Rapport sur la situation sanitaire de la maison centrale d’Eysses

Légende :

Rapport du docteur Guy.

Genre : Image

Type : Rapport officiel

Source : © Archives nationales (Fontainebleau), 19960148/10 Droits réservés

Détails techniques :

Papier pelure, texte dactylographié, 8 pages, dimensions: 21 x 27 cm.

Date document : Mai ou juin 1945

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Ce rapport du docteur Guy, médecin officiel de la maison centrale d’Eysses depuis 1900, concerne les mois de mars à mai 1945 mais revient avec de nombreux détails sur un rapport qu’il a rédigé en mars 1944 et qui concerne donc la période qui nous intéresse ici. Ceci pour signaler au commanditaire de ce rapport que la situation sanitaire et médicale de la centrale n’a pas évolué entre ces deux périodes et qu’il devient urgent de remédier à tous les problèmes signalés. Le rapport comprend 8 pages dont six reprennent le rapport de mars 1944. Il se découpe en 11 parties. Voici quelques extraits qui montrent les conditions de vie des détenus politiques à Eysses en 1943-1944 :

- Le surpeuplement : « Depuis 50 ans environ le nombre de détenus à Eysses oscillait autour de 200. Il avait atteint en 1905 le chiffre de 500 qui n’avait jamais été dépassé. En juin 1940, par suite du repliement imposé par la débâcle et passé à 7 ou 800 d’abord, puis malgré l’envoi d’un certain nombre à Carrère et dans les camps forestiers, la brusque arrivée en octobre 1943 d’internés politiques, porte le chiffre à 1200, 1400, 1500 même à la Maison centrale elle-même.(…) Dans certains dortoirs, on avait installé des couchettes en bois à deux étages garnies d’une très mince paillasse. Au dortoir 3, mesurant 33 mètres x 5 x 5, ayant 8 fenêtres exposées au nord seulement, j’ai compté 56 couchettes doubles, se touchant par groupe de 3 ou 4 entre les fenêtres ; il y couche 105 détenus. Les WC dégagent une forte odeur d’urine. Les anciens dortoirs à grande cage métallique sont parfaits, propres, bien aérés, mais les nouveaux dortoirs à double couchette de bois laissent à désirer. Au grand quartier cellulaire, il y a 51 cellules disponibles mesurant 2,25 de large sur 4 mètres de long et droit en hauteur avec une fenêtre surélevée de 100 x 100. Il y avait jadis un seul détenu par cellule et il faisait une demi-heure de promenade matin et soir. Or il y avait ces jours derniers 162 détenus donc 3 ou 4 par cellule avec la tinette commune et du fait de leur grand nombre ils ne peuvent sortir sur la cour qu’une seule fois par jour. »

- « A l’Infirmerie : il y avait 32 box grillagés chacun n’étant occupé que par un seul malade. On peut voir par les chiffres qu’il y apresque toujours 90 à 100 malades à l’infirmerie, ce qui oblige à mettre au moins trois malades dans chaque box.(…) Si on y ajoute la vétusté des planchers où fourmillent puces et punaises, le manque de médicaments vraiment actifs contre les parasites, il ne faut pas s’étonner de la recrudescence de la gale…

- Aération – ventilation : Elle est insuffisante et l’atmosphère des dortoirs et salles est vicié par le séjour d’une population trop nombreuse. La chapelle elle-même dégage un fort relan d’humanité malpropre du fait que toutes les fenêtres et même leurs vasistas ont été condamnés.

- Buanderie – lavage – nettoyage des locaux : La buanderie établie jadis pour une population de 500 pensionnaires est tout à fait insuffisante pour 1000 et à plus forte raison 1200. Les détenus sont obligés de laver leur linge eux-mêmes dans les bassins des préaux et de le faire sécher comme ils peuvent soit dans la cour soit sur des cordelettes tendues dans leurs salles, ce qui dégage une mauvaise odeur.

- Douches – désinfection : L’établissement possède seize pommes d’arrosoir pour douche chaude. On pourrait passer environ 250 détenus par jour, c'est-à-dire à peu près tous chaque semaine, mais la grande difficulté réside dans le chauffage car on n’a pas de charbon à cet effet et il est très difficile de trouver du bois en quantité suffisante. Cependant étant donné l’importance des soins de propreté corporelle dans un établissement aussi important il est infiniment désirable qu’on fasse tout le possible pour arriver à donner une douche savonneuse chaque semaine, seulement le manque de savon crée pour cela une nouvelle difficulté qui finira je l’espère par être surmontée. Eysses possède une étuve à désinfection Geneste et Herscher à vapeur d’eau sous pression, qui avait été installée sur ma demande vers 1905. Malheureusement elle est devenue tout à fait insuffisante pour le chiffre actuel de la population et je l’avais signalé dans mon rapport du mois de mars. Elle faut d’ailleurs avariée le 19 février 1944 jour de la mutinerie par le lancement de grenades.

- Alimentation : Elle a été sérieusement améliorée et les détenus reconnaissent être mieux nourris que dans la plupart des autres établissements. Cependant malgré la mise en marche d’un nouveau fourneau, la cuisine est à peine suffisante et la distribution des aliments est longue et difficile, les aliments arrivent surtout en hiver refroidis aux consommateurs. En effet, jadis, les repas se prenaient en commun aux réfectoires très voisins de la cuisine. Aujourd’hui on les apporte dans les salles des divers préaux dont certaines sont fort éloignés en particulier le grand quartier cellulaire.

- Service médical – infirmerie – pharmacie
Matériel et locaux :
L’infirmerie est un bâtiment rectangulaire isolé dans une grande cour. Il comprend au rez-de-chaussée un vestibule spacieux et de chaque côté une salle de malades divisée en seize spacieuses cellules grillagées. Chaque cellule est occupée actuellement par trois ou quatre malades au lieu d’un. A la salle des malades se trouve du côté gauche la petite pièce du surveillant de service, du côté droit le cabinet rudimentaire du médecin d’environ 2m50 x 4 meublé d’un bureau, d’un fauteuil et d’une chaise. Une salle de pansement fut établie face à la cuisine durant le séjour des internés politiques en 1943-1944. Au premier étage, une grande salle commune de trente et quarante places avec quelques couchettes doubles en bois, et de l’autre côté cinq chambres qui étaient destinées aux surveillants malades au temps où ils devaient tous êtres soignés à l’infirmerie. Deux petites pièces donnant sur le vestibule servent de dortoir aux infirmiers, deux petites cellules servaient jadis à traiter les très rares galeux ou pouilleux. Aux extrémités des quatre grandes salles du rez-de-chaussée et du premier étage existe une pièce assez spacieuse. En haut à droite et à gauche, il n’y a rien. En bas il y a, à droite, les WC et une très petite buanderie avec une mauvaise baignoire à gauche, la pièce servait de salle d’opération. Elle a été très avariée lors de la mutinerie et tout le matériel brisé.
(…) Ce qui était supportable pour un effectif de 150 à 200 pupilles ne l’est plus avec un effectuif de 1200 détenus, âgés, atteints de multiples infirmités dûes à l’âge (certains ont plus de 70 ans) et aux restrictions. »


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Archives nationales (Fontainebleau), 19960148/10.