Le capitaine Dronne est reçu à la Préfecture de Police

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Archives de la Préfecture de Police de Paris Droits réservés

Date document : 24 août 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Contexte historique

Le 24 août 1944, à 22 heures 15, après un passage à l’Hôtel de Ville, le capitaine Dronne est reçu à la Préfecture de Police par Charles Luizet, Alexandre Parodi, Jacques Chaban et le général Louis Hary, fraîchement nommé chef de tous les gendarmes et pompiers de Paris, au son d’une vibrante Marseillaise. Dronne passe entre une double haie : « à droite, de rudes FFI, mitraillette sous le bras, à gauche, les agents en grande tenue : deux aspects d’une même  délité » (Le Parisien libéré, 24 août 1944).

Témoignage de Raymond Dronne paru dans le journal Hispania, organe de la FEDIP (Federación Española de Deportados i Internados Políticos) en août 1966 : 

Je montai à l’Hôtel de Ville. Dans le grand salon du premier étage, tout illuminé, fenêtres ouvertes sur la place, un petit homme très ému m’ouvrit les bras. Il s’appelait Georges Bidault. Il y avait là tout l’état-major de la résistance intérieure parisienne. Tout de suite, d’emblée, instinctivement, les hommes de l’action clandestine en France et les soldats en uniforme venus de l’extérieur se sentaient d’accord sur un grand idéal commun. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Soudain, dans ce grand salon bondé de lumières, de gens et d’enthousiasme, des balles sifflèrent. De loin, une mitrailleuse allemande tirait ses rafales à travers les fenêtres grandes ouvertes. Un lustre vola en éclats. On chercha à éteindre les lumières mais on ne trouva pas les interrupteurs. Ces rafales furent bénéfiques. Elles freinèrent les manifestations d’enthousiasme et rappelèrent tout le monde à la réalité des choses : les Allemands étaient encore là. Je descendis sur la place pour préciser les ordres. Chars et half-tracks furent disposés en hérisson autour de l’Hôtel de Ville, en surveillance des points d’attaque possible.

Un agent de police vint me trouver et me demanda d’aller avec lui à la préfecture de police. Je passai le commandement à Granell. Outre Granell, il y avait là le sergent-chef Bernal, l’adjudant-chef Neyret, l’adjudant-chef Caron, le sous-lieutenant Elias. Bernal, un géant, aujourd’hui installé dans la région parisienne, avait été torero en Espagne. Il avait fière allure. Il exerçait un très grand ascendant sur ses hommes, qui avaient entière confiance en lui. Il avait l’art de se faire obéir sans avoir l’air de commander. Neyret, vieux sous-officier de la Coloniale, était tout le contraire de Bernal. Il représentait le règlement, mais un règlement humainement interprété. Par sa science et par sa conscience, Neyret avait gagné l’estime et la sympathie de gens qui n’étaient pas toujours faciles. L’adjudant-chef des chars Caron et le sous-lieutenant Elias devaient être blessés, le premier mortellement, l’autre grièvement le lendemain matin 25 août, lors de l’opération de dégagement du central téléphonique Archives, Caron était imprudemment assis sur la tourelle de son char, pour mieux surveiller la rue. Elias, élève à l’École Coloniale, nous avait rejoint à travers l’Espagne en Afrique du Nord. Il venait d’être blessé et évacué quand, le 25 août, à midi, sa mère et sa sœur arrivèrent à la place de l’Hôtel-de-Ville et demandèrent à le voir. Dans la nuit, je partis vers la préfecture de police avec le gardien de la paix et mon fidèle Pirlian. Pirlian, Arménien d’origine s’était engagé en Afrique du Nord. Il était - il est encore – tout petit. Il doit être maintenant tailleur du côté de Nice. Il était brave dans tous les sens du terme, aussi bien dans le sens « héroïque » que dans le sens que donnent à ce mot les Marseillais. Je le vois encore quelques mois plus tard, à plat ventre dans le purin, derrière un tas de fumier lorrain posé en bordure de rue, en train d’essayer de lancer, avec un bazooka dont la pile avait manifestement des ratés, une fusée contre un char allemand qui tournait lentement au coin de la rue. Pirlian était bien embêté. Moi aussi…

Le gardien de la paix nous emmena prudemment, par un itinéraire détourné à la préfecture de police. Il y avait beaucoup de monde, des gardiens en uniforme, des civils, un très jeune général dans un bel uniforme kaki tout neuf, et le préfet de police de la libération, M. Luizet. La police avait pris l’initiative et la tête de la résistance parisienne. Elle redoutait, à juste titre, une dernière réaction de représailles de la part de l’occupant allemand. Le jeune général, aimable, sympathique et dynamique, un peu timide, s’appelait Delmas, il est aujourd’hui plus connu sous le nom de Chaban-Delmas. Bien entendu, la réception fut des plus cordiales et des plus enthousiastes. J’annonçai l’arrivée du gros de la division pour le lendemain matin. Manifestement, les responsables de la préfecture de police éprouvaient les mêmes appréhensions que moi. Je crois que c’est M. Luizet qui me demanda ce que je voulais. Devant tous ces gens propres et bien habillés, je me sentis soudain un complexe. Je me rendis compte que j’étais dégoûtant et que je détonnais. Je portais sur moi une étonnante couche de crasse, un composé de sueur, de poussière, de boue, de gaz-oil, de vapeurs d’essence. Je réclamai un bain qu’un jeune attaché du préfet de police me prépara aussitôt. Lavé, vêtu de linge et d’une combinaison propres, je me sentis un autre homme. Le garçon de bains improvisé s’appelait Félix Gaillard [adjoint en 1944 d’Alexandre Parodi, délégué du GPRF en France].


Extrait de Luc Rodolph, Au coeur de la Préfecture de Police : de la Résistance à la Libération. 3e partie : la libération de Paris, 2011.
http://www.24-aout-1944.org/?La-journee-du-24-Aout-1944