Violences allemandes à Saint-Sorlin-en-Valloire en août 1944

Légende :

Intimidation violente de la population de Saint-Sorlin-en-Valloire et des forces de la Résistance, par une flanc-garde de la 19ème Armée allemande lors de son repli en août 1944

Genre : Image

Producteur : Abécédaire aux féminins singuliers, éd. Communaut

Source :

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

La page photographiée provient d’un bulletin édité par la communauté de communes Rhône Valloire en 2009. Intitulé Abécédaire aux féminins singuliers, l’opuscule s’ouvre à des témoignages féminins de « celles qui ont accepté de partager un souvenir, un éclat de leur vie… »

L’un d’eux, titré Guerre, signé de Jacqueline Bouvarel, évoque la dernière journée de l’occupation allemande de son village, particulièrement violente, et lourde à supporter pour l’enfant de 6 ans qu’elle était.

« 29 août 1944

J’ai 6 ans et nous habitons St-Sorlin, à 300 mètres de l’église. Cette journée est chaude et orageuse ; nous prenons notre repas de midi avec mes parents, grands-parents maternels et mon oncle, sous le mûrier centenaire.

Tout à coup, un avion rase la maison et nous entendons une détonation toute proche. À ce moment-là, arrive du centre du village un couple de cousins qui nous dit : “ cette fois, ils sont là ! ”. “ Ils ”, ce sont les Allemands.

Rapidement, nous arrêtons tout : maman enlève ce qu’il y a sur la table pour le rentrer à l’intérieur et elle donne à chacun un vêtement. Pendant ce temps, mon oncle, aidé par mon grand-père, installe dans une petite remorque ma grand-mère paralysée. Mon papa boucle toutes les portes. Nous voilà partis en direction de la rivière qui coule à 150 mètres de la maison. Nous la traversons pour nous cacher derrière un talus. Les Allemands, positionnés à l’entrée du village – route d’Anneyron – dominent la Valloire. Ils nous aperçoivent et se mettent à tirer. La fusillade est rude. Couchés dans l’herbe, nous sommes couverts de feuilles de peupliers. La peur me fait trembler. Blottie contre maman, je pleure.

Tout à coup, il pleut et la fusillade s’arrête. Très lentement, nous continuons notre périple à travers les champs pour arriver chez nos cousins qui habitent en pleine campagne à deux kilomètres du village. Là, nous trouvons d’autres personnes avec des enfants.

Peu après notre arrivée, nous voyons passer un monsieur. Il conduit son cheval attelé à une charrette. Il s’arrête pour parler à mon oncle qu’il connaît bien. Derrière lui, dans la carriole, sous une couverture est caché le corps d’un homme. Monsieur F. a été tué dans sa voiture. L’avion qui était passé au-dessus de la maison avait mitraillé ensuite son véhicule. Pour moi, petite fille de 6 ans, c’était la première fois que je voyais un mort ; je m’en souviens encore. L’ami de mon oncle est reparti ensuite vers Moras où il emmenait le corps.

Dans la maison des cousins, tous entassés, nous passons une nuit tranquille à l’abri de la pluie. Mon grand-père qui a regagné la maison revient le lendemain matin en disant qu’ils prennent des otages jeunes. Deux sont déjà chargés sur une voiture blindée.

Papa, mon oncle et ami courent se cacher dans un champ de maïs. Nous, les enfants, nous ne mesurons pas le danger et nous jouons au bord de la rivière. Nos mamans nous grondent sévèrement et nous font rentrer immédiatement à l’intérieur. L’après-midi, nous apercevons un feu au village et nous pensons que c’est la maison de mon grand-père. En fait, non, c’est l’atelier de son voisin. La nuit suivante, nous voyons un autre feu beaucoup plus loin : c’est la gare de Saint-Rambert.

Enfin, le troisième jour, nous faisons “ ouf ”.  Les Américains, en provenance de Romans, sont là et nous pouvons sans danger regagner nos habitations. Sans l’arrivée des Américains, Saint-Sorlin aurait pu être un autre Oradour. Un maquis important et assez puissant se cachait à Saint-Sorlin et les Allemands le savaient. »

Le mort, que découvre Jacqueline dans la charrette, est en fait Blaise Faraco originaire de Moras. Nous apporterons plus loin quelques précisions sur son engagement dans la Résistance. L’enfant est frappé, entre autres, par les incendies. Selon les observations conservées aux archives départementales de la Drôme, deux maisons ont été brûlées dans la commune.

L’adulte, qui fait le récit de ses souvenirs, compare les événements de Saint-Sorlin au massacre d’Oradour : observons, dans un premier temps, qu’il s’agit là de montrer à quel point l’enfant qu’elle était a vécu un drame des plus graves.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve

Sources : Abécédaire aux féminins singuliers, édité par Communauté de communes Rhône Valloire, Creux-de-la Thine ; témoignage de Jacqueline Bouvarel, 18 décembre 2012

Contexte historique

Jacqueline Bouvarel remarque à juste titre que les enfants, bien que sujets à de terribles émotions comme celles que suscite la journée du 29 août à Saint-Sorlin, ne mesurent pourtant pas l’ampleur du danger qui les menace.

Mais l’adulte qu’elle est au moment où elle en fait le récit, a bien davantage conscience de la réalité. Cela explique que l’auteur (e ? ) commente, brièvement, à la fin de son texte, les événements vécus par l’enfant.

Au-delà de la volonté destructrice de la troupe, semble se poser la question des intentions des Allemands. Veulent-ils vraiment tout anéantir ? Ou seulement déclencher un réflexe de peur et de soumission parmi la population ?

À l’égard du maquis « assez puissant » qu’abritent les bois de la commune, également ? Dans le cas de la comparaison avec le massacre d’Oradour-sur-Glane, quelques informations et réflexions sont utiles, maintenant que nous avons davantage de recul. En premier lieu, si cette référence est faite, c’est que les contemporains ont été fortement impressionnés par cette tragédie d’Oradour (tous les habitants du village ont été exterminés par la Division Das Reich, soit 642 personnes). Ensuite, les exactions remontent au 10 juin 1944, c’est-à-dire 4 jours après le débarquement en Normandie, alors que l’incursion violente de Saint-Sorlin a été perpétrée le 29 août, soit deux mois et demi plus tard, deux semaines après le débarquement des Alliés en Méditerranée, à la veille du départ définitif des Allemands de la Drôme : à la fois situations différentes du fait des dates (le rapport des forces a changé : « l’arrivée des Américains » le prouverait ! ) et comparables du point de vue de l’intimidation. Dans les deux cas, tout se passe comme si l’on voulait terroriser les villageois et les résistants d’une région.

Le 29 août 1944, les Alliés, à Grenoble depuis une semaine, menaçaient le repli vers Lyon de la 19ème Armée allemande : il fallait la protéger sur son flanc droit. C'était la mission assignée à la redoutable 11ème  Panzer-Division, dont une unité de flanc-garde était engagée à Saint-Sorlin."

Par ailleurs, nous avons indiqué que c’est Blaise Faraco qui venait de trouver la mort et dont la dépouille avait tant effrayé la petite Jacqueline. Il avait été tué par une rafale tirée par un avion allié de l’USAAF (Aviation des USA), les Alliés ayant alors la maîtrise de l’espace aérien dans le secteur. Quant à la présence à Saint-Sorlin de ce jeune homme de Moras, elle s’explique par son engagement résistant à la compagnie Mabboux. Ce jour-là, il participait sans doute à l’action de la compagnie Monot contre la colonne allemande, sur la terrasse dominant la Valloire, route de Saint-Rambert-Anneyron à Saint-Sorlin. C’est au cours de cette action, le même jour, que devait trouver également la mort Denis Brunet.

Précisons enfin que le convoi allemand ne poursuivit pas son mouvement après Saint-Sorlin, à l’est, mais revint vers Saint-Rambert et rejoignit le corps de la 19e Armée allemande en repli, dont le PC (Poste de Commandement) était en train de s’installer à Vienne.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve

Sources : Abécédaire aux féminins singuliers, édité par Communauté de communes Rhône Valloire, Creux-de-la Thine ; témoignage de Jacqueline Bouvarel, 18 décembre 2012