Bulletin Le Lien de la communauté Barbu, 9 septembre 1944

Légende :

Dans ce numéro 12, la communauté Barbu espère encore revoir sept de ses membres détenus par les Allemands pris dans la rafle du 7 mars 1944.

Genre : Image

Type : Bulletin

Source : © Collection Robert Serre Droits réservés

Détails techniques :

Taille du document : environ 21 x 13,5 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône

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Analyse média

À plusieurs reprises, la police française et les Allemands s’en prennent à la fabrique de boîtiers de montres créée par Marcel Barbu : l’usine Boimondau (Boîtiers de montres du Dauphiné), rue Monplaisir à Valence.

Dans son numéro 12 du 9 septembre 1944, le bulletin bimensuel Le Lien,de la communauté Marcel Barbu, ignore encore le sort de sept de ses membres pris par les Allemands , notamment Charles Hermann, Jean Donguy et sa fille, Simone, dans la rafle du 7 mars 1944.

Retranscription :

« (…)
Mme BOUVET Louis
Melle DONGUY Simone
MM. BARBU Marcel
BOUVET Louis
DONGUY Jean
GOUDARD Pierre
HERMANN Charles

OU ETES-VOUS ?
NOUS VOUS ATTENDONS
CAR LA LUTTE N’EST PAS FINIE » 


Parmi ces sept personnes, seulement quatre survivront à la guerre.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Le Lien, bulletin bi-mensuel de la communauté Barbu (collection R. Serre).

Contexte historique

Début mars 1944, la police française vient à l’usine Boimondau de Marcel Barbu, fabricant de boîtiers de montres à Valence, pour y cueillir Mermoz (directeur en l’absence de Barbu, déporté), qui vient d’être libéré du camp de Saint-Sulpice. Simone Donguy leur dit qu’il n’est pas encore rentré et Mermoz s’enfuit pendant qu’ils attendent.

Le 7 mars 1944, impasse Faventines à Valence, les Allemands pillent et incendient l’habitation de Barbu et l’usine Boimondau préalablement pillée et vidée de son matériel. M. Barbu aurait été mis en cause par suite de ses relations avec des éléments de Résistance. À Combovin, la ferme est brûlée et saccagée, l’atelier de Mourras détruit. Les feldgendarmes arrêtent trois membres de l’organisation du maquis de Barbu :
Charles Hermann, 24 ans, originaire du territoire de Belfort,
Jean Donguy, 48 ans, venu de Saône-et-Loire, ancien instituteur qui avait fait la guerre de 14-18, secrétaire et responsable du Service Industriel à la communauté Boimondau, et sa fille Simone Donguy, 24 ans, secrétaire de Direction.

Charles Hermann, élevé par sa grand-mère, n’avait pu, malgré une excellente scolarité, continuer ses études, faute d’argent. Il avait dû entrer à l’usine après le certificat d’études. Ayant fui devant l’invasion nazie, il s’était retrouvé moniteur militaire à Valence. Il s’y marie en février 1943 et entre à la communauté Boimondau. Réfractaire au STO (Service du travail obligatoire), il devient résistant dans le groupe Barbu. Aussitôt après son arrestation, il est emprisonné à Montluc. Deux mois plus tard, alors que les Alliés ont débarqué depuis une semaine, le 13 juin 1944, vers 11 heures, Charles Hermann et 18 autres prisonniers de Montluc, pour la plupart jeunes, sont amenés dans un camion suivi d’un convoi d’Allemands, au lieu-dit « Tossard », à 2 kilomètres et demi de Villeneuve-sur-Ain, en bordure de la route nationale n° 436. Conduits, par groupes, sur des emplacements de FM (fusil-mitrailleur) abandonnés par la Résistance et situés à une vingtaine de mètres de la route nationale, ils y sont abattus à la mitraillette. Un seul prisonnier, bien que blessé au bras, survivra miraculeusement.
Sa femme attendait un bébé : Annick naîtra peu après.

Jean Donguy est déporté à Dachau le 5 juillet 1944. Malade, épuisé, il est envoyé au kommando de Vaihingen, un mouroir impitoyable au nord de Stuttgart où les détenus sont abandonnés dans des baraques. Il meurt d’épuisement le 26 février 1945.

On trouve sa fille Simone Donguy, 24 ans, dans les cellules 25 et 27 de la prison de Montluc à Lyon où elle est la plus jeune.
Lise Lesèvre, internée avec elle, l’évoque ainsi :
Dans la cellule 27, le 15 mars 1944, « il y avait la benjamine, qui m’avait reçue dans ses bras : Simone, 20 ans, Simone Donguy, de Valence ».
En mai, Lise est dans la chambre des malades : « Ma jeune amie Simone Donguy est venue plusieurs fois me voir alors que j’étais immobilisée. Il y avait eu de nombreuses fouilles dans les cellules depuis mon départ. On n’avait pas touché à mon rangement. Simone en avait profité pour y cacher certaines choses personnelles ».
Le 19 mai, Lise a reçu l’ordre de départ « avec bagages » : « Simone est silencieuse et tranquille. On lui a annoncé sa libération et celle de son père. Elle a des messages à transmettre de ma part. Je la sais prudente et sage. Je pars rassurée et heureuse pour elle et les siens… Elle est morte à Bergen-Belsen. Son père n’est pas rentré non plus ».
Simone est déportée le 30 juin vers Ravensbrück, en passant par le camp de Neue Bremm. Elle sera transférée à Neuengamme, puis, comme son père, envoyée épuisée dans un camp-mouroir, Bergen-Belsen où elle s’éteint le 10 mai 1945, alors que les nazis venaient de capituler.
À Valence pourtant, Marcel Mermoz entend son nom à la radio dans l’énumération de survivants de Bergen-Belsen. Fausse joie ! Le 21 avril, alors qu’une de ses amies venait de l’inscrire sur la liste des survivants, celle qui sera lue à la radio, Simone, victime d’une très forte crise de dysenterie, ne peut quitter le camp où les Anglais étaient arrivés ; elle reste couchée dans le bloc 207, avec trois Belges et six Françaises. Elle s'affaiblit très rapidement, jusqu’à mourir le 10 mai.

Marcel Barbu a 34 ans en octobre 1942 lorsqu’il est arrêté une première fois et interné à Fort-Barraux. Libéré, il est à nouveau pris à Paris par la Gestapo le 14 avril 1944. Emprisonné à Fresnes, il est déporté le 21 août à Buchenwald, puis transféré à 80 km du camp, dans le kommando de Mühlhausen qui fabrique des pièces d’avion Junkers. Il est libéré le 11 avril 1945.
Les membres de la communauté ont été prévenus par deux télégrammes du retour de Marcel Barbu. Deux d’entre eux partent à sa rencontre sur une moto équipée d’un tan-sad. C’est l’arrivée au milieu de toute la communauté réunie dans l’atelier Terminage. La « Chère Maison » éclate. An nom de tous les camarades Marcel Mermoz remet à Barbu une montre, reproduction exacte de celle que lui ont volée les nazis. Barbu répond en quelques mots et c’est l’apéritif d’honneur au cours duquel la chorale interprète Libres sont les Pensées. Moment de joie terni par la nouvelle parvenue quelques jours avant de l’exécution de Hermann.

Le couple Bouvet et Goudard, arrêtés à Paris et emprisonnés, ont été libérés par les Alliés.

Ces souffrances, ces trois morts, c’est à la traitrise d’un homme qu’ils étaient dus.
D. fils, employé de la communauté, avait été licencié car appartenant au SOL (Service d'ordre légionnaire), puis à la Milice. Pour se venger, il dénonce la communauté par une lettre au préfet, nommant des réfractaires au STO, et accusant des membres d’appartenir à la Résistance. Le 31 août 1944, jour de la libération de Valence, des employés de Boimondau se rendent chez les D. pour infliger au fils « une petite correction ». Ils les trouvent à table. Le père D. sort un revolver et tire, blessant un des arrivants et un enfant qui jouait dans la rue. Les deux sont arrêtés. Le fils D. est présenté à la Cour martiale qui le condamne à mort. Le 4 octobre, il est passé par les armes.


Auteurs : Robert Serre
Sources : ADD, 1920 W, 132 J 30, 132 J 1, 133 J 62. Journal Officiel 1989. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, les déportés politiques, résistants, otages, nés, résidant ou arrêtés dans la Drôme, éd. Peuple Libre / Notre Temps, avril 2006. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III, 1 406 pages, tome IV, 1 282 pages. arch. VB. PAF, Pons, Lad, Micoud, Lefèvre, Montluc. Le Lien, bulletin bi-mensuel de la communauté Barbu (collection R. Serre). Mémorial de l’Oppression (fascicule 1), Lyon, Commissariat de la République (région Rhône-Alpes).