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Extrait du carnet de détention de Jean Belloni - prison de Toulouse

Légende :

Durant sa détention à Toulouse, Tarbes puis Eysses, Jean Belloni relate ses journées dans un petit carnet.

Genre : Image

Type : Carnet

Source : © Association généalogique des familles Bourrée et Lapeyre Droits réservés

Détails techniques :

Dimensions : 16,5 x 10 cm

Date document : 1941-1943

Lieu : France

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Analyse média

Le carnet comporte environ 80 pages manuscrites. Commencé à la prison de Toulouse où Jean Belloni a été incarcéré du 15 septembre 1940 au 8 décembre 1941, l'essentiel du carnet a été rédigé à la prison de Tarbes où il séjourne de décembre 1941 jusqu'à son transfert à Eysses le 15 octobre 1943. Le carnet s'achève à la date du 3 novembre 1943. Outre ses occupations quotidiennes, Jean Belloni y décrit ses transferts de prison en prison, y dresse sa comptabilité (cantine) ou encore la liste précise et datée des lettres reçues de sa famille. 

Voici la retranscription des principaux passages de ce carnet (avec l'orthographe d'origine) :

- 1941 -
« Arreter le dimanche 15 juin 1941 a 2h l’après midi. Coucher en cellule gendarmerie Villeneuve.
Lundi 16 juin : emmener à la maison d’arrêt d’Agen, 44 rue Montaigne.
Mardi 17juin : Devant le juge d’instruction.
Lundi 15 septembre : transférer à la maison d’arrêt de Toulouse, 18 bis Grande rue St Michel : quartier IV, cellule 3.
Samedi 27 septembre : passer à l’instruction. Parti à 2h revenu à 7h rue Peyrolade.
Lundi 20 octobre : suis changer de cellule : quartier IV cellule 2.
Jeudi 6 novembre : passer en jugement le matin à 9h fini à midi et demie. Condamné à 5 ans de travaux forcés et à la dégradation civique.
Mercredi 26 novembre : changer de nouveau de cellule, quartier trois cellule sandale. Pourquoi ma ton changer je n’en sais rien, mais j’ai le cafard, car je n’ai aucune connaissance et ceux qui sont là ne sont pas très intéressant à part deux ou trois.
Jeudi 4 décembre : J’ai demander au brigadier-chef s’il lui serait possible de faire nouveau changer de cellule a seule fin que je puisse, vu mon infirmité, recoucher au rez de chaussée pour ne pas avoir à monter les escaliers. m’a repondu gentiment qu’il ne pouvait rien faire pour moi.
Dimanche 7 décembre : il paraitrait que je pars demain matin ou mardi matin pour Tarbes ou bien la centrale d’Eysses. Quelle joie ça serait pour moi si c’était vrai. Eysses, chez moi, je n’ose y croire, au moins là je pourrais voir ceux qui me sont si chers, ma femme chérie et ma fille que je n’ai pas vue depuis le 15 juin, date de mon arrestation. Attendant condirmation et ayant espoir, l’espoir fait vivre à ce qu’il parait.
Lundi 8 décembre : transférer à la maison d’arrêt de Tarbes, 17 rue Eugène Ténot, cellule 7, matricule 142. Départ à 6 h du matin dans une voiture cellulaire, chacun dans sa cellule, les deux mains prises dans une menotte, on ne risque pas de s’échapper. Il n’y a que moi qui les ait pas, ils ont eu pitié. Voyage très pénible ne pouvant bouger. Arriver à Tarbes à 9h. Comme travaux forcés, voilà qu’elle va être notre travail , tresser du raffia, on va coomencer sans doute mardi, et moi arranger les tenues des surveillants.
Mardi 9 décembre : le directeur de la centrale d’Eysses qui faisait l’inspection, c’est entretenu avec nous un instant. Il nous a promis d’essayer de faire quelque chose pour nous. [...]

-1942-
Jeudi 1er janvier 1942 : J’espère que cette nouvelle année sera la fin de ce calvaire, et un nouveau ordre européen mais pas à la Hitler. [...]
Dimanche 14 juin 1942 : Date mémorable, un an que j’étais arrêter à 2 heures de l’après midi, coucher en cellule gendarmerie après avoir été bastonné par un sauvage, l’adjudant.
Mardi 16 juin : Il y a un an aujourd’hui que je fesais ma premiere rentré à la prison d’Agen, bien escorté par le parquet d’Agen, et quatre gendarmes, et transporter par un autobus spécialement commandé pour nous.
Mercredi 24 juin 1942 : Mauvaise journée, le sous-directeur d’Eysses est venu. Il y a eu encore des réclamations aussi on va nous appliquer le réglement, pas de tabac, deux lettres par mois à notre famille, puis l’isolement, un dans chaque cellule. J’ai essayé pour que nous restions tous les trois ensemble, je crois que j’ai réussi.
Dimanche 28 juin : On doit écrire qu’une fois par mois mais nous sommes solidaires des copains, car on sait que c’est une brimade contre les communistes.
Lundi 29 juin : Nous apprenons que le camarade Michaud est mis en cellule pendant 15 jours et qu’il va faire la grève de la faim. A la gamelle de 11h on a tous crié libéré Michaud et chanter l’Internationale. Maintenant tous les copains sont isolés. [...]
Mardi 15 septembre : Mr le directeur d’Eysses, est venu visiter nos cellules, et nous a dit que d’ici quelques jours il allait nous faire venir à Eysses. Nous lui avons fait comprendre que nous préférions rester ici, surtout qu’il nous avait dit que nous serions avec les droits communs. Nous avons assez souffert quand nous étions mélanger avec cete sale racaille à Agen et Toulouse, tandis qu’ici pour nous les communistes, c’est la prison modèle.
Lundi 7 novembre 1942 : Aujourd’hui 25e anniversaire de la Révolution Russe. Aussi à l’heure de la soupe, nous avons observer une minute de silence en l’honneur de l’Armée Rouge et de nos braves camarades tombés fusillés pour notre cause, Gabriel Péri, Cathela, Michel, Frot, Sémard...
Dimanche 15 novembre : Aujourd’hui 17 mois que les gendarmes venaient me cueillir chez moi au moment de partir à la pêche.
Vendredi 27 novembre 1942 : Armée dissoute. Voilà l’oeuvre de Laval, Pétain. Ici les Boches ont occupés les casernes, en braquant les mitrailleuses. A Toulon, la flotte a fait tous sauter, avec officiers et marins. Crime horrible sur la conscience de deux hommes. Toujours très bonnes nouvelles du front russe.
Mardi 29 décembre 1942 : J’ai appris pourquoi mon cousin Alphonse a failli être fusillé, c’est pour ne pas avoir voulu donner aux Allemands une liste d’otage. Au moment ou on le mettait en joue, il a crié vive la France et à bas l’Allemagne. L’officier qui commandait le peloton a admirer son courage et lui a fait grâce. Je suis très fier de mon cousin.

- 1943 -
Lundi 1er février : Très bonnes nouvelles du front russe ne s’est pas rendu. A sa tête Paulus et sa suite. Depuis novembre, rien que dans ce secteur, les Russes ont fait 33 800 prisoniers.
Vendredi 12 février : On a but ensemble, Vigne, Roque, Lajoix, Edouard, Gaston et moi. Nous avons choquer en l’honneur de la vaillante Armée Rouge, de ses chefs et du grand chef Staline et sa victoire future. Choquer aussi en l’occasion de l’anniversaire du 12 février 1934, jour des grandes manifestations des ouvriers, intellectuels, paysans contre le fascisme et d’où est né le front populaire. [...]
Mercredi 6 octobre : Trois bombes ont éclaté, une chez le président de la légion, chez le chef de la milice, et l’autre je ne sais pas, puis ils ont porté un grand drapeau avec la croix de lorraine et une femme corse où il y avait dessus Premier Departement français libéré. A partir d’aujourd’hui nous sommes bien gardés. Il y a des gardes et des gendarmes avec des fusils partout. Ils doivent avoir peur.

Vendredi 15 octobre : Ce matin départ 7 heures. Transférer à la centrale d’Eysses. On nous a averti hier a deux heures. Nous avons trinquer avec les amis et avec les gardiens toute la nuit. J’ai beaucoup de peine de quitter Tarbes. J’étais d’un coté très heureux d’aller chez moi car la au moins je pourrais voir ma femme et ma fille mais c’est de la centrale que nous avons peur. Donc ce matin 6h1/2 debout, les gendarmes, garde mobiles, sont déjà là. C’est vrai qu’ils étaient arriver depuis hier soir. Rassemblement dans le hall, menottes aux mains et fer aux pieds, bien entendu sauf pour moi. Avant de laisser cette prison, 25 voix communistes s’élèvent au chant de la Marseillaise, les gardiens se sont mis au garde a vous, et la police a la solde de Pétain et de Laval ne disait rien. Nous sommes monter dans la voiture cellulaire. Moi j’étais dans le couloir auprès des surveillants et nous sommes partis bien escortés. D’abord devant nous une camionette pleine de gardes, fusil, revolver, mitraillete devant et derriere, ensuite venait notre belle voiture, puis une autre comme la premiere avec deux mitrailleuses. Une seule voiture représentait les vrais français, c’est à dire nous les bagnards qui avons eu le courage de lutter pour chasser à la fois l’envahisseur et pour abattre le fascisme français. Il va sans dire que dans les rues de Tarbes et dans tous le parcours nous avons chanter et crier nos mots d’ordre. A Villeneuve la même chose.
Lundi 17 octobre : le directeur m’a fait installer un ateliet a coté de chez lui pour travailler pour les surveillants. Nous avons déjà obtenu pas mal d’avantages.
Mercredi 19 octobre : Au dortoir il était interdit de parler et il fallait se coucher. Maintenant nous ferons nos réunions de groupes et après nous ferons une belote jusqu’à 11h puis on se couche.
Vendredi 21 octobre : Suis rentrer à l’infirmerie pour faire soigner mes pieds. Je ne peux presque plus marcher a force de monter les escaliers pour aller a l’atelier."


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Jean Arthur Belloni est né à Monclar d’Agenais (Lot et Garonne) le 23 décembre 1896. Son père, Michel, est coiffeur et sa mère, Anne David, est tailleuse de robes. Il reprend le métier de sa mère et devient tailleur d’habits, d’abord chez Galinou puis chez Caminade, grand couturier de Villeneuve. Il n’est pas mobilisable en 1914 à cause d’une infirmité. Le 10 janvier 1920, il épouse Marguerite Varlot qui avait fui Amiens en 1917 à cause des bombardements. De leur union naît Jeannine le 30 avril 1926. Ils résident alors à Villeneuve-sur-Lot. Dans les années 1930, Jean Belloni est trésorier de la cellule communiste de Villeneuve-sur-Lot et de la société sportive « Avant garde Villeneuvoise ». 

Dès 1940, il s’engage dans la lutte clandestine en distribuant des exemplaires de l’Humanité. Le groupe de résistants auquel il appartient comprend son ami Gaston Cavaillé ainsi que Germain Marlas, Oswald Demeurs et Jean Delrieu. En mai 1941, suite à la diffusion d’un numéro de l’Humanité portant des accusations à l’encontre du commissaire de police de Villeneuve, une enquête judiciaire est ouverte. Le 15 juin 1941, à la suite d’une dénonciation, la gendarmerie de Villeneuve interpelle Jean Belloni et ses quatre camarades. Il comparaît le 21 juin 1941 devant le Tribunal de Première Instance d’Agen puis est incarcéré du 15 au 18 septembre 1941 à la prison de Toulouse. Il est présenté le 27 septembre devant le Tribunal militaire de Toulouse qui le condamne à cinq ans de travaux forcés le 6 novembre 1941 pour activité communiste. Il est ensuite transféré à la maison d’arrêt de Tarbes le 8 décembre 1942 puis à celle d’Eysses le 15 octobre 1943. Suite à l’insurrection des patriotes détenus dans cette centrale, il est livré avec les autres détenus aux autorités allemandes le 30 mai 1944. 

Jean Belloni est déporté le 20 juin 1944 au camp de concentration de Dachau sous le matricule 73070 ; il est affecté au commando des tailleurs. Il est rapatrié de ce camp le 17 mai 1945 mais décède des suites de sa déportation le 10 août 1947 à Amiens. La mention « Mort pour la France » a été inscrite en marge de son acte de décès le 11 avril 1949. Le titre de déporté résistant lui a été attribué à titre posthume par décision en date du 4 février 1986.

 

Fabrice Bourrée