Déclaration de Nathanson Robert sur les rafles du 20 septembre 1943

Légende :

Arrêté lors de la rafle du 20 septembre 1943, M. Nathanson témoigne

Genre : Image

Producteur : Nathanson Robert

Source : © ADD 132J7 Droits réservés

Détails techniques :

Le témoignage est écrit sur 2 pages de cahier d’écolier, quadrillé. Il comporte plusieurs ratures et corrections faites avec une encre de couleur différente

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

Après la guerre, André Vincent-Beaume, ancien Résistant, est correspondant départemental du Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale de 1951 à 1980, André Vincent-Beaume avait pour mission de recueillir des témoignages, des documents relatifs à l'Occupation, la Résistance et à la Libération.

La description manuscrite exposée provient de ce fonds.

Transcription du document : Déclaration de M. Nathanson Robert. Commis principal à la Mairie de Romans J’ai été arrêté [par la Feldgendarmerie] le 20 septembre 1943 vers 15 heures, devant le café Moderne, en revenant de porter le courrier au bureau d’hygiène. J’ai été chargé dans un camion et conduit devant le cinéma Royal à Bourg-de-Péage. Lorsque les Allemands apercevaient un passant homme passant dans la rue, ils tiraient une rafale en l’air pour le faire arrêter et le chargeaient dans le camion. Il y eut 5 arrestations. On nous mena à Valence, à l’Hôtel de la Croix d’Or, pour nous interroger, puis au quartier Charreton où nous avons trouvé 21 Romanais. Deux furent renvoyés aussitôt, l’un avait 40° de fièvre et l’autre était un gamin de 14 ans.

Le 21, à 13 h, nous sommes partis pour Lyon et conduits à Montluc ; j’ai été longuement interrogé sur mes antécédents raciaux et déclaré que mon arrière-grand-père était juif. Nous étions avec 12 ouvriers de chez Citroën qui avaient fait la grève sur le tas. Les responsables avaient été appelés à la direction et arrêtés au fur et à mesure de leur arrivée.

Le 23, on nous interroge dans la cour. Les premiers qui passent et déclarent être ouvriers en chaussures sont dirigés à gauche ; pour les autres professions, on va à droite. Comme employé municipal, je suis envoyé à droite. Lapassat, dit Collinet, déclare travailler chez Mossant. L’interprète dit : « Ah ! Chapeaux ! » Lapassat croyant bien faire ajoute : « Bottes feutre, pour les Allemands ; front russe ». Les traits de l’officier se durcissent, il répète : « Bottes feutre – Front russe » et il [Lapassat] est envoyé à gauche. Mais les autres ont compris. Comme ils n’ont pas de papiers, ils se d illisible [disent] coiffeurs ou cultivateurs [sauf le jeune Perlosson qui déclare être employé chez Mossant].

Quinze quatorze sont relâchés et reviennent avec moi. Trois jours après quatre autres reviennent sont aussi libérés. Les passages entre [ ] sont les surcharges au texte original.


Jean Sauvageon

Sources : ADD 132 J 27

Contexte historique

Les rafles des 20 et 30 septembre 1943 à Romans et Bourg-de-Péage

Romans et Bourq-de-Péaqe, situés de part et d'autre de la rivière Isère, forment une agglomération de près de 30 000 habitants. C'est un centre industriel important de chaussures et de chapellerie qui, bien entendu, devait travailler pour l'armée allemande et lui fournir des chaussures et des bottes en feutre pour le front russe.

Du 17 au 19 septembre 1943, pour protester contre l'occupant, des tracts sont distribués à Romans, à Saint-Vallier-sur-Rhône, de main à main dans les usines et clandestinement dans les boîtes aux lettres ou jetés sur la chaussée. À Bourg-lès-Valence, des tracts similaires sont trouvés dans les rues de la ville. À Portes-lès-Valence, une grande quantité de tracts, de cinq modèles différents, ont été répandus aux abords du dépôt de la SNCF. Partout, ces textes demandent aux ouvriers, aux cheminots de faire grève et de manifester le 20 septembre 1943, anniversaire de la bataille de Valmy. Ils appellent à la grève, réclament des augmentations de salaire et l'amélioration du ravitaillement, protestent contre l'obligation de travailler en Allemagne. Les enquêtes lancées aussitôt ne donnent aucun résultat. Malgré le désaccord de quelques responsables locaux de la Résistance qui pensent que cette grève va alerter la Gestapo et l'armée allemande et amener sans doute à Romans une garnison, alors que la région ravitaille les camps du Vercors où la mobilisation clandestine se prépare, la majorité appuie la grève "pour protester contre le gouvernement et contre l'occupant".

Le 20 septembre, la grève a lieu, c'est un succès. Le préfet signale que 3 000 ouvriers du cuir ont cessé le travail. La grève est en effet presque totale dans les deux villes de Romans et Bourg-de-Péage et, comme cela était à prévoir, il y avait beaucoup de monde dans les rues. Un long cortège se forme et commence à défiler dans les principales artères de la ville. Des cris hostiles sont poussés en passant devant le domicile des collaborateurs. La préfecture et les autorités allemandes à Valence sont aussitôt alertées. Dans un temps très bref, arrivent des camions transportant une centaine de jeunes soldats allemands et quelques Feldgendarmes. Une dizaine de véhicules se rangent sur le côté de la place. Les portes des camions s'ouvrent à l'arrière, des Allemands en sautent, mitraillette au poing, tirent quelques rafales, courent dans tous les sens en poussant des cris et se saisissent de quelques personnes qu'ils poussent dans les camions. Tout le monde a compris : c'est la fuite et la recherche d'un couloir, d'un refuge, les coups de feu crépitent. Vingt-sept Romanais sont ainsi raflés et emmenés à Valence. Pierre André, de Romans, raconte son arrestation : "Je suis alors chargé sur un camion avec une vingtaine de manifestants qui avaient été raflés. Nous sommes conduits à la caserne Charreton à Valence. D'autres arriveront ensuite, nous serons en tout 27. Nous pouvons recevoir des visites. Ma mère vient me voir. Bien que je ne sois que très légèrement vêtu, elle ne m'apporte pas de vêtements car tout le monde pense qu'on va nous relâcher, surtout les jeunes et je n'ai que dix-sept ans et demi. " Pierre André avait encore des illusions. Ces hommes sont dirigés sur Lyon, au fort Montluc. Quelques jours après, une grande partie d'entre eux est libérée. Mais les cinq qui se sont déclarés ouvriers en chaussures ou en chapellerie sont gardés. Dix jours après la première rafle, le 30 septembre 1943, les Allemands, accompagnés par des miliciens et des collaborateurs français, ne veulent plus frapper au hasard : ils arrêtent des ouvriers des usines Fénestrier, Mossant, Sirius et les transfèrent a Montluc. Aux usines Fénestrier (chaussures Unic), deux officiers SS et des Feldgendarmes font venir certains ouvriers qui leur ont été signalés et procèdent à l'arrestation de treize d'entre eux. Parmi eux se trouvaient les Résistants ayant participé à la distribution des tracts, mais certains n'appartenaient même pas à la Résistance. Lucien Champion et plusieurs de ses camarades de travail sont "enfermés dans un bureau gardé par 2 Feldgendarmes, un officier SS va pendant plus d'une heure nous interroger, essayant par les menaces d'obtenir les noms des distributeurs des tracts qu'il traite de terroristes. Nous-mêmes sommes taxés d'être de mauvais Français puisque ayant fait grève. Malgré toutes ces menaces aucun de nous ne parlera. Ne pouvant rien obtenir de nous, le SS va parlementer avec la direction dans un autre bureau. Au bout d'un certain temps, la direction vint nous dire de ne garder sur nous que nos papiers d'identité. L'argent et le reste étant mis dans des sacs en papier portant notre nom pour être remis à nos familles. Ce sera chose faite. Il est quatorze heures et nous n'avons rien mangé lorsque les Allemands nous font monter dans un camion. Devant l'usine, une foule nombreuse et houleuse assiste à notre embarquement, le bruit de notre arrestation s'étant répandu rapidement dans la ville. Les Feldgendarmes braquent leurs fusils vers la foule et nous partons. On nous mène à la caserne Charreton à Valence. Après une rapide identification, on nous enferme dans la salle de police. Les camarades des usines Sirius, [appréhendés à leur domicile], et Mossant nous y rejoindront dans la soirée. Ce n'est que le lendemain que nous aurons la joie de manger et de voir un des nôtres libéré. Les jours suivants, nos parents sont autorisés à nous rendre visite. Deux autres camarades sont libérés".

Des 54 emprisonnés les 20 et 30 septembre, vingt-six sont transportés à Compiègne. D'abord déportés à Neue Bremm, ils seront rapidement transférés à Oranienburg-Sachsenhausen et Buchenwald. Seize sont morts en déportation, dix reviendront. Les vingt-six déportés sont : Etienne Allemand, 35 ans, Pierre André, 17 ans, André Archimbaud, 36 ans, Roger Baud, 30 ans, Marius Belle, 46 ans, Auguste Bertrand, 53 ans, Georges Bossanne, 51 ans, René Charlon, 27 ans, Maurice Chastan, 19 ans, Lucien Champion, 27 ans, Marius Chatelan, 52 ans, Henri Dye, 42 ans, Arthur Hapikian, 52 ans, Auguste Jabelin, 43 ans, Marius Jamet, 39 ans, Gaston Lapassat (alias "Collinet"), 40 ans, Sylvain Léger, 27 ans, Fernand Maneyrol, 29 ans, Marcel Mazat, 45 ans, Claudius Marion, 30 ans, Henri Meunier, 43 ans, Martial Periosson, 19 ans, Louis Revier, 59 ans, Félicien Roville, 51 ans, Henri Sallat, 41 ans, Agop Tatéossian, 41 ans.


Auteurs : Robert Serre, Jean Sauvageon 

Sources : SOURCES PRIMAIRES : - ADD, 9 J 5, J, Fonds de la Seconde Guerre mondiale (9 J) - notes de Monsieur Vincent-Beaume concernant la Résistance. - ADD, 9 J 9, J, Fonds Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale. - ADD, 9 J 3, J, Fonds Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale. - ADD, 97 J 19, J, Fonds Fédération Unités Combattantes et FFI Drôme. - ADD, 9 J 5, J, Mémoires Vincent-Beaume. - AN, 01/07/1943, F1 CIII/1152, F1, Rapport du préfet, ordre public. - SHGN, R4, Rapport compagnie Drôme R4. ADD, 132 J 27. TÉMOIGNAGES : - André Pierre, Archives départementales Drôme, 1955, écrit, ADD 132 J 64. - Champion Lucien, Archives départementales Drôme, 1955, Ecrit, 132 J 64. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES : - Armand Marcel, Histoire de la Bourse du travail de Romans et de ceux qui l'ont faite, Livre, Romans, Union Locale CGT, 1982. - Chosson Henri, Desgranges Marcel, Lefort Pierre, Drôme-Nord, terre d'asile et de révolte, 1940-1944, Livre, Valence, éditions Peuple Libre, 1993. - Deval Jeanne, Les Années Noires. Romans-Bourg-de-Péage 1939-1945, Livre, Romans, Deval, 1984. - Gerland Patrick, La Résistance en Drôme centrale, Mémoire de maîtrise, Université Pierre Mendés France, Grenoble, 1993, 140, Sous la direction du Pr Daniel Grange. - Martin Patrick, La Résistance dans le département de la Drôme, 1940-1944, Thèse de doctorat, Paris IV Sorbonne, 2002. - Serre Robert, De la Drôme aux camps de la mort, Livre, Valence, Peuple Libre / Notre Temps, 2006. - Spitz Charles, Cellule 114, Livre, Le soutien par le livre, 1988.