Reçu après encaissement d’une somme d’argent

Légende :

Michel Canals ("Titin"), responsable communiste dans les Baronnies, envoyé en mission par le PCF (Vaucluse), signe un reçu authentifiant dans la clandestinité la somme encaissée à la suite d’une action.

Genre : Image

Type : Reçu clandestin

Source :

Détails techniques :

Papier fruste tapé à la machine de 13,4 x 10,4 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Mollans-sur-Ouvèze

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Analyse média

Le reçu est établi sur un carré de papier grossier de petite taille (13,4 x 10,4 cm). Il est tapé à la machine à écrire cependant, daté et signé, témoignant sans doute d’une volonté de sérieux et d’honnêteté dans les conditions extrêmes de la clandestinité. Il a été signé le 6 août 1944, deux mois après le débarquement de Normandie, à peine dix jours avant celui de Méditerranée.

Michel Canals ("Titin") en est le signataire, au nom de la section du Parti communiste de Mollans-sur-Ouvèze, commune située à dix kilomètres de Buis-les-Baronnies, chef-lieu de canton.

Le texte, est difficile à lire directement sur le document ; le voici explicitement :
« REÇU DE MARTIN RENÉ LA SOMME 186.575 Francs
Cent quatre-vingt six mille, cinq cent soixante et quinze francs. En espèces et en valeurs.
Mollans le 6 Aout 1944
Le responsable de la Section
Du Parti Communiste Français
Signé Titin »


Quelques jours auparavant, il avait été chargé d'exécuter deux Allemands à Orange, dans le but de permettre à l'équipe d'un groupe de résistants des Baronnies, qui lui était lié, de s'emparer d'une somme d'argent nécessaire au financement des luttes pour la libération du pays.

Comment a été sauvé ce reçu ? Comment a-t-il été identifié ?

Michèle Fournel, la fille de Michel Canals a conservé les documents que son père lui a transmis et les a mis à notre disposition. Elle demeurait souvent, lorsqu'elle était enfant, chez les Desplan, de Beauvoisin, dans les Baronnies. Ce sont eux qui, dit-elle, "l'élèvent en partie" : cela explique ses attaches personnelles avec le pays et sa population, son attention pour la mémoire vivante qui l'habite. Mais cela témoigne aussi de la place qu'y a tenue son père pendant son année de clandestinité, au point d'entretenir des liens très forts et durables avec de nombreuses familles dont, singulièrement, celle de Léon et d'Éva Desplan. Au-delà des aspects intimes de ce vécu, des solidarités chaleureuses, qui font partie des traits propres aux milieux résistants de cette époque, sont mises en évidence ici.


Auteurs : Michel Seyve

Contexte historique

Le document lui-même ainsi que son histoire conduisent à se demander qui est "Titin", le signataire ?

À la débâcle, en 1940, le parti communiste, interdit et pourchassé, s'organise clandestinement : un des responsables du Vaucluse, Marcel Miro, fait appel aux frères Ayme et à Michel Canals, de Courthézon, pour mettre sur pied un réseau. Ils constituent un comité de Front national de la Résistance, appelant notamment les jeunes à ne pas partir en Allemagne, au STO (Service du travail obligatoire), à se cacher ou à gagner les maquis des environs, dans le Luberon, dans la Drôme…

Michel Canals est chargé par le PC, à la fin 1942, de l'organisation des FTP (Francs-Tireurs et partisans) dans le sud-est du Vaucluse. Dénoncé, il est recherché par la Gestapo. Il va se mettre au vert, dans une ferme de Sauzet (Drôme), à la Richarde, chez madame et monsieur Martin, les grands-parents de son épouse. Elle-même, Rose, demeurée à Courthézon, est harcelée par la Milice à propos de l'absence de son mari. Elle est engagée, elle-même dans des activités résistantes.
Après l'attaque du camp FTP de la Fournache (Beauvoisin) par les Italiens et la Milice, le 9 août 1943 et le démantèlement du réseau de la Résistance locale (arrestations de messieurs Saint-Donat, Delhomme, Louis Borel, et fuite de Gaby Reynier), il est appelé par Charles Pioline, responsable communiste du Vaucluse, pour reconstituer le réseau FTP, anéanti, dans les Baronnies. Michel Canals, s’installe, à la fin 1943, à Buis-les-Baronnies, chez Madame Veux, rue Malgarni.

Sous le nom de "Titin", il s'efforce d'accomplir sa mission, sur d'autres bases, avec davantage de prudence, avec d'autres hommes. Il tente d'atteindre son but grâce à ses relations avec des résistants de la région de Montélimar, qu'il vient de quitter. Michel Canals découvre des femmes et des hommes, animés d'un esprit résistant, et acceptant de faire partie de son réseau, dans les communes des environs. Ce sont les familles Desplan, Louis Borel, Faraud, à Beauvoisin, Faure à Sainte-Euphémie, Seguin (que l'on appelle « le grand-père ») à Sainte-Jalle, Paul Mielle, à Rochebrune dont il devient maire après la Libération, la famille Charasse à Bénivay-Ollon, d'autres à Séderon, à Ruissas (hameau de Somecure) et ailleurs. « Des familles acceptent de rendre des services, des paysans de cette montagne drômoise se laissent dévaliser volontairement pour que les résistants puissent manger à leur faim », comme la famille de Michel Tardieu à Beauvoisin ou celle de Jules Bonifacy à Sainte-Jalle.
En trois mois environ, aidé par un militant communiste du Vaucluse, par les recrues des villages voisins à qui il fait confiance, il reconstitue un réseau solide. Comment le caractériser ? Réseau politique ? militaire ? La question affleure souvent sans qu'une réponse simple puisse être donnée ! Les deux éléments doivent cohabiter. Il n'y a certainement pas de cloison étanche ! Nous savons seulement que le but premier et unificateur dans tout mouvement de la Résistance est la libération du territoire national, le recouvrement de l'indépendance complète et la réalisation du programme du CNR (Conseil national de la Résistance). Là comme ailleurs, ces motivations sont essentielles.

Michel Canals, le 25 février 1944, est parmi les 28 FTP des camps du Nyonsais et des Baronnies, sous la direction de Lucien Dufour ("Paris"), qui attaquent un train de permissionnaires allemands à Donzère. Il participe probablement, plus tard, à l'embuscade tendue à la colonne allemande remontant vers Buis-les-Baronnies, entre la D4 et la D5, et il est présent à la libération de la ville qui a suivi, les 7 et 8 juin 1944.

Parmi les missions auxquelles Michel Canals participe, l’une d’elles demeure dans la mémoire. Il est ainsi l'un des éléments d'un réseau qui met à profit le repas fin et les libations d'un rassemblement d'Allemands et d'Italiens à Propiac, à quelques kilomètres de Buis-les-Baronnies, chez Plantevin Hôtel-Restaurant - l'aubergiste étant de connivence -, pour rafler leurs armes, entreposées dans les véhicules et dans quelques dépôts des environs du chef-lieu.

Il faut approcher Michel Canals également par quelques-unes de ses relations. Celles qu'il a eues avec René Dray ("René Martin") ne manque pas d'intérêt. Derrière le côté anecdotique des faits qui nous parviennent, apparaissent les traits extrêmement forts qui unissent les résistants entre eux, l'une des singularités de ce moment historique. René Dray est cité plusieurs fois par Lucien Dufour ("Paris") dans son ouvrage Mémoires de l'ombre : il est en particulier à l'origine du corps-franc de Mollans ; celui-ci « sert de poste avancé pour le secteur de Buis-les-Baronnies, en même temps qu'il harcèle l'ennemi dans le secteur d'Orange ».

« Mon cher Titin, écrit René Dray ("Martin"), le 26 août 1994, à Michel Canals,
Il a fallu attendre 50 ans pour que je retrouve ton identité réelle, en même temps que de faire la connaissance de tes enfants. C'est grâce à cette chaleureuse rencontre de Buis
[Cinquantenaire des maquis des Baronnies], où je n'étais pas revenu depuis la remise du drapeau de notre premier régiment FTP. Je t'envoie le reçu que tu m'avais fait lors de la remise du produit de notre "attaque" du bureau de travail allemand d'Orange [186 575 francs]. » Et, peu de temps après, dans une autre lettre : « Pour moi, tu resteras toujours Titin, en souvenir de cette période de notre vie où rares étaient connues nos identités réelles. »
Jusqu'à la fin du mois d'août 1944, Michel Canals intervient dans les réseaux des Baronnies, tantôt dans la Drôme, tantôt dans le Nord-Vaucluse.

Après la Libération, il est maçon coffreur dans une entreprise de Travaux publics : comme chef d'équipe, il travaille aux grands chantiers de l'époque, dans la vallée du Rhône, au barrage de Donzère-Mondragon, à Bollène-Écluse, etc.
Une grande partie de ses loisirs est consacrée à son activité de militant du PCF, au niveau local et départemental. Si, d'évidence, la rigueur imprègne sa vie de résistant et l'ensemble de sa vie quotidienne, il faut y voir non seulement les adhérences des règles de la vie clandestine, mais aussi la marque indiscutable d'une mentalité de lutteur, à la mesure des forces éperdues libérées par le siècle - que l’historien Éric J. Hobsbawm qualifie d' « âge des extrêmes ».

En 1989, il reçoit la croix du combattant des mains d'Alain Rochebonne, maire de Courthézon.


Auteurs : Michel Seyve
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.