Jean Chancel décoré de la Croix de guerre avec palme, à Valence

Légende :

Des résistants reçoivent des distinctions.

Genre : Image

Type : Photo de groupe

Source :

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : 1945

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône

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Analyse média

Jean Chancel a été distingué à plusieurs reprises pour son activité dans la Résistance. Il a été cité « à l’ordre de l’armée » pour avoir recueilli les aviateurs britanniques et leurs passagers dont Francis Cammaerts qui ont été abattus vers Ratières, le 9 février 1944 : « A délibérément exposé sa famille, sa personne et ses biens pour sauver l’équipage d’un avion britannique tombé dans la Drôme fin janvier 1944 ». Fait à Paris, le 4 septembre 1945. Signé De Gaulle. P A Le Lt-Colonel PEDRON, Directeur de Cabinet de l’E.M.G.D.N.

À noter la petite erreur de date de la citation.

Cette remise de médaille se déroule à Valence, place de l’Hôtel-de-Ville. Le bâtiment, à l’arrière des décorés, est le Théâtre municipal. Les immeubles et les commerces en fond de place n’ont pas changé depuis 1945.

Pour la même opération, Jean Chancel reçoit, en reconnaissance, la King's médal for courage. Son épouse, Mady Chancel-Lémonon, a également été remerciée pour cette action. Le Consul général Britannique, à Marseille, dans une lettre du 30 mai 1947, invitait Jean Chancel à venir au n° 500, rue Paradis, à Marseille, le vendredi 13 juin entre 5 h et 6 h de l’après-midi. Le Consul avait été chargé par le Gouvernement de Sa Majesté britannique de remettre à Jean Chancel, en reconnaissance des services qu’il a rendu à la Cause Alliée pendant la guerre, « un Certificat ainsi qu’un Insigne en argent Feuille de Laurier, emblème de l’appréciation du Roi pour conduite courageuse ».


Contexte historique

Les membres de la famille Lémonon - Chancel ont joué, à Saint-Donat, un rôle essentiel dans l'organisation de la Résistance dans la région.

Le docteur Lémonon était un médecin très apprécié à Saint-Donat. Il était par ailleurs conseiller général du canton. Il a eu quatre enfants. L'aînée est Marie-Louise, plus connue sous le diminutif de Mady, puis vient Jean qui est en train de terminer ses études de médecine quand la guerre l'appelle. Mobilisé, trois mois après son mariage, il participe à la drôle de guerre, tente de s'opposer, avec quelques hommes, à une attaque allemande en mai 1940. Ils tombent dans une embuscade au cours de laquelle il est tué ; son fils Jean-Pierre ne connaîtra jamais son père. Michel devient prêtre et est vicaire à Saint-Donat, puis à Romans pendant la guerre. Enfin, Henri prépare l'agrégation de lettres, mais s’oriente vers la médecine, après la mort de son frère, pour remplacer le père, plus tard.

Mady Lémonon avait épousé Jean Chancel, pharmacien. Après un temps en Avignon, celui-ci avait ouvert une officine à Saint-Donat dans la maison de son beau-père, rue Pasteur. Au début de la guerre, compte tenu de son âge, 38 ans, et de ses trois enfants, Jean Chancel ne part pas au front mais est chargé d'organiser un hôpital militaire à Montélimar.

Tout le monde connaissait les opinions de la famille Lémonon. C'étaient des notables catholiques de cette petite bourgeoisie rurale ayant une influence certaine dans leur entourage, rendant des services reconnus à leurs patients. Ils n'étaient pas engagés dans une formation politique et manifestaient une grande indépendance. Leur connaissance de la réalité allemande les avait amenés à s'opposer, dès le début, aux occupants et à leurs valets de Vichy. La pharmacie est vite devenue le lieu où arrivaient les informations et où venaient tous ceux qui commençaient à envisager des activités résistantes ou qui se sentaient menacés.

Michel Lémonon, à Romans, avait mis en place un réseau pour mettre en sécurité les personnes menacées, notamment les Juifs. Et une des premières maisons où il en envoyait, c'était celle de sa soeur et de son beau-frère à Saint-Donat. C'est ainsi qu'y fut accueillie, en 1942, la famille Loewe, le père, la mère, avocats, et leur fillette, Juifs allemands, qui furent dirigés ensuite vers une maison de retraite religieuse à Chabeuil.

Jean Chancel était devenu aussi un spécialiste de la fabrication des faux papiers qu'il réalisait dans un petit bureau attenant à la pharmacie, qu'il appelait sa "préfecture".

En plus de son préparateur habituel, Jean Chancel camouflait des jeunes menacés sous la couverture de "préparateurs" occasionnels, comme ce fut le cas de Jean Laville, de Marcel Vallon, de Romans, qui a ensuite exercé cette profession toute sa vie.

La pharmacie était devenue le lieu par lequel passaient nombre de clandestins, quelles que soient leur religion, leur appartenance politique, où transitaient les messages à faire parvenir à Londres ou à Alger. Les résistants de différents mouvements s’y réunissaient ou venaient y chercher des consignes qu'ils soient à l'AS (Armée secrète) ou dans les FTPF (Francs-Tireurs et partisans français).

C'est Jean et Mady Chancel, après que Jean Laville, proche des milieux surréalistes, un des faux préparateurs de la pharmacie, les a reconnus, qui sont entrés en contact avec Louis Aragon et Elsa Triolet, réfugiés clandestinement, depuis quelques jours à Saint-Donat, à une centaine de mètres de la pharmacie, sous les pseudonymes de "Lucien et Élisabeth Andrieux", dans la maison de Claire Bret. Les contacts, entre les deux couples, sont devenus alors quasi quotidiens.

C'est dans la maison Chancel que furent rassemblés les aviateurs anglais et leurs passagers après l’écrasement de leur avion, le 9 février 1944, avec parmi eux Francis Cammaerts, alias "Roger", du réseau Buckmaster. C'est là aussi que se préparaient les expéditions pour aller récupérer le matériel parachuté, opérations auxquelles participaient Jean Chancel et son beau-frère Henri Lémonon. Ce fut le cas, notamment, cette nuit du 14 au 15 juin 1944 qu'a racontée Elsa Triolet dans la nouvelle Le premier accroc coûte deux cents francs.

Jean Chancel avait organisé un hôpital clandestin d'une dizaine de lits en face de la pharmacie, derrière la boulangerie Ronjat. De nombreux maquisards blessés ou accidentés y ont été soignés, notamment entre le 6 et le 15 juin 1944. Mais le 15 juin, le village est attaqué par plusieurs milliers d'Allemands.

Au cours de cette funeste journée du 15 juin 1944, Jeannie, la fille aînée de Jean et Mady Chancel, a été sauvagement violée. Elle est décédée quelques semaines plus tard.

Jean et Mady Chancel sont obligés de quitter le pays avec toute sa famille. Jean Chancel rejoint le maquis du commandant Noir, puis part, vers le 10 juillet, au Vercors, demandé par le docteur Rigal dont il devient l’adjoint, à l’hôpital de Saint-Martin-en-Vercors. Le 15 juillet, ils se rendent à Die pour organiser le service de santé de toute la Drôme. Devant l’attaque allemande, le 23 juillet, ils sont obligés de partir par la montagne, vers Bourdeaux, puis Dieulefit.

Le 25 août, voyant la libération prochaine, Jean Chancel réussit à revenir à Saint-Donat où il avait été désigné, pendant la clandestinité, comme président du Comité de Libération. Il prend tout de suite sa place à la mairie. Il réinstalle dans d’autres locaux le petit hôpital, qui n'avait pas fonctionné pendant son absence, où sont soignés de nombreux blessés.

Ces activités n'étaient pas sans intéresser les quelques collaborateurs de la région. La famille Chancel a été l'objet de plusieurs dénonciations. Mady Chancel nous disait : "Nous avons eu connaissance de trois dénonciations, une a été arrêtée par la poste de Charmes, l'autre par les gendarmes de Saint-Donat, c'est la troisième qui a marché". Celui qui en était l'auteur était un "garçon qui se voulait célèbre […]. Il dénonçait à la Gestapo à Valence. […], il était très dangereux. Alors, un jour, deux hommes en uniforme allemand sont allés lui dire : "Vous nous intéressez beaucoup par les renseignements que vous donnez, on va vous présenter à nos chefs. Et ils l'ont descendu sur la route de Charmes. C'étaient des faux Allemands, des maquisards." Cet épisode est repris par Aragon dans la nouvelle Le droit romain n'est plus dans Servitudes et Grandeur des Français."

Jean Chancel décède le 27 septembre 1952 et Mady Chancel le 20 août 2004.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Divers articles de Jean Sauvageon dans Études drômoises.