Destruction de l’école publique de Lapeyrouse-Mornay le 29 août 1944

Légende :

Un détachement de la 19e Armée allemande en repli détruit l’école de Lapeyrouse-Mornay le 29 août 1944.

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Inconnu

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : Août ou septembre 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Lapeyrouse-Mornay

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Analyse média

La photo de l’école détruite le 29 août 1944 à Lapeyrouse-Mornay par les Allemands a été prise quelques jours (voire quelques semaines) après les événements. L’occupant a définitivement quitté la Drôme le 31 août 1944 au soir, seulement 48 heures après les sévices perpétrés, mis en évidence par le cliché.

L’absence de toit est évidente ; il est parti dans les flammes. Le document montre des détériorations de la partie sommitale du mur de façade et du mur latéral ; les chéneaux ont disparu ; seules deux cheminées demeurent debout. En observant à travers les fenêtres, on constate que le bâtiment est totalement à ciel ouvert.

Les façades elles-mêmes ne sont pas particulièrement affectées par l’attaque ; le sommet seul des fenêtres apparaît noirci par la fumée de l’incendie qui a anéanti charpente et toit.

La destruction du bâtiment public semble ainsi avoir été opérée au moyen de grenades incendiaires, ainsi qu’il a été pratiqué selon un témoin, immédiatement après, lors de la destruction du café Gallay.

Trois affichettes ont été apposées : elles sont visibles dans le quart droit du cliché, au bas de celui-ci, deux sur la fenêtre et une sur le tuyau de descente des eaux pluviales.

La photo a été affichée publiquement à Lapeyrouse-Mornay au cours d’une exposition organisée par la Bibliothèque communale, peu après l’enquête menée, en 2005, dans la Valloire, par Christiane Langlais. Ce travail, effectué dans le cadre de cette institution, portait sur la mémoire locale.

Des précisions intéressantes de cette recherche seront utilisées pour situer le contexte des événements qui ont bouleversé le village et entraîné cette prise de vue.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Sources : Christiane Langlais, archives personnelles. Bibliothèque communale, Lapeyrouse-Mornay.

Contexte historique

L’incendie de l’école publique de Lapeyrouse-Mornay par la flanc-garde allemande s’accompagna, dans les minutes qui ont suivi, de celui de deux autres maisons, également dans le centre du village.

Puis, s’éloignant encore de la vallée du Rhône, le détachement occupa Beaurepaire, bourg isérois proche de la commune. Rappelons que ces faits se déroulaient deux jours seulement avant le départ définitif des Allemands du département ; comment expliquer cette brutalité et cette précipitation, sans doute plus calculées qu’on ne pourrait le penser ? L’approche des forces en présence à la fin du mois d’août 1944, localement, régionalement et au-delà, pourrait aider à comprendre comment cette paisible localité ait pu être défigurée en quelques instants en cette fin d’été.

Lapeyrouse-Mornay est la commune la plus septentrionale, aux confins de la Drôme et de l'Isère, sur une voie de passage stratégique reliant la vallée du Rhône et les axes Grenoble-Lyon ou Grenoble-Bourg-en-Bresse. Cette situation est particulièrement prise en compte par la 19e Armée allemande – occupant jusque-là le sud de la France – et en cours de repli vers le nord, ce mouvement s’effectuant dans la deuxième quinzaine d'août 1944, après le débarquement allié du 15, en Méditerranée. L’armée doit se prémunir contre le danger d'une attaque provenant de son flanc droit, une fois dépassé Saint-Rambert-d'Albon, entre autres par Beaurepaire-Lapeyrouse-Jarcieu (Isère)-Bougé (Isère)-Chanas (Isère). En effet, les forces états-uniennes, parvenues à Grenoble dès le 22, aidées par la Résistance, tentent de lui couper la route, en se rabattant vers l'ouest. Mais, si le projet est mobilisateur, il tient peu compte de la force que représentent les 130 000 hommes puissamment armés de cette grande unité adverse.

En remontant la vallée du Rhône, la 19e Armée laisse sur le terrain des pertes certaines. Mais elle parvient à passer Montélimar le 28 août, Saint-Vallier-sur-Rhône, le 30 ; le 31 août au soir, elle quitte le département. Elle est en passe d'atteindre ainsi son objectif, à savoir être sur les lieux d'une bataille essentielle dans la moitié nord de la France, durant les derniers mois de l'année.

Tout au long de ce mouvement, dans le Sud-Est, elle est précédée par des détachements qui protègent ses flancs et qui tentent de neutraliser les accès perpendiculaires à sa route – sur la rive gauche du fleuve notamment : la vallée de la Drôme (Crest menacée le 25), de l'Isère (Romans réinvesti le 27) la Valloire (massacre de Chanas (Isère), le 29, destruction de trois maisons à Lapeyrouse-Mornay et occupation de Beaurepaire, les 29, 30 et 31). Pour comprendre l'enchaînement des événements de la fin août, en Valloire, à Lapeyrouse-Mornay pour ce qui concerne le document exposé, un retour chronologique est quasiment indispensable.

En fait, le détachement allemand, qui incendie l’école, exécute donc une mission précise et pour ainsi dire minutée, le 29 août (le lendemain, le général Wiese, commandant la 19e Armée, doit installer son PC à Vienne (Isère)) : au-delà des violences locales – qu’il doit traiter rapidement, il faut qu’il montre sa force, sème la peur, pour rendre la population (et notamment sa force résistante quand elle est présente) passive et impuissante. Il faut que cette troupe de reconnaissance, en un mot, contrôle la Valloire de Saint-Rambert-d’Albon-Chanas (Isère), à l’ouest, à Beaurepaire (Isère) à l’Est, pour assurer la remontée de la 19e Armée : la double menace des Alliés et des FFI dont les maquis et les réseaux s’étaient constitués et renforcés en Drôme nord depuis 1943, doit être impérativement neutralisée.

Le 29 août 1944, vers 14 h 30, « une colonne blindée allemande est signalée à Jarcieu (Isère) » (message du lieutenant Georges commandant le groupe AS Jules Dedieu, à Bellegarde-Poussieu, (Isère) ; elle se déplace vers l’Est. Un coup de feu est tiré plus loin, au Pont du Dolon, à l’ouest du village,, par la garde en place, dépendant du groupe résistant de Lapeyrouse-Mornay, pour prévenir de l'arrivée imminente des Allemands dans la bourgade. Un homme à moto, à quelque distance, se charge d'avertir concrètement du danger.

Des hommes, dont quelques-uns doivent se préparer à relever la garde au Pont du Dolon, sont regroupés au café Gallay. Il fait chaud, les portes sont grandes ouvertes. Les uns sont à l'intérieur, dans la salle. Les autres sont devant : ce sont les premiers à donner l'alarme certainement, car la route nationale venant de Jarcieu se déroule, rectiligne, devant eux ; ce sont les mieux placés, également, pour percevoir le tir d'avertissement dont il a été question ou pour être informés par le motocycliste. Tous ont le temps de s’éclipser au sud, vers Manthes, avant que les soldats n'atteignent le bar.

Ainsi alertés, les Lapeyrousiens fuient dans les bois, ou en contrebas, dans la basse vallée. André Auger, un résistant, assure que le mouvement des soldats est rapide : « ils arrivent vite et, dès les premières maisons du village, ouvrent le feu ».

On imagine ce qu'il aurait pu advenir de la famille de l'instituteur résistant si parents et enfants n’avaient pas disparu dans le bois voisin, ou des consommateurs du café restaurant Gallay, complice de la Résistance, s'ils avaient été surpris dans leurs discussions, alors que – un témoin se souvient – des tracts étaient sur les tables du bistrot.

Les hommes de l'unité de reconnaissance de la 11ème Panzer Division auraient commencé par l'incendie de l'école – c'est la première, sur leur route – et de là, auraient tiré sur le café Gallay situé à environ 100 m, avant de le détruire au moyen de quatre grenades incendiaires. Dans le cadre de ces exactions, il faut citer aussi la maison Brochet, qui jouxte le café restaurant et qui brûle en même temps ; la moto du volontaire – dont on ignore le nom – qui a prévenu les villageois, garée contre le mur de la poste, voisine de l’école, est également brûlée. Les incendies sont vus de Beaurepaire, selon des contemporains : « d'une fenêtre de l'ouest de la maison, [à Beaurepaire,] je vis monter beaucoup de fumée au niveau du village de Lapeyrouse ».

André Auger et Joseph Tardy, deux paysans, vivent eux aussi des minutes angoissantes ce jour-là (bien sûr, ils ne savent pas que, comme nous l’avons vu, dix-neuf personnes sont massacrées à peu près au même moment à Chanas, par un groupe de la même unité). Les Allemands les ayant arrêtés à proximité du château de Barrin, sur la route de Beaurepaire, les considèrent comme suspects et entreprennent de les fouiller et de les interroger. Mais deux maquisards, de loin, ouvrent le feu sur le groupe. L'intervention est suffisante pour dissuader les soldats de poursuivre : ignorant l'importance réelle de cet élément résistant, ou devant éviter le combat, ou tout simplement étant chargés d'une mission plus importante (occuper Beaurepaire, ce qui se produit peu après), ils abandonnent leur action. Les deux hommes mettent à profit la situation pour fuir.

Aucun souvenir ne subsiste actuellement du passage du détachement de reconnaissance allemand, à son retour, deux jours plus tard... On pourrait peut-être l’expliquer : « Dans la crainte d'un retour des Allemands, dit Jules Chambaud, alors membre du réseau résistant, on est allé se cacher en Oron, près de la rivière, c'est-à-dire dans la plaine de la Valloire, loin de la route... »

On aura compris que la présence résistante dans la commune, si elle n’a pas empêché l’incendie des maisons, a pu contribuer à épargner des vies humaines : l’alerte a été donnée avec maîtrise. On peut remarquer que les résistants gardant le Pont du Dolon, ont bien joué leur rôle préventif et que la communauté, sur ses gardes, attestant un esprit vigilant depuis deux ans, a été capable de prendre des mesures de sécurité efficaces : aucune victime n'est à déplorer à Lapeyrouse au cours de cette journée du 29, ni à l’école ni au café...

Cela nous ramène à l’école. Lorsque la guerre éclate, deux classes sont animées par le couple Chomet, instituteurs, installés depuis dix ans environ. À l'instigation de Ferlay, ex-directeur du cours complémentaire de Saint-Vallier-sur-Rhône, Max Chomet prend la tête d'un modeste réseau de Résistance ; Ferlay avait été déplacé par l’administration vichyssoise. Une dizaine d'hommes – dont quelques sympathisants communistes et quelques socialistes, se rassemblent autour du directeur d’école. Ce groupe, en 1944, élargit ses effectifs : au total, il atteint peut-être la quinzaine. Il dépend alors du capitaine Georges Monot (AS), commandant le maquis de Saint-Sorlin-en-Valloire.

Un résistant de Beaurepaire, cachant des armes à Épinouze, à proximité de Lapeyrouse, leur en remet quelques-unes. Les volontaires complètent leur armement en allant à vélo faire de la récupération, notamment des mousquetons italiens, à Romans, lors du départ des Allemands, quand la ville est momentanément libérée par les FFI, le 22 août, sept jours seulement avant les événements évoqués. Leur activité semble avoir été assez réduite ; selon le témoignage de l'un d'entre eux. Ils prennent toutefois des gardes, au pont du Dolon – entre Jarcieu (Isère) et Lapeyrouse (sur la RN 538). Ils assurent des missions à Rapon (Anneyron), sans doute pour surveiller les passages, à partir du bois de la Lence dominant une colline du quartier, à un moment où les replis allemands vers le nord se font intenses et menaçants.

Pourquoi l’école ? Pourquoi le café Gallay ?..., peut-on se demander. Sans doute, les trois maisons brûlées étaient-elles sur le passage d’une troupe pressée, « en opération de protection », donc, pour elle, faciles à atteindre. Cependant, la précision de l'intervention des Allemands, qui ciblent l'habitat complice des « terroristes », ayant contenu des armes ou des tracts – l'école et le café –, pourrait indiquer la présence, à Lapeyrouse ou (et) dans la région, d'indicateurs français collaborant avec les Allemands, hypothèse que confirmerait la présence de Mireille Provence dans la région quelques mois auparavant.


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources :  Christiane Langlais, archives personnelles. Bibliothèque communale, Lapeyrouse-Mornay. Beaurepaire, Les années terribles 1939-1945. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme – Vercors, éditions AERI-AERD, 2007, témoignage de Mme Savel in "Lapeyrouse-Mornay, destruction du Café Gallay".