Abbaye Notre-Dame-d'Aiguebelle à Montjoyer

Légende :

Un enjeu en sud Drôme pendant la Seconde Guerre mondiale.

Genre : Image

Type : Carte postale

Producteur : Editions Gaud

Source : © Editions Gaud Droits réservés

Détails techniques :

Carte postale en couleur.

Date document : 2005

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Montjoyer

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le monastère est situé à Montjoyer, au sud de la Drôme. Ses propriétés, souvent boisées, s'étendent sur les communes d'Allan et de Réauville. L’abbaye se dresse dans un cadre de verdure, un vallon isolé au confluent de trois ruisseaux.

C’est une abbaye cistercienne, construite en 1137. Le bâtiment fut restauré en partie par un moine qui allait chercher de la pierre dans les collines voisines. 


La vue montre le cloître avec, à l’arrière, le clocher, lui-même restauré dernièrement. Le cloître fait partie de l’espace d’une abbaye réservé aux moines et dans lequel les laïques (non concernés par la règle), ne sont pas admis.

Un magasin ouvert récemment propose des produits venant de plusieurs abbayes cisterciennes et permet ainsi aux laïques de connaître davantage l’intérieur du monastère. À partir de là, le visiteur peut accéder à une salle réservée à des expositions portant sur des sujets historiques ou artistiques.

La communauté possédait plusieurs fermes à l’époque de la Seconde Guerre mondiale : l'Aubagne, Notre-Dame de l'Aubagne, Nazareth et Saint-Étienne. Certaines d’entre elles ont abrité un groupe de résistants dépendant du maquis Pierre (Armée secrète AS), à partir de 1943 ou 1944.

L'Abbaye comptait alors environ 75 moines et certainement bien plus de dix laïcs. La plupart étaient logés et nourris dans les bâtiments attenants à la distillerie de l'abbaye. Depuis juin-juillet 1940, l'armée française aurait caché des armes dans la chaudière du monastère, nous a-t-on dit. Elles y seraient restées deux ans environ, avant d'être reprises par l'autorité militaire. Ce fait, entre autres, pourrait montrer, s'il en était besoin, que le contrôle de l'abbaye était un enjeu non négligeable pour les forces en présence, gouvernementales, italiennes, allemandes, puis résistantes.


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve

Contexte historique

En accord avec l'évêché et le supérieur de la communauté, Dom Bernard Delauze, les moines accueillent des réfugiés, à la fin 1942.

Cette action, guidée par des raisons d'obéissance et de charité selon ses initiateurs, n'exclut pas des motivations personnelles : ainsi le père Charles, lorrain, qui s'occupe de l'hôtellerie, et parfois de la pharmacie, cache systématiquement tous les Lorrains qui se présentent au monastère.

Les moines abritent des Juifs ; ils les emploient aux différents travaux, suivant leur capacité professionnelle. L'un d'eux, Henry Friés, se sachant traqué, est venu au monastère à la fin 1942, grâce à un prêtre de Valence. Il travaille au verger, sous la responsabilité de père Antoine. Il y reste jusqu'en mai 1944. Puis il entre au maquis, selon le témoignage de madame Friés, son épouse, habitant en 2005, en Saône-et-Loire. Henry Friés s'est converti au christianisme et a été enterré, en 2001 dans le cimetière des moines, à l'abbaye d'Aiguebelle. Lövenstein, un autre juif, peintre surréaliste, alors qu’il est menacé par la Gestapo, est accompagné à l’abbaye, en février 1943, par Marcelle Rivier sur les indications de Charles Caillet, responsable du maquis de Mirmande. Pour les moines, cette action est motivée par le refus d'obéir à une « loi jugée inique », ainsi que le confie l'un d'eux à Brigitte Chalandon, lors d'un témoignage, le 10 décembre 1972. « Tout être poursuivi doit être protégé », selon la formule chrétienne. « L'abbaye a hébergé, à ses risques et périls, durant toute la durée des hostilités, jusqu'aux dernières limites du possible », témoigne frère Henri, moine d'Aiguebelle, le 19 juin 1975, auprès d'Élisabeth Burles. Au total, une quinzaine de personnes et leur famille vivent au couvent, dont des Juifs allemands et autrichiens.

Le père Didier, entre 1940 et 1942, dirige l'école Sainte-Croix, installée à Villepré, sur la route de Rochemaure, à Montélimar, puis à l'abbaye même, lorsque les Allemands réquisitionnent les locaux de l’établissement scolaire, à proximité du terrain d'aviation d'Ancône. Le père Dominique se souvient que les enfants de 8 à 12 ans sont ainsi internes au monastère. Selon un témoin travaillant sur place, le ravitaillement pour l'école est apporté par l'un des dirigeants du garage Renault de Montélimar.

Certains moines, du fait de leur travail, sont en rapport avec des maquisards. Leur nombre est sans doute restreint ; chaque frère sait, cependant, que son action peut mettre en danger la sécurité de l'ensemble du monastère.

Les hommes du maquis Pierre s'installent, au début de l'année 1944, dans des fermes appartenant à l'abbaye. Ils sont, pour la plupart, réfractaires au STO (Service du travail obligatoire) et catholiques. Aiguebelle, écrit frère Henri, « leur [vend] à bon compte les produits du jardin, de la ferme, de la sous-cellerie et d'ailleurs ». Un moine va « chercher, parfois en Ardèche et jusque dans la Loire », du ravitaillement. Des maquisards, cantonnés à l'Aubagne et à Nazareth, suivent régulièrement les offices. « Tous les dimanches à 5 h 30, ils assistent à la messe matinale [ce que confirme J. Bernay, étudiant hongrois, dans un témoignage] ; ils laissent leurs armes dans la cellule du frère portier », écrit encore frère Henri.

La question de la santé n'est pas négligée. Dans le monastère, un docteur juif, appelé docteur Fontaine, assure les soins des personnes vivant à l'Abbaye, ainsi que des maquisards, précise le père Dominique. Léo Rostand, sur le même sujet, fait le récit, dans son manuscrit destiné à l'histoire du maquis Pierre, des secours apportés par le père Bruno, chirurgien, à Bernay, blessé à proximité de la ferme de l'Aubagne, lors de l'attaque allemande, le 30 mars 1944.

Le personnel ouvrier du monastère est favorable à la Résistance, lorsque celle-ci apparaît effectivement ; d'ailleurs, comme le signale frère Henri, en juin 1980, dans la Revue Drômoise : « tout notre personnel ouvrier prend le maquis. Vers le 10-12 août 1944, un camion gazobois de la distillerie est réquisitionné par les FFI (Forces françaises de l'intérieur). Il est retrouvé, en panne, sur les cailloux des bords de la Drôme, à Livron ».

Il poursuit son récit, sur l'ambiance dans l'abbaye : « Au cercle, à notre hôtellerie, cohabitaient des Juifs cachés, des anciens miliciens, avec nos ouvriers. Quelquefois, il y eut des frictions et nous devenions des "Anges de Paix". Que de bagarres évitées par notre présence ou quelques paroles ; mais on avait eu chaud... »
Le monastère est, en quelque sorte, pour certains, un tremplin vers le maquis. Ainsi, l'abbaye reçoit un jour Lucien Eyraud, un réfractaire protestant. Il se convertit au catholicisme, le 2 juillet 1944. Peu après, il « s'engagea dans le maquis qui était dans la région de Crest », écrit frère Henri.

Dans l'abbaye, les activités sont multiples ; des moines confectionnent de fausses cartes d'identité et de faux certificats de baptême et de confirmation.

Du fait que « de nombreux jeunes gens de la région réfractaires au STO » se cachent parmi les moines, il fallait leur confectionner une nouvelle identité, explique le révérend père Jean de la Croix Bouton. « Notre activité fut amenée à créer, précise-t-il, dans notre bureau, une officine de fausses cartes et à devenir experts en faux ».

« Dès le lendemain du drame de l'Aubagne [30 mars 1944], écrit M. Martel, le monastère d'Aiguebelle prit ses dispositions pour faire évacuer du couvent un groupe d'enfants en vacances ainsi que les nombreux réfractaires et traqués par la Gestapo, qui y avaient trouvé asile, et faire disparaître toute trace suspecte. Les SS, brutaux et grossiers, poursuit-il, perquisitionnèrent vainement ; mais, en se retirant, ils proférèrent, devant le RP Prieur, de violentes menaces ». Ces événements laissent penser que la communauté vit à ce moment-là sous une menace sérieuse, pouvant aller jusqu’à l’incendie, voire la destruction.

À ce sujet, frère Henri écrit encore, dans la Revue Drômoise, parlant des Allemands : « Au moment de monter les escaliers conduisant au premier étage, dans la pénombre, ils ont peur de tomber dans un traquenard et s'en retournent en disant : “Demain, on viendra foutre le feu au couvent”. Le lundi, nous les avons attendus ; pas de visite. »

Le 7 juin, une voiture au gaz de ville embarque onze employés du monastère à Cobonne, engagés par le maquis Pierre, se souvient René Corde de Montjoyer.

En avril 2003, « les moines d'Aiguebelle [reçoivent] l'hommage reconnaissant de la fédération des FFI de la Drôme ». Ce témoignage, signé par le général de Lassus Saint-Geniès, Jean Abonnenc, René Ladet, André Petit, précise que la communauté mérite d'être honorée « pour son œuvre humanitaire et les services rendus à la Résistance Sud-Drôme de 1940 à 1944 ».

Dom Barbeau, père abbé de Notre-Dame-d'Aiguebelle, d'origine canadienne, « évoqua, lors de cette manifestation, le devoir de mémoire, la nécessité de transmettre l'histoire ».


Auteurs : Claude Seyve et Michel Seyve
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007 ; Abbaye Notre-Dame-d’Aiguebelle, L’histoire architecturale d’un patrimoine vivant, École d’architecture de Paris et l’abbaye, 2005 ; Mémoires, Brigitte Chalandon ; Thèse, Elisabeth Burles, AD Drôme, B 503 ; M. Martel, Allan « Mon Village » de juin 1940 à août 1944, 1947 ; témoignage de Léo Rostand, rencontres avec René Corde, le père abbé Dom Barbeau et d’autres moines de l’Abbaye.