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Lettre de la Milice sur les formalités pour constituer une équipe de sécurité

Légende :

Lettre du chef régional de la Franc-garde permanente (FGP) de la 3ème région au chef de la Milice drômoise, datée du 22 mars 1944.

Genre : Image

Type : Document officiel

Source : © CHRDD Droits réservés

Détails techniques :

Document format administratif 21 x 27 cm, sur papier pelure.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Lettre du 22 mars 1944, sur papier à entête de la « Milice française », adressée au chef départemental de la Milice de la Drôme :
« (…) Comme suite aux instructions reçues de VICHY concernant la constitution d’une équipe de sécurité dans votre département, je vous envoie les imprimés suivants à faire remplir et à me retourner après les avoir fait signer par les intéressés. En conséquence, je vous serai reconnaissant de bien vouloir m’envoyer les pièces indiquées ci-dessous qui sont indispensables à leur incorporation.
- (…) : 3 fiches vertes, 2 contrats d’engagement, 1 déclaration raciale, 1 déclaration Sociétés secrètes, autorisation des parents si mineur, 1 bulletin de mariage et bulletin de vie si marié (avec ou sans enfants), 1 acte de naissance, 1 extrait du casier judiciaire n°3, 4 photos.
- (…) : 2 fiches vertes, 2 contrats d’engagement, 1 déclaration raciale, 1 déclaration Sociétés secrètes, autorisation des parents, 3 photos.
- (…) : mêmes pièces que pour les précédents sauf l’autorisation des parents.
- (…) : 2 fiches vertes, 2 contrats d’engagement, 1 déclaration raciale, 1 déclaration Sociétés secrètes, 1 bulletin de mariage, 3 photos.

Veuillez trouver ci-joint des exemplaires de DECLARATION RACIALE, DECLARATION SUR LES SOCIETES SECRETES, d’AUTORISATION DES PARENTS ainsi que les CONTRATS D’ENGAGEMENT.

Je vous signale que parmi les pièces nécessaires à l’incorporation d’un Franc-Garde marié, père d’1 ou plusieurs enfants figurent : 1 bulletin de vie pour 1 enfant, 1 bulletin de vie collectif pour plusieurs.

Veuillez agréer mon cordial salut milicien.

Le chef de la 3ème région de la FGP Monsieur ... »

Les noms du chef de la 3ème région de la FGP (Franc-garde permanente : branche militaire de la Milice) et des futurs miliciens ont été volontairement cachés. On remarque que pour être admis dans la Milice, il ne faut pas avoir appartenu à une « société secrète » (Franc-maçonnerie) et ne pas être juif.


Auteur(s) : Robert Serre

Contexte historique

La Milice, police supplétive née du Service d’ordre légionnaire (SOL), est constituée dans la Drôme le dimanche 28 février 1943 lors d’une réunion dans la salle des fêtes de Valence, devant 400 personnes convaincues d’avance, sous la présidence du chef milicien d’Uriage, de La Ney du Vair, en l’absence du préfet de la Drôme qui ne s’y rend pas pour des « raisons impératives ». Des assemblées constitutives de la Milice française ont lieu en mars à Romans, Montélimar. Il s’agit de réaliser la Révolution nationale, y compris par le maintien de l’ordre, avec des cadres formés à l’école de Saint-Martin d’Uriage.

Pour la Drôme, dans une liste non datée, on a recensé un fort groupe à Valence (61 noms), Montélimar (20 noms), Romans, Livron, Saulce. Une autre liste du 6 avril 1944 cite 3 miliciens à Saint-Jean-en-Royans, 1 à Saulce, 2 à Livron, 55 à Valence, 3 à Bourg-lès-Valence, 24 à Montélimar. Ajoutons que l’Avant-garde regroupe les jeunes miliciens.

Trois inspecteurs se partagent le département : Edouard Baumgartner pour le nord, Jean Crochepierre au centre, Raymond Jaussoin dans le sud. Ils contrôlent l’activité des chefs de section, des délégués cantonaux et des responsables communaux. Le chef drômois, le colonel Tessier, dans ses notes d’information, donne des conseils à ses troupes : « Chaque milicien doit être un actif propagandiste. Partout, dans les trains, dans la rue, en public, répandons les idées de la Révolution nationale. Il ne faut pas perdre une occasion de faire du bien autour de nous, soit en redonnant confiance à ceux qui doutent et qui sont hélas trop nombreux, soit en faisant taire les mauvaises langues ». Il s’en prend à « la bolchevisation, aux stratégies américanophiles, au clergé soviétomane et aux bourgeois enjuivés ». Sur le martyre des Juifs, il écrit : « un certain clergé continue du haut de la chaire à gémir sur les persécutions contre les juifs. Mais que chacun regarde autour de soi : il suffit de s’appeler Jacob ou Lévy pour échapper à quantités d’obligations auxquelles sont soumises les aryens, gagner de l’argent à ne savoir qu’en faire pour faire impunément de la propagande antigouvernementale, échapper au travail obligatoire, être les maîtres du marché noir, des fausses nouvelles et de la planque. Impunité, intouchabilité, triomphe insolent, voilà bien le fait des martyrs ». Tous les miliciens drômois ont été abonnés d’office au journal Combats, avec obligation d’en payer l’abonnement.

Mais des signes de lassitude ou d’opposition apparaissent. En janvier 1943, à Romans, la Milice couvre de « ses signes cabalistiques » (des gammas) les murs des maisons, des édifices, etc. Certains élèves transforment le signe en tête de chat par l’adjonction de moustaches, ou en diables en y ajoutant des cornes et une barbiche. Une réunion de propagande de la Milice le 22 mai 1943 à Valence rassemble 60 miliciens seulement. Le préfet a dû prendre de sévères mesures de police pour éviter tout incident.

La Milice française ne semble pas bénéficier de la sympathie du public. Les conférences organisées dans les centres importants du département n’ont pas un gros succès. À Crest en particulier, la conférence, où ne sont venues que 4 ou 5 personnes, est supprimée. Fin avril, le rapport de gendarmerie note que « Les nouvelles formations, Jeunesse populaire française [...] Milice, sont mal vues de la majorité de la population et leur activité jugée complètement déplacée ». À Saint-Vallier, un milicien de la localité est injurié le 26 avril.

Tentant de se faire bien voir, les miliciens de la Drôme se sont emparés de viandes saisies à Upie pour les distribuer le 30 avril à des familles nombreuses ou nécessiteuses, le préfet s’en inquiète et voit là surgir un pouvoir discrétionnaire dangereux pour les droits de chacun.

Un tract imprimé à Valence le 1er juin 1943 explique : « CE QU’EST LA MILICE ? … Il est faux qu’elle soit une organisation policière, il est faux qu’elle soit une formation partisane, il est faux qu’elle soit une tentative de la "réaction". Elle est le mouvement national, que les esprits clairvoyants souhaitent depuis longtemps comme seul capable : d’assurer au peuple de France un avenir de justice sociale et de paix intérieure grâce à la remise en marche d’une Révolution nationale délibérément socialiste et nationale…; de lui garantir une paix réparatrice dans une Europe unifiée, pacifiée et rechristianisée. La Milice n’a de haine contre aucun véritable Français, même lorsque sincèrement il se trompe. Mais elle se dresse, contre tous les naufrageurs de l’Unité française, contre tous les exploiteurs des misères populaires : affameurs, accapareurs, profiteurs de guerre. Elle fait appel à tous les Français, sans distinction de profession, de confession ou de parti, à la seule condition qu’ils soient Français cent pour cent… Etre Milicien est un honneur. Militer dans la Milice, c’est combattre pour la vérité, pour la France, pour la civilisation chrétienne. Haut les cœurs et que revive la France ! »

Le même jour, Tessier lance un appel aux Drômois : " La Milice n’est pas, comme voudrait le faire croire ses ennemis, un ramassis de voyous, elle se présente au contraire comme une véritable sélection de personnes appartenant à toutes les classes de la société ". Lui qui aurait dit en juin 40 qu’un peu d’occupation allemande ferait du bien aux Français, déclare que la Milice mènera la lutte contre le marché noir. Mais lui-même fait l’objet de deux procès-verbaux pour achat et transport illicite de bois, deux affaires vite étouffées.

En août 1943, le colonel Tessier écrit aux miliciens Drôme-Ardèche : " actuellement, […] de nombreux miliciens ont une tendance à se dégonfler ; quelques-uns même vont jusqu’à donner leur démission ". Un rapport du 29 août 1943 signale que, dans les deux départements d’Ardèche et Drôme, les adhésions à la Milice sont très rares. Le 7 octobre 1943, le chef régional de la Milice répond à Alonso A-, franc-garde à Montélimar qui vient de lui présenter la démission collective de son groupe : " Je suis personnellement ravi de pouvoir épurer la Milice de tous les éléments indisciplinés et indésirables qui s'y sont glissés ". En septembre 1943, Tessier, après avoir souligné qu’il " est lâche de renier son serment avec le sang encore tout chaud de nos martyrs ",  explique aux démissionnaires qui croient se sauver en quittant la Milice qu’ils sont pris au piège : " Tu es marqué et crois-tu que tes ennemis d’hier te tiendront compte de ta lâcheté, de ton reniement ? […] Tu crois sauver ta peau, ta famille, tes biens, tu te crois en sécurité parce que tu as écrit une lettre de démission ? NON. "


Auteur(s) : Robert Serre
Sources : AN, F/1CIII/1152. AN, F/1a/3901. AN, B.C.R.A, 3AG2/478, Rapport ZAC/7 14031514200. SHAT, 13 P 3, 13 P 48, 13 P107. SHGN, rapport Cie Drôme R4. ADR 182 W 9. ADD, 9 J 1, 9 J 3, 255 W 89. 97 J 27, 97 J 91, 11 J 39-40, 268 W 4. Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme, 1940-1944, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 29 novembre 2001, base de données. P.-P. Lambert et G. Le Marec, Organisations, mouvements et unités de l’État français, Vichy 1940-1944, J. Grancher Paris 1992, réédition Le grand livre du mois, 2002. Archives A. Fié, compagnie Pons. Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, tome 6, p. 346. Note d’information de la Milice Drôme-Ardèche, n° 6 et 8 (août-septembre 1943). A. & A. Cayron, p. 142-143. Chalandon, Les Chrétiens dans la Résistance drômoise, p. 63, 153 à 157. Henri Faure, p. 42, 132. Burles, p. 24-37. Pour l’Amour de la France, p. 53. Ladet, Ils ont refusé de subir, p. 13-37-83-99-100. Drôme terre de liberté, p. 146. Drôme Nord, terre d’asile et de révolte, p. 161-180. La Picirella, p. 106-186. P. Pons, p. 105. Gerland, La Résistance en Drôme Centrale, p. 51-60. L.F Ducros, tome 2, p. 304. Jeanne Deval, p. 177. Le Petit Valentinois et le Journal de Valence, 17 juillet 1943. Le Messager de Valence, 24/07/1943. La Drôme en armes, n° 2 du 1/8/1944. Le Crestois n° 2 379 du 17 décembre 1945. Les Allobroges, 4 novembre 1944. Souvenirs de Mady Chancel, in Revue des amis de Louis Aragon, n° 27, juin 1999, p. 12. Terre d’Eygues n° 13, p. 39-40, témoignage. Dauphiné Libéré, 10/08/1994. Georges Brès, in Le Crestois du 29/07/1994.