Journal Défense de la France, n°21, 1er novembre 1942

Légende :

Newspaper "Défense de la France", n°21, November 1, 1942.

Genre : Image

Type : Presse clandestine/ Clandestine Press

Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés

Détails techniques :

Edition imprimée sur un seul feuillet au recto et au verso. Format 21 x 31 cm. Le papier jaunâtre, acheté au marché noir, est de médiocre qualité.

Lieu : France - Ile-de-France

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Analyse média

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Ce 21e journal est daté du 1er novembre 1942 et imprimé sur la Rotaprint du mouvement acquise dès le printemps 1941.
Malgré de « redoutables problèmes d’approvisionnement en encre et en papier notamment », le tirage passe de 10 000 à 30 000 exemplaires en cette fin d’année 1942.
Il est le premier numéro à porter l’indication : « Journal fondé en juillet 1941 » et la mention : « Edition de Paris ». Un an et demi ont passé et le journal clandestin sort de sa phase artisanale et se professionnalise.

Cette édition est composée de trois articles :

- Le premier « Pour que la France vive » est signé « Indomitus ».

- Dans le second article, consacré à « La Relève », l’auteur anonyme informe les lecteurs sur « les exigences allemandes, l’attitude du gouvernement français, les motifs et prétextes et, enfin, les conséquences ».

Défense de la France conclut ce numéro sur un article anonyme intitulé « Les aveux ». L’auteur sensibilise les Français à la propagande allemande dont l’objectif est de « doper son peuple [...] pour lui donner le désir de continuer la guerre » malgré les derniers événements qui jouent en faveur des Alliés.

 

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Depuis le mois de septembre, les sous-sols de la Sorbonne (Paris) n’abritent plus « Simone », la Rotaprint de Défense de la France doit déserter les lieux suite à une nouvelle alerte. 

Après dix mois d’occupation quasi ininterrompus, l’équipe avait pris ses habitudes et s’y sentait tranquille, « suffisamment décontractée pour faire sécher les exemplaires du journal dans les réserves de la bibliothèque », raconte Hélène Viannay. « On les étalait sur les rayons. On les faisait sécher toute la journée et puis on les reprenait le lendemain. » (1)

« Un jour, un bibliothécaire rentre dans la réserve pour chercher un livre. Nous regardions de l’autre côté par le trou de la serrure. On avait éteint toutes les lumières. Et alors, Philippe est pris d’un saignement de nez. Cela lui arrivait lorsqu’il était très fatigué. L’homme n’est pas tombé sur les journaux ! » (2) 

Cette fausse alerte les incite à déménager, pour la septième fois, leur imprimerie. C’est la règle. Ils s’installent dans un appartement de la rue Gazan où ils avaient repéré une batterie de DCA allemande, positionnée sur un toit. Le concierge leur explique qu’il a un appartement libre car l’Anglais qui l’occupait a été arrêté. Pour eux c’est une très bonne garantie. Qui irait se fourrer dans un piège pareil ? 

Ce changement de lieu marque une étape importante dans le développement du journal. Défense de la France installe « une imprimerie qui fut une des plus belles réalisations techniques de Défense de la France ». Cet appartement, loué par Jean Mennerat et Margueritte-Marie Houdy, est « complètement transformé de façon à devenir totalement insonorisé à l’aide de revêtements en liège nécessitant tout un travail d’architecture réalisé par Mennerat, Philippe et Hélène Viannay. Cette insonorisation nécessita 27 m2 de liège. » (3)

Par ailleurs, depuis le mois de février 1942, l’imprimeur Grou-Radenez offre son concours au mouvement, contribuant ainsi à sa professionnalisation. 

« Outre la fourniture du matériel, ce professionnel promet de dépanner Défense de la France pour l’impression de certains documents » (4), de mettre en relation le mouvement avec des photograveurs et des techniciens et, surtout, de former, les jeunes militants inexpérimentés au métier d’imprimeur et notamment à l’ensmble des règles de la typographie. Parmi eux, Charlotte Nadel, pionnière du mouvement, bénéficie d’un apprentissage rapide et utile, lui permettant de coiffer, à terme, toute la branche technique du mouvement. Dès lors, le mouvement installe un atelier de composition au n°41, de la rue du Montparnasse. Ces stages chez l’imprimeur complètent l’apprentissage de ces pionniers de l’imprimerie qui, dans l’ensemble, se forment sur le tas.

« Ainsi était mise en route une logique qui nous portait, nous emportait plutôt, et nous obligeait à répondre aux multiples interrogations que suscitait son propre développement. Le journal n’était plus une fin en soi mais un support. […] Notre expansion nous contraignait à sortir de notre petit ghetto. » (5)

Cette préprofessionalisation du mouvement s’accompagne d’une volonté d’expansion. « De parisien, il se mue en une organisation nationale et élargit par ailleurs le champ de son action. » (6)

« Les 21 premiers numéros sont écrits par 9 rédacteurs seulement. […] Les dirigeants s’attribuent leurs articles au gré de leurs affinités et les auteurs, une fois les textes acceptés, signent leur copie d’un pseudonyme : « Indomitus » pour Viannay, « Robert Tenaille » pour Salmon. Les deux hommes rédigent à eux seuls la majorité des contributions, même si quelques personnalités extérieures, René Tézenas du Montcel, « Maître Jacques », ou Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier », apportent parfois leurs concours. En somme, une poignée d’hommes assume à elle seule la rédaction du journal. » (7)

Dans les 22 premiers numéros, publiés entre le mois d’août 1941 et novembre 1942, Défense de la France engage un combat fondé sur une protestation morale. Son discours, centré sur l’information et la contre-propagande traite, de manière inégale, les sujets suivants : la collaboration, le défaitisme, les provinces perdues et la germanisation des populations locales, l’anglophobie, le pillage économique allemand, les rigueurs de l’occupation, l’hitlérisme et le barbarisme nazi, les camps de concentration, les revers de la Wehrmacht et les difficultés économiques du Reich


Sources : (1) Clarisse Feletin,  Hélène Viannay, l’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, éditions Pascal, 2004. (2) Ibid. (3)  Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France », collection de JM Delabre. (4) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, Seuil, 1995. (5) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (6) Olivier Wieviorka, Op.cit. (7) Ibid.

 

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This 21st newspaper is dated November 1, 1942 and was printed on the Rotaprint, which was acquired by the movement in the Spring of 1941.

Despite the « formidable problems of ink and paper supplies », the printing passed from 10,000 to 30,000 copies by the end of 1942. It is the first issue to bear the inscription: « Founded July 1941 » and the mention: « Published in Paris ».

A year and a half had passed and the underground newspaper finally passed from its artisanal phase into a professional operation.

This publication is composed of three articles:

- The first, « So that France might live » is signed « Indomitus ».

- In the second, devoted to « the Relief », the anonymous author informed his readers of « the German demands, the attitude of the French government, the motives and pretexts, and finally, the consequences ».

- Défense de la France concludes this issue with an anonymous article titled « Confessions ». The author alerts the French to the German propaganda whose objective is to « drug its people [...] to give them the desire to continue the war » despites the recent events that have played into the favor of the Allies.


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Since the month of September, the undergrounds of the Sorbonne no longer housed « Simone », the Rotaprint of Défense de la France, who had to desert its place of hiding following a new alert. After ten months of occupation practically uninterrupted, the team grew acclimated to feeling safe, « sufficiently relaxed to dry copies of the paper in the library reserves » recounted Hélène Viannay. « We spread them out on shelves. We would leave the copies to dry all day then come back the next day. » (1)

« One day, a librarian came down to the reserves to look for a book. We watched from the other side through the keyhole. We had turned off all of the lights. And then, Philippe got a nosebleed, which would happen when he was very tired. The man did not come across the newspapers! » (2)

This false alarm incited relocation, for the seventh time, of their printing station. It was the rule. They set themselves up in an apartment on Rue Gazan where the located a battery of German anti-aircraft guns placed on the rooftops. The concierge explained to them that there was an apartment available because the former owner, a British man, had been arrested. For them, this was good security. Who would get themselves caught in such a trap?

This change of location marked an important step in the development of the newspaper. Défense de la France set up « a printing press that was one of the most beautiful technical achievements of the movement ». This apartment, rented by Jean Menneret and Margueritte-Marie Houdy, was « made completely soundproof using cork covering and made possible by serious architectural work by Mennerat, Philippe and Hélène Viannay. This soundproofing required 27 m² of cork. » (3)


Since February 1942, the professional printer, Grou-Radenez, offered his support to Défense de la France, and contributing greatly toward its professionalization. « In addition to the supply of materials, Grou-Radenez promised to help Défense de la France with the printing of certain documents » (4).
This created a relationship between the movement and photo-engravers and technicians and, above all, to teach the young, inexperienced members the rules of typography.

Among them, Charlotte Nadel, one of the pioneers of the movement, benefited from a rapid and useful apprenticeship, permitting her to control the technical branch of the movement. From then on, the movement operated out of a workshop at 41, Rue du Montparnasse in Paris. These apprenticeships at the printers helped the young pioneers, on the whole, to learn on the job.

« Thus a logic was set in place that carried us, swept us rather, and obligated us to respond to the multiple interrogations that sparked its own development. The newspaper is no longer a goal in and of itself, but a base [...]. Our expansion compels us to leave our little ghetto. » (5)

This pre-professionalism of the movement was accompanied by a desire to expand. « From Parisian, it transformed into a national organization and extended the reach of their action. » (6)

« The first 21 issues were written by a team of only 9 authors. [...] The directors attributed their articles to their close friends, and once the texts were accepted, signed the copies under a pseudonym: « Indomitus » for Viannay, « Robert Tenaille » for Salmon. The two men wrote the majority of the contributions themselves, though occasionally contributions were sent in from other personalities, such as René Tézenas-du-Montcel, « Maître Jacques », or Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier ». Overall, only a handful of people assumed all of the writing for the newspaper ». (7)

In the first 22 issues, published between August 1941 and November 1942, Défense de la France engaged in combat on the basis of moral protest. Its message, centered on information and counter-propaganda, addressed, unequally, the following subjects: collaboration, defeatism, lost territories and the germanization of local populations, anglophobia, the economic exploitation by Germany, the difficulties of the occupation, Hitlerism and Nazi barbarism, concentration camps, the defeat of the Wehrmacht and the economic difficulties of the Reich.


Source: (1) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, l'instinct de résistance de l'Occupation à l'école des Glénans, Pascal publications, 2004. (2) Ibid. (3) Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France » collection de JM Delabre. (4) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance , Défense de la France 1940- 1949, Seuil publications, 1995. (5) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, Ramsay publications, 1988. (6) Olivier Wieviorka, Op.cit. (7) Ibid.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi

Contexte historique

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La fin de l’année 1942 marque un tournant décisif dans l’évolution du conflit mondial.

Amorcée depuis le printemps, ce changement résulte, notamment, de la mise en place d’une stratégie commune par les forces alliées qui permet de stopper, sur la plupart des fronts, l’avancée des forces de l’Axe. 

Les Etats-Unis, qui mettent toute leur puissance industrielle au service de la guerre depuis l’attaque de Pearl Harbor, sont désormais en mesure de porter des coups. Le 5 juin 1942, la bataille aéronavale des îles de Midway marque un premier tournant ; les Etats-Unis reprennent l’avantage sur le Japon et reconquièrent progressivement l'océan Pacifique, île par île. 

En Afrique du Nord, après trois mois de lutte, les Britanniques ont repris l’initiative et la victoire décisive de Montgomery sur Rommel à El-Alamein, au début du mois de novembre, repousse l'Afrika Korps vers l’ouest. 

Sur le front Russe, les troupes allemandes subissent de lourdes pertes et restent bloquées devant Stalingrad. Enfin, l’imminence d’un débarquement en Afrique du Nord permet aux alliés d'inscrire radicalement et durablement l’ensemble de leurs forces dans la perspective d’une victoire désormais possible.

En France, le maréchal Pétain perd en crédibilité auprès d’une population française fatiguée, usée par les difficultés du rationnement et les restrictions quotidiennes que lui inflige une occupation allemande de plus en plus pesante. L’impopularité de Pierre Laval, chef du gouvernement depuis le 18 avril, l’augmentation de la répression qui se traduit par des rafles et l’institution de la relève le 22 juillet 1942 favorisent le rejet de la collaboration et font de 1942 un tournant dans l’évolution des mentalités dont profite une Résistance qui n'a cessé, au cours de l’année 1942, de tisser sa toile, de veiller, d'entreprendre. 

Grâce à l’action entreprise par Jean Moulin, délégué du général de Gaulle, les dirigeants des principales organisations de résistance travaillent à un processus d’unification de leurs forces.


Sources : Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, éditions du Seuil, 1995.

 

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The year of 1942 was a pivotal year in the evolution of the war, as it began to become global.

Beginning in the Spring, this change resulted notably from the institution of a common strategy by the Allied Forces, permitting them to stop the advancement of Axis forces on a majority of fronts.

The United States, which had put all of their industrial strength behind the war effort following the attack on Pearl Harbor, were soon in a position to deal blows. On June 5, 1942, the naval battle of the islands of Midway marked a turning point; the United States gained the upper hand over Japan and began progressively retaking the Pacific Ocean, island by island.

In North Africa, after three months of fighting, the British retook initiative, and the decisive victory of Montgomery over Rommel at El-Alamein, at the beginning of November, repulsed the Afrika Korps toward the west.

On the Russian Front, the German forces fell victim to heavy losses and they were stopped before Stalingrad. In the end, the imminence of a landing in North Africa allowed the Allies to radically and permanently assemble their forces with the possibility of a victory now in sight.

In France, Marshall Pétain lost credibility amongst a worn-out French population, tired of the hardships of rationing and the daily restrictions inflicted by a German occupation that were growing heavier and heavier. The unpopularity of Pierre Laval, who became the head of the government on April 18, and the increase in German repression through raids and persecution, encouraged the French to reject the collaboration, which thus inspired a change in the mentalities of the population. The primary beneficiary of this change in mentality was the Resistance, who, throughout the first six months of 1942, ceaselessly spun its web of connections, preparing, watching, and waiting.


Thanks to the actions undertaken by Jean Moulin, delegate of General de Gaulle, the main organizations of the Resistance began to work toward the unification of their forces.



Source: Serge Ravanel, L'esprit de la Résistance, Seuil publications, 1995.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi