Attestation du lieutenant Van Loo

Légende :

Attestation délivrée par le lieutenant Van Loo, officier des détails [officier en charge du matériel] du 21e bataillon du 5e régiment d'infanterie, en faveur de Pierre Brossolette, le 31 juillet 1940.

Genre : Image

Type : Attestation

Source : © Archives nationales, 72 AJ 2215 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié. Dimensions : 32 x 21 cm

Date document : 31 juillet 1940

Lieu : France

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Contexte historique

Mobilisé le 23 août 1939, il part comme lieutenant au 5e Régiment d'Infanterie (21e Bataillon), corps où il avait déjà été rappelé une première fois pour quelques semaines en mars, au moment des événements de Tchécoslovaquie. Il prend alors le commandement de la Compagnie d'Accompagnement du Bataillon à la tête de laquelle il gagne la zone des armées. Très rapidement, grâce à ses qualités d'organisation et d'initiative, grâce aussi à la façon dont il sait adapter les règlements militaires aux circonstances tout en en conservant l'esprit, grâce enfin à sa manière "humaine" d'exercer le commandement, il acquiert une exceptionnelle autorité. Il paie de sa personne, il est vrai, passant tout le jour au milieu de ses hommes, perfectionnant leur installation matérielle, en même temps que leur instruction militaire, partageant leurs préoccupations et leur témoignant une sympathie telle qu'il devient rapidement populaire et que sa compagnie parfaitement disciplinée et entraînée est connue au Corps comme "la Compagnie qui marche". 

En raison sans doute de ses opinions politiques, il est d'abord accueilli avec une certaine réserve qui cache une hostilité de principe par certains officiers de son groupe ou des formations voisines pour lesquels "socialiste" ne peut qu'être synonyme d'antipatriote et d'antimilitariste. Mais il conquiert bien vite ceux qui l'approchent par sa haute culture, sa probité intellectuelle, son sens national aigu et aussi par sa conscience professionnelle que beaucoup des officiers de carrière qui l'entourent pourraient envier. Au début de 1940, lors de la visite médicale des officiers, le médecin du corps veut le faire classer "inapte à faire campagne" en raison d'une maladie de foie qui se manifeste par des crises fréquentes et douloureuses. Mais il n'entend pas être affecté à une formation de l'intérieur et à sa demande formelle, il est maintenu dans une unité combattante. Peu après, il est volontaire pour partir en Norvège, mais il n'obtient pas satisfaction étant un des plus anciens lieutenants alors qu'on entend choisir parmi les plus jeunes. 

En avril 1940, il est nommé capitaine au choix et sa promotion est accueillie par tous avec faveur. Le 22 mai, à la suite de l'offensive éclair des Panzer Divisions, la situation devient critique et le bataillon de Pierre Brossolette caserné jusque-là à la Ferté-sous-Jouarre, reçoit l'ordre de prendre position pour la défense du pont de la Marne. Le 13 juin, après de rudes combats, prolonger la résistance s'avère inutile par suite du décrochage des unités voisines. Les Allemands ont d'ailleurs passé la Marne en amont de la Ferté et s'avancent en masse. Après un sévère bombardement, la retraite commence à travers la Brie et le Gâtinais, par des routes encombrées de véhicules militaires, de soldats isolés et de la cohue lamentable des réfugiés qui fuient. Au milieu de la débâcle, le capitaine Brossolette conserve son sang-froid, sa préoccupation essentielle est de sauver sa compagnie. "Son courage physique et sa volonté, écrit un de ses camarades, font l'admiration de tous. Rompu de fatigue, les pieds ensanglantés par des marches interminables qui vont jusqu'à atteindre cent kilomètres en quarante-huit heures, il refuse, pour ne pas abandonner ses hommes, d'utiliser la bicyclette qu'on lui propose. Il entend prêcher d'exemple et réussit à garder son unité groupée autour de lui, contribuant en outre pour une large part à maintenir la cohésion du bataillon dont le chef a été évacué." Ses hommes ont tout perdu mais - exception remarquable dans cette débâcle - ont gardé leurs armes et on les vit avec étonnement défiler en ordre avec leurs fusils.

A Sully-sur-Loire, le 16 juin, le pont routier a été rendu impraticable par bombardement aérien. En pleine nuit, à la lueur sinistre des incendies, le capitaine Brossolette fait emprunter à sa troupe le viaduc du chemin de fer encombré de civils et dont il faut avec des planches boucher la brèche faite au milieu du tablier par une bombe. La compagnie passe, puis, malgré l'absence de toute liaison avec les éléments voisins et un épuisement quasi-total, continue son repli vers le Cher et la Vienne. Brossolette entend qu'aucun de ses hommes ne soit prisonnier. La nouvelle de la cessation des hostilités parvient à la compagnie le 25 juin, alors que toujours aux ordres du commandement, elle venait de prendre position pour défendre le passage de la Vienne, dans la région de Limoges. Cette belle conduite pendant la retraite vaut à l'ensemble du Bataillon une citation à l'ordre du régiment pour avoir fait preuve " d'endurance, de discipline et de mépris du danger ". Le capitaine Brossolette est décoré personnellement de la Croix de Guerre - croix qui devait plus tard lui être retirée par Vichy. Fin août 1940, à Saint-Saud-Lacaussière (Dordogne), il réalise la démobilisation totale de sa compagnie puis est à son tour rendu à la vie civile.


Extrait de René Ozouf, Pierre Brossolette - Héros de la Résistance , Clamart, février 1946