoigne la facture, par une entreprise de pompes funèbres de Tournon-sur-Rhône, proche bourgade de Gervans. La facture est adressée à monsieur Camille Revol, père de Maurice Revol. On peut penser que la dépense a été répartie entre les deux familles. Fait remarquable, aucune aide n'a été apportée aux familles. Tout s'est passé au sein des communautés familiales. Le libellé de la plaque confirme l'aspect familial du monument : « A la mémoire de nos chers enfants ». Pas d'autres références, ni militaires, ni officielles, pas de croix de Lorraine. La facture nous permet aussi d'estimer le coût de l'heure de travail d'un marbrier : 41 francs.

Les mêmes observations peuvent être faites pour l'inauguration de la stèle le 26 août 1945. La photo de la cérémonie montre l'absence de drapeaux d'associations résistantes, d'anciens combattants de 1914-1918. Familles et amis constituent l'assistance. La seule « personnalité » importante est le curé de Larnage, l'abbé Istier. Où sont maire et instituteur ? D'autres photos des participants ont-elles été prises ? Parmi celles qui ont été remises à l'auteur, aucune ne montre ces personnages. On est donc loin de la cérémonie traditionnelle. C'est ce qui fait l'intérêt de cet épisode. D'autres photos représentent la stèle. En arrière plan, on distingue la route nationale 7 bordée de platanes qui étaient une protection relative pour les Allemands en retraite. Afin d'élargir la chaussée, le paysage des routes nationales bordées d'arbres, de platanes notamment, a quasiment disparu aujourd'hui.

Aimé Pubilier et Maurice Revol reposent dans le cimetière de Larnage. Leurs familles n'ont pas répondu favorablement à l'offre du 4 septembre 1956 du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre.

L'histoire de ce drame de la Résistance se termine de façon officielle, cette fois, par la remise le 27 août 1995 d'un témoignage de reconnaissance. Le président de la Fédération des unités combattantes des FFI de la Drôme remit, à la commune de Larnage, un témoignage de reconnaissance pour services rendus à la Résistance. La cérémonie se déroula devant le monument aux morts de la commune.

Un autre résistant larnageois a également payé de sa vie son action dans la Résistance. Gaston Delhomme fut tué le 23 août 1944 lors d'un accrochage à la gare d'Alixan. En 72 heures, Larnage avait perdu trois de ses jeunes habitants.

Le récit précédent veut rendre hommage à tous les résistants qui, dans l'anonymat, ont payé de leur vie leur engagement dans la Résistance.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Archives Aimé Revol.