Maquettes de maisons de la reconstruction du Vercors

Légende :

Maquettes de maisons rurales, musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors. Celle de gauche représente la ferme ancienne, celle de droite la ferme issue de la Reconstruction. Sources : collection Alain Coustaury ©

Genre : Image

Producteur : Alain Coustaury

Source :

Détails techniques :

Photographie numérique couleur

Date document : 2012

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

Cette vitrine du musée de la Résistance de Vassieux présente deux maquettes de maisons. Maquettes « éclatées », elles mettent en évidence les plans des constructions. À gauche, la ferme traditionnelle est composée d'un rez-de-chaussée où l'étable tient une place prépondérante. Les lieux de vie ne représentent qu'un tiers de la surface. Il en est de même pour l'étage où la « fenière » couvre les 2/3 de la surface. La maquette de droite met en évidence la volonté de donner une place prépondérante au confort des habitants. Plus vastes, plus éclairés, plus gais, les espaces de vie représentent désormais pratiquement la moitié de la surface du bâtiment. Les villages, lors de leur reconstruction, ont profité également des nouvelles conceptions de l'urbanisme : rues larges, aérées, adduction d'eau, sanitaires privés, etc. C'est ainsi que Vassieux, La Chapelle-en-Vercors mais aussi, sur les contreforts du Vercors, Beaufort-sur-Gervanne, Combovin, Espenel ont profité de la politique de reconstruction après 1945. Cette dernière s'est déroulée dans un contexte politique et économique difficile expliquant souvent la lenteur et les difficultés de la renaissance des communes touchées par les événements de 1944.


Alain Coustaury

Contexte historique

La reconstruction du Vercors, sur le massif même et aux alentours s'inscrit dans un contexte politique complexe. Elle est pensée localement et aussi dans la vision d'un redressement général de la France après une période où la cohésion nationale a été mise à mal pendant l'Occupation et l'État de Vichy. Non seulement, on vise à la reconstruction des bâtiments et des villages mais on définit l'agriculture comme un secteur stratégique dans le Plan de production et de modernisation de 1946. C'est dans cette vision que les exploitations agricoles du Vercors sont pensées dans une exigence de viabilité économique. Ce double enjeu, local et national, conduit à l'action de nombreux agents de l'État. Une des premières exigences est l'établissement d'une évaluation des dégâts matériels liés aux opérations militaires menées par la Wehrmacht. Dans le Vercors, les premières enquêtes débutent alors que les Alpes françaises ne sont pas encore libérées. Elles sont menées par des personnes aux origines et aux buts différents. Une enquête de terrain est réalisée par un jeune géographe de l'US Army, Peter Nash, secondé par le professeur Raoul Blanchard de l'Institut de géographie de Grenoble. Un haut fonctionnaire du Génie rural a recensé les exploitations détruites. D'autres intervenants de l'État réalisent des travaux d'estimation des dégâts. De ces multiples travaux, il s'en est suivi des approches différentes de la conduite à tenir pour la Reconstruction du Vercors. Roger Houdet, Inspecteur Général du Génie rural, est lui en mission au titre de Délégué Général à la Reconstitution agricole au sein du ministère de l’Agriculture. Le contexte exceptionnel du Vercors l’oblige à se rendre sur le terrain pour évaluer l’ampleur des dégâts afin de renseigner les décisions politiques. Il côtoie le délégué départemental de la Reconstruction, Albert Pietri, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées pendant la guerre, détaché ensuite au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme et monsieur Sabatou, architecte professionnel nommé Architecte en chef de la Reconstruction du Vercors. On a pu observer une concurrence entre les acteurs de ces recherches pour reconstituer et moderniser le massif. Par exemple l'action de François Boissière, représentant du Commissaire de la République, associé au Gouvernement provisoire, est un des initiateurs des premières mesures d'urgence. Sa capacité à trouver des arrangements, accélérant la reconstruction, est remise en cause par le délégué départemental à la Reconstruction Albert Pietri, au fur et à mesure que les services de l'État se réorganisent. Mais tous s'accordent pour mettre en exergue les difficultés liées à l'exode rural indissociable des destructions consécutives aux événements militaires.

Les pertes humaines estimées à 130 civils pour les 24 communes du massif et de ses contreforts s'ajoutent à l'exode rural. Elles vont accroître les difficultés de la reconstruction. Pertes humaines et destructions matérielles se concentrent dans le Vercors drômois. Sur les 573 bâtiments détruits recensés, 459 se trouvent dans la Drôme. Deux communes sont particulièrement touchées, Vassieux avec 240 bâtiments détruits sur 247 et La Chapelle-en-Vercors avec 155 sur 163. En Isère, seules les communes de Malleval et de Saint-Nizier ont subi des destructions comparables. Le cheptel a subi de grosses pertes, Vassieux a perdu 96 % de son gros bétail. La reconstruction va donc privilégier le canton de La Chapelle-en-Vercors. Dès le 1er septembre, Yves Farge, Commissaire de laRépublique, crée le Comité d'aide et de reconstruction du Vercors (CARV) dont il confie la direction initiale au commandant Pierre Tanant. Des mesures urgentes sont à prendre pour faire face à l'arrivée de l'hiver. Ensuite un plan à plus long terme est établi fixant les responsabilités et délimitant le secteur intéressé par la reconstruction. Ce dernier comprend les cantons de Villard-de-Lans, La Chapelle-en-Vercors, Saint-Jean-en-Royans, les communes de Combovin, Saint-Julien-en-Quint, Romeyer, Espenel, Plan-de-Baix. Pour reloger les sinistrés, Yves Farge propose de les loger dans les hôtels, alors vides, de Villard-de-Lans. Cette initiative est mal accueillie par les édiles qui veulent que leur cité retrouve le plus rapidement possible sa fonction économique, notamment touristique, et par les sinistrés qui désirent rester sur place. C'est en cet automne 1944 que l'aide de la Suisse va soulager les sinistrés par l'envoi d'aliments mais aussi de bois et de carton bitumé pour isoler les bâtiments. Cette aide est formalisée par la création le 13 décembre 1944 du « Don suisse pour les victimes de guerre ». Le Vercors va bénéficier de dons, d'outillage (les premières moto-faucheuses), de linge, de bétail. À l'entrée de l'hiver les sinistrés sont pratiquement tous relogés dans des baraquements préfabriqués. Si l'aide d'urgence a été rapide et efficace, il n'en est pas de même pour les chantiers de reconstruction. Des communes du Diois réclament leur intégration dans le Comité. Ce dernier, en avril 1945, cède sa compétence de la reconstruction à la délégation de reconstruction de l'Isère basée à Grenoble, déclenchant des protestations des communes drômoises qui se sentent lésées. L'ingénieur Pietri doit faire face à ces difficultés. Citons en une : le dossier d'un sinistré drômois.

Le 27 juillet 1944, la ferme de Gaston Bertrand de Marignac-en-Diois, sur le contrefort méridional du Vercors, est incendiée par l'armée allemande. Le 28 décembre 1944, Gaston Bertrand reçoit une réponse à une demande de subvention pour la reconstruction de sa maison. Si elle est réalisée, 80 à 90 % du coût seront pris en compte par l'État. Si la maison n'était pas reconstruite, l'aide ne serait que de 30 %. Cette différence traduit la volonté de maintenir la population sur place et de reconstruire selon les nouvelles normes d'urbanisme, bien signifiée dans un document du CARV du 8 janvier 1945 : « Ainsi, par une juste compensation des souffrances subies, [ils] profiteraient d'une expérience peut-être unique dans tout le pays. À la place de ruines, naîtront des maisons, quartiers ou villages plus beaux sans que les communes doivent en supporter les frais ». Dans le cas présent, cette idée a été appliquée à la lettre car il y a eu effectivement une belle bâtisse construite en lieu et place d'une ferme : ainsi Gaston Bertrand va devoir demander des aménagements plus fonctionnels dont le coût sera réclamé à sa veuve 20 ans plus tard ! Quant au cheptel et au matériel agricole, Gaston Bertrand doit s'adresser à une autre administration ce qui est une source de lourdeur dans la distribution des aides. Afin de compenser la perte de son activité agricole par manque de matériel et de cheptel, Gaston Bertrand avait fait une demande d'emploi de cantonnier qu'il n'obtiendra pas La famille Bertrand a tout perdu dans l'incendie de sa maison. Le 11 mai 1945, un document lui propose d'acheter à un bon prix du mobilier. « Ces mobiliers sont en chêne ciré. Ils sont d'une grande solidité et fort beaux. Il sera certainement impossible de satisfaire, dès maintenant, toutes les demandes  » Toujours le souci de qualité mais la pénurie demeure. Le cheval est encore, en 1945, l'animal de trait largement employé dans les exploitations agricoles françaises. La motorisation de l'agriculture française se fera essentiellement dans les années 1950 et 1960. Gaston Bertrand a perdu le sien lors de l'incendie de l'écurie. Le remplacement et le renouvellement des chevaux de trait sont difficiles. Un cheval a quand même été donné à Gaston Bertrand mais il a été enlevé à un agriculteur, non sinistré, de Marignac. On imagine facilement les tensions que peuvent créer de telles situations. Petit à petit la situation matérielle s'améliore. En octobre 1945, est proposée, aux sinistrés du Vercors, une longue liste d'objets nécessaires à la vie quotidienne. Ils sont destinés aux deux catégories de sinistrés, les sinistrés totaux et les sinistrés partiels. Cette distinction doit être source de difficultés car il paraît difficile de faire la différence entre les deux catégories, facilitant les possibilités de tricheries et créant par la suite des rancunes tenaces entre les différents bénéficiaires. Le courrier daté du 15 octobre 1945 fait état des cartes de rationnement. La guerre est finie mais la pénurie perdure. Le rationnement de certaines denrées ou matériels durera jusque dans les années cinquante. Il entraînait l'obligation de s'inscrire chez un fournisseur. La note du 6 mars 1946 confirme que, malgré les efforts, la pénurie en « mobiliers de réinstallation » continue. La situation ne s'améliore que très lentement puisque ce n'est que le 10 avril 1946 que Gaston Bertrand doit remplir une déclaration de sinistre pour les dommages agricoles subis en juillet 1944. L'administration lui fait comprendre par une lettre du 14 mai 1946 qu'il n'est pas le plus à plaindre car le Vercors a bénéficié d'une aide bien supérieure à celle reçue par d'autres régions. Ce courrier constate la dissolution du centre de Valence du Comité Aide et Reconstruction du Vercors. On peut noter que déjà, à cette époque, le Vercors tient une place importante dans l'esprit et la mémoire du personnel politique français. Quant aux articles que la famille Bertrand peut récupérer, ils mettent en valeur l'aide des États-Unis et également un changement dans les trousseaux. Couvre-pieds américains et sacs de couchage remplacent draps de coton ou de lin ! Toutes les démarches qui précèdent ne sont pas gratuites. Gaston Bertrand doit payer une note d'honoraire du 8 juin 1946 pour établir dossiers et réclamations. L'équipement de la cuisine s'améliore par la réception d'une batterie de 13 pièces en novembre 1946. Mais, la famille n'a pas encore reçu une aide financière. En janvier 1947, l'expertise des dommages n'est pas totalement réalisée. Dans le même temps, les contrôles pour éviter les fraudes sont effectués. Le 21 janvier 1947, Gaston Bertrand doit fournir le bon pour l'acquisition d'un matelas. Toutes les difficultés rencontrées pour obtenir de l'État des avances sur les indemnités prévues ont amené Gaston Bertrand à faire appel à la Fédération nationale des anciens combattants et des victimes des deux guerres. Celle-ci, dans sa réponse, montre bien les limites de son action qui ne peut être qu'un service de renseignements sur la législation. En effet, aucun statut particulier n'a été mis en place pour les sinistrés. Gaston Bertrand décède en 1947. Sa veuve, Lucie, venue s'installer à Die, perçoit en 1957 pour indemnité d'éviction la somme de 213 803 francs (2 138,03 nouveaux francs ou 326 €) sous forme de titres nominatifs à émettre et payables annuellement sur vingt ans (100 nouveaux francs/an !) Pour un complément d'une autre indemnité, Lucie Bertrand a reçu le 26 février 1957 un courrier précisant qu'elle en percevra le montant en 1958. Le 24 octobre 1958 un nouveau courrier l'informe qu'elle ne percevra pas cette somme à la date fixée car « à la suite de récentes compressions budgétaires, l'ordre de priorité a dû être modifié. Seuls pouvaient être réglés en 1958 les sinistrés nés en 1906 et antérieurement… ». Lucie Bertrand, née en 1910, devra encore patienter... . L'histoire de la famille Bertrand peut être étendue à de nombreux foyers du Vercors. Elle permet de saisir les difficultés de la reconstruction du Vercors et plus généralement de la France.


Alain Coustaury

Vergnon Gilles : Le Vercors, histoire et mémoire d'un maquis , les Éditions de l'Atelier, 2002, 256 pages

 Nash (Peter H.), 1946, « Le massif du Vercors en 1945. Étude sur les dévastations causées par l’armée allemande » Archives Nationales de France

(ANF) F/10/7103, 27 mars 1945, M. Houdet, Compte-rendu de mission - Archives Départementales de la Drôme (AD26), 2602WP ANF, F/10/7103, 1er avril 1946, Boissière, Bilan de l’activité du Comité d’Aide et de Reconstruction ANF, F/10/7103, 31 juillet 1946, Lettre confidentielle concernant la Reconstitution du Vercors