Première page de la circulaire de recherche des 54 évadés d’Eysses

Légende :

6 janvier 1944.

Genre : Image

Type : Circulaire

Source : © Archives privées Jacques Delarue Droits réservés

Détails techniques :

Document papier. Dimensions : 21 x 29 cm.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Cette circulaire de recherche, datée du 6 janvier 1944, soit deux jours après l’évasion de 54 détenus de la maison centrale d’Eysses, est signée par Jean Buffet, directeur de la police de sûreté. Elle est destinée à tous les services de police et de gendarmerie.
La circulaire comprend six pages et énumère la liste des détenus évadés d’Eysses avec leur état-civil complet et dans quelques cas leur photo anthropométrique. Elle comprend 54 noms auxquels sont ajoutés les noms des deux gardiens complices de l’évasion. Il est à noter que les patronymes sont souvent mal orthographiés. Chaque page est encadrée de la mention « diffusion urgente » imprimée en rouge. Elle se conclut par les instructions à suivre en cas de découverte des fuyards.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

En décembre 1943, suite aux Trois Glorieuses, le directeur de la prison, Jean-Baptiste Lassalle, est remplacé par le directeur régional de l’Administration pénitentiaire, M. Chartroule. Sa volonté de reprendre en main la centrale n’évite pas l’évasion d’un groupe de 54 détenus le 3 janvier 1944. Il s’agit de l’une des plus importantes évasions collectives réussies pendant la Seconde Guerre mondiale dans les prisons de Vichy après l’évasion du Puy (80 détenus) et celle de Saint-Etienne (60 détenus).

Arrivés pour la plupart avant la masse des détenus, durant l’été 1943, ceux du quartier cellulaire, qui avaient déjà élaboré un projet d’évasion, refusent de s’intégrer à l’organisation collective, craignant un noyautage de la part des communistes et/ou considérant comme irréalisable une évasion de plusieurs centaines de prisonniers ; ils profitent du vide laissé à la direction de la prison après le limogeage du directeur Lassalle pour s’enfuir. L’évasion du quartier est une évasion préparée par l’Intelligence Service et le Special operation executive, les autres détenus en bénéficient accessoirement. Parmi les responsables de l’évasion, citons le commandant Stargart qui parvient, avec l’aide de certains gardiens, à prendre contact avec deux agents du SOE, le capitaine Lescorat de l’Armée secrète du Lot-et-Garonne, le lieutenant Aron de l’Intelligence Service, le commandant Hudson, officier de la Royal Air Force qui se voit confier, étant donné son grade, la direction des opérations. Tous ces contacts permettent d’organiser des points de chute dans la région de Cancon, à une trentaine de kilomètres de la prison. Les détenus doivent être conduits jusqu’à la sortie par les surveillants résistants, en simulant la sortie d’une corvée. Ils se divisent, ensuite, en petits groupes, suivant chacun un itinéraire prévu à l’avance, jusqu’à des points de chute chez des paysans des environs, en attendant leur transfert vers les maquis.

Plusieurs témoins, notamment des membres du mouvement Franc-Tireur (Henri Entine, Paul Weil) détenus dans les préaux, mais aussi Stéphane Fuchs, affirment avoir été sollicités pour participer à cette évasion restreinte et avoir refusé en raison de leur implication dans le Collectif et le projet d’évasion en cours. En effet, le responsable du groupe de Franc-Tireur, M. Gerschel, admettait difficilement de laisser derrière lui des membres de son groupe ; cinq détenus du préau 3 lui donnent d’ailleurs leur accord pour s’évader. Le déroulement est, en tous points, conforme au plan prévu. Vers 18 heures, les deux surveillants de service au quartier n°1 sont bâillonnés, ligotés, chloroformés et enfermés dans la cellule. Les détenus se rassemblent dans le hall où un surveillant complice, M. Gaillard, les conduit par le chemin de ronde, en direction de la porte charretière. L’effet de surprise est total car les détenus s’évadent en donnant l’impression aux gardes des tourelles qu’ils suivent leurs gardiens pour une corvée. Au total, sur les 54 évadés, 47 détenus viennent du quartier cellulaire, 5 du préau 3 et 2 ouvriers boulangers du préau des travailleurs doivent leur fuite au hasard. La réussite de l’opération est liée à deux facteurs essentiels : la complicité de deux surveillants Freslon et Gaillard qui s’enfuient avec les détenus, le relâchement de la discipline sous le directeur Lassalle, qui avait permis notamment l’ouverture des cellules du quartier pendant la journée.

L’alerte étant immédiatement donnée au sein des préaux, le Comité directeur décide d’une réunion, le soir même, sur l’opportunité d’une évasion généralisée dans la foulée. Après une discussion virulente, les membres du comité se rangent à l’avis de ceux qui veulent attendre le feu vert pour mener à bien le projet en cours, en coordination avec l’extérieur, contre celui de ceux qui veulent immédiatement profiter du désarroi créé par l’évasion pour s’évader dans la foulée.

Suite à cette évasion, l’Administration pénitentiaire met tout en œuvre pour reprendre en main la centrale. Le ministère de l’Intérieur décide l’internement administratif du directeur M. Lassalle, jugé directement responsable. À l’intérieur de la centrale, le directeur milicien Schivo resserre l’étau autour du collectif et l’organisation et la préparation minutieuse de plusieurs mois risquent à tout moment d’être réduits à néant. Il menace de mort les détenus qui lui opposent une quelconque résistance et plusieurs altercations ont lieu. La situation interne est devenue inacceptable pour le collectif, qui décide de saisir la première occasion pour tenter une sortie.


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.