Fiche d'arrivée au camp de Noë de Fernand Belino

Légende :

Fernand Belino est incarcéré à la Maison centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne) le 16 octobre 1943. Suite à un arrêté d’internement administratif signé par le préfet régional de Toulouse le 11 novembre 1943, il est transféré au centre de séjour surveillé de Noé (Haute-Garonne) le 16 novembre 1943.

Genre : Image

Type : Document administratif

Source : © Archives départementales de la Haute-Garonne, 5956W1 Droits réservés

Détails techniques :

Fiche cartonnée. Dimensions : 12,5 x 15,8 cm.

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Haute-Garonne - Noé

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Contexte historique

Les camps de Récébédou et de Noé répondent au souci de Vichy de créer, en février 1941, deux " camps-hôpitaux " dépendant du ministère de l'Intérieur. Ils sont destinés à servir de " vitrines " des camps de Vichy, à être le contraire de ce qui existe dans les camps voisins du Vernet en Ariège (un véritable camp répressif) et de Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques (les Basses-Pyrénées de l'époque). Ils doivent accueillir " des indésirables étrangers ", ainsi que " des ménages âgés de plus de 60 ans et des infirmes ".

Le camp de Récébédou, situé un peu au sud de Toulouse, est ouvert en 1940 en tant que centre d'accueil pour réfugiés, des Belges essentiellement, sur le site d'une cité ouvrière de la Poudrerie nationale voisine. Il est transformé en février 1941. Une partie clôturée accueille les étrangers à surveiller. La partie hôpital est faite de pavillons en dur (on en compte plus de 80). Il y a des douches et une infirmerie. Prévu pour accueillir 1600 internés, le camp ira jusqu'à recevoir quelque 1800 personnes en avril-mai 1941.

Le camp de Noé, encore plus au sud, à une trentaine de kilomètres de Toulouse, est construit rapidement en février 1941 par des Espagnols du GTE de Clairfont. Il occupe l'emplacement d'une ancienne poudrerie. Il compte 125 pavillons construits en dur,  " avec des planchers, des murs en ciment et des toits en tôle ". Ils sont entourés d'un mur de garde. Noé présente en fait un double visage. La partie hôpital accueille les gens âgés et malades. Elle dispose d'une infirmerie et d'une station phtisiologique. La partie centre de séjour surveillé compte un ilot spécial entouré de barbelés, où sont enfermés les hébergés (sic) à surveiller. Le camp est destiné à recevoir quelques 1600 personnes, issues pour la plupart d'endroits surchargés comme Gurs. Entre février 1941 et juillet 1942, près de 2500 étrangers y arrivent. Les Allemands et les Espagnols, à majorité des Juifs, sont les plus nombreux.

Dans un premier temps, Récébédou et Noé paraissent avoir atteint leurs objectifs. Avec des bâtiments en dur, des lavabos, des douches, des infirmeries, des lits avec paillasse, sacs de couchage et couvertures, des poêles à bois etc., les témoignages disent que, malgré un équipement rudimentaire, les conditions de vie y sont meilleures qu'ailleurs. La propagande de Vichy en profite. Le 24 mars 1941, des journalistes américains visitent les deux camps, sans aller évidemment... jusqu'au Vernet, pourtant peu éloigné. Ils en ramènent de bonnes impressions. Mais la situation se dégrade rapidement. Le grand nombre d'internés âgés et malades, ainsi que le manque d'hygiène (les poux sont fréquents à Récébédou, malgré l'existence d'une station d'épouillage), comme l'insuffisance des moyens d'alimentation, de chauffage ou de médicaments, font monter la mortalité. La tuberculose et la cachexie (la maladie de la faim), mais aussi - plus particulièrement à Récébédou - le typhus et la dysenterie, font des ravages. Des oeuvres privées de bienfaisance essaient de soulager les souffrances. La plupart appartiennent au Comité de Nîmes, qui a été autorisé en février 1941 à apporter " moralement et matériellement " des secours dans les camps. L'exemple de Récébédou est révélateur. Suivant les moments, on y note la présence du Secours Suisse, de la Croix-Rouge, des Quakers américains, de l'YMCA (Young Men Christian Association), du CIMADE (Comité intermouvements auprès des évacués, un organisme protestant), de l'Union générale des Israélites de France (UGIF), de l'Organisation pour la reconstruction et le travail (ORT, un organisme qui dépend de l'UGIF)... Des assistantes sociales sont également présentes. L'aide fournie est surtout morale, alimentaire et vestimentaire. Le 17 octobre 1941, la Commission israélite des camps (CIC) qui regroupe plusieurs oeuvres juives d'assistance lance cependant  un cri d'alarme : " A Noé et Récébédou près de 3000 vieillards, tous malades ou infirmes, sont internés. Les autorités qui ont pris la charge de veiller sur leur existence ne peuvent malheureusement, malgré leurs efforts, assurer de façon satisfaisante leur ravitaillement et la nourriture qui leur est accordée ne leur permet pas de résister à la vie du camp : une soupe à l'eau, un légume, un peu de confiture, voilà leur repas habituel. En ce moment même, à Récébédou, une centaine d'internés sont atteints de l'oedème de la faim. (...) La situation vestimentaire n'est pas meilleure (...) ", et beaucoup d'internés sont couverts de simples haillons. Un appel est alors lancé à la communauté juive de Toulouse pour qu'elle se mobilise, afin de fournir des vivres et des vêtements chauds à ses malheureux coreligionnaires à l'approche de l'hiver. D'autres organismes agissent pareillement. En coopération avec des Quakers regroupés autour d'une danoise, mademoiselle Holbeck, le groupe d'Augustin Callebat, un des premiers résistants toulousains, fournit des vivres, de fausses cartes et des possibilités de camouflage. Mais toutes ces actions sont insuffisantes. Elles soulagent Vichy d'une partie de ses responsabilités, et elles restent peu nombreuses. De toute façon l'opinion, mal informée et trop accaparée par ses propres problèmes, reste le plus souvent  indifférente.

473 internés sont morts à Noé et à Récébédou, entre février 1941 et octobre 1942. L'échec de la politique des " camps hôpitaux " de Vichy est patent. A partir de l'été 1942, avant même l'arrivée de l'occupant allemand, ils deviennent des réservoirs pour les convois raciaux à destination de Drancy, puis de l'Allemagne. Les Juifs étrangers y sont regroupés et envoyés vers Auschwitz, dans des conditions que l'archevêque de Toulouse, monseigneur Saliège, alerté, dénonce publiquement dans sa lettre pastorale du 23 août 1942. Vichy décide alors de vider Récébédou, de transférer les internés et de fermer le camp. Ce qui est fait le 1er octobre 1942. Toutefois, les installations sont encore utilisées en novembre... pour accueillir des éléments de l'armée d'Occupation allemande.

Quant à Noé, il se banalise et il devient, écrit Eric Malo, " un camp comme les autres ". Le camp-hôpital disparaît en septembre 1943, avec le départ de 650 internés étrangers âgés difficiles à entretenir, ce qui représente " près de la moitié de l'effectif ". Ceux qui restent (380 Espagnols et 280 juifs) vivent alors dans un Centre de séjour surveillé entouré de barbelés. En mai 1944, la population juive restante est déportée dans le convoi n° 75 du 30 mai : il ne reste plus que des Espagnols, souvent d'anciens communistes et anarchistes. Mais le camp continue d'accueillir sans cesse de nouveaux arrivants, parfois pour quelques jours. Ce sont divers types d'exclus français, comprenant des communistes, des résistants, des réfractaires au STO ou aux Chantiers de jeunesse, des marginaux et des droits communs. Il y a aussi des Espagnols clandestins, des déserteurs italiens, des anglo-américains, des nomades et des travailleurs étrangers (TE), pour la plupart juifs. Noé est devenu un camp de triage pour une population hébergée hétérogène des plus disparate. L'objectif est d'y prélever de la main-d'oeuvre pour l'Allemagne, par exemple des Français pour le STO ou des étrangers pour l'Organisation Todt. Il y a deux îlots spéciaux, l'un pour les Français, l'autre pour les étrangers. D'après un rapport administratif de juin 1943, l'état d'esprit des " hébergésfrançais " est considéré comme " mauvais ", celui des étrangers comme " trèsbon ". Une déficience commune est notée : la nourriture, ce qui est " malheureusement normal dans la région de Toulouse " (sic). En juin 1944, les Allemands occupent une partie du camp pour y implanter une formation DCA destinée à protéger la poudrerie voisine du Fauga. Le 30 juillet 1944, ils prélèvent 163 personnes pour les déporter à Buchenwald et Ravensbrück. Parmi elles, 42 Français, des Espagnols, des Italiens et des Britanniques. Le camp est libéré le 19 août 1944 par le maquis de Rieumes. La Libération accomplie, il n'est pas fermé tout de suite. Simplement il accueille, non sans excès, une nouvelle population, celle des collaborateurs ou présumés tels. En avril 1945, il y a ainsi 1500 internés. En juin 1946, le centre de séjour surveillé disparaît pour être remplacé par un centre pénitentiaire plus classique. En 1947 celui-ci est fermé, mais c'est seulement en 1950 que le terrain est rendu à la commune de Noé. 


Michel Goubet, "Les camps d'internement de Récébédou et de Noé" in CD-ROM La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2009.