Cérémonie du premier anniversaire de la mort de Brossolette

Légende :

Invitation à la cérémonie commémorant le premier anniversaire de la mort de Pierre Brossolette à la Sorbonne le 22 mars 1945.

Genre : Image

Type : Carton d'invitation

Source : © Archives nationales, 72 AJ 2218 Droits réservés

Détails techniques :

Invitation cartonnée

Date document : 22 mars 1945

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Au cours de la cérémonie organisée dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne à l'occasion du premier anniversaire de la mort de Brossolette, le 22 mars 1945, plusieurs personnalités prirent la parole parmi lesquelles Jacques Lecompte-Boinet, André Philip, René Pleven, Gustave Roussy, Maurice Schumann, Georges Thierry d'Argenlieu, Louis Vallon, Philippe Soupault et Émile Waldeck-Rochet.

René Pleven alors Ministre des Finances, qui fut son ami durant 22 ans, a insisté dans son allocution sur l'unité de la vie de Pierre Brossolette : " Sa vie, s'écria-t-il, fut celle d'un homme qui avait toujours voulu vivre comme il pensait... Je n'ai jamais connu Brossolette acceptant un compromis avec ce qu'il croyait juste ou vrai. C'était un caractère sans petits côtés, sans mesquinerie ; aucune préoccupation de carrière, d'intérêt n'a jamais obscurci son jugement, ne l'a jamais fait dévier de ce qu'il croyait la bonne voie... Jamais je n'ai connu Brossolette découragé ; en revanche, je l'ai toujours vu prêt à se dresser, à lutter contre les hypocrisies, contre les illusions, contre les mensonges. Pendant cette grande et longue épreuve de la France, beaucoup d'hommes auront, comme lui, combattu, souffert et délibérément donné leur vie. Mais il y en a fort peu, je pense, dont on pourra dire avec autant de vérité, qu'il fut uniformément, continûment, depuis l'âge d'homme jusqu'à sa fin, intransigeant avec lui-même, un modèle de rectitude et de loyauté. J'ai dit que Brossolette avait vécu comme il croyait ; c'est le deuil de la France que, pour sa délivrance, il ait fallu qu'il meure comme il avait vécu et comme il avait cru ".

Léon Blum : "J’ai connu Pierre Brossolette quand il entrait à peine dans l’âge d’homme, j’ai vécu avec lui de longues années durant dans cette intimité particulière que crée la collaboration quotidienne au même journal. J’ai passé bien des jours avec lui dans les salles de rédaction du Populaire, bien de soirées et même bien des nuits au marbre de l’imprimerie. Plus tard, dans ma prison, j’ai suivi aussi minutieusement qu’il m’était possible, les traces de son infatigable, de sa dévorante, de son éblouissante activité. Quand je pense à lui et que j’évoque son image, c’est le trait qui me parait le plus frappant en lui, plus encore peut-être que ce courage léger, gai, juvénile qui le poussait jusqu’à une incroyable témérité. Je ne sais si de ma vie entière, j’ai jamais connu une (…) humaine d’un rendement égal au sien. Quel talent il a dépensé ainsi, avec une prodigalité insouciante. Il était de la race des plus grands journalistes, de ceux soi disant (…) traduit en réalité l’infinité de la culture, la promptitude et la sureté du jugement, la fermeté des conditions personnelles. De notre temps, la radio n’est plus séparable du journalisme écrit et le journaliste Pierre Brossolette devait en effet dans une des plus graves crises françaises, celle qui précéda Munich, tenir le micro de nos postes de État une lucidité, une présence d’esprit, un sens de persuasion et une intrépidité inoubliable."

Maurice Schumann : "En cette fin d'avril 1942, rares étaient les émissaires de la France militante et souffrante à la France libre et combattante, plus rares encore les privilégiés admis à leur serrer la main, à reprendre force en touchant leur vaillance. Quand on m'a dit que M. Bourgat m'attendait, je ne pensais point que M. Bourgat pût être un cacique de l'École Normale Supérieure et de l'agrégation d'histoire, un journaliste connu de tout Paris. un chroniqueur radiophonique dont le nom même avait suscité - je le savais - des inimitiés tenaces et des amitiés passionnées. Je savais que Pierre Brossolette plutôt que de prostituer sa plume ou de chercher un accommodement quelconque avec le malheur de la France, ou même de considérer d'un œil triste et passif le crépuscule de l'intelligence et de la liberté, avait, pour nourrir les siens, ouvert devant son vieux Lycée, une boutique de libraire. Je trouvais cela très bien, je ne pensais point qu'un homme aussi notoire pût risquer beaucoup plus : je ne connaissais pas Brossolette, du moins tel qu'il était. Je ne savais pas que l'épreuve de 1940, en asservissant la Patrie, avait libéré tout ensemble ce qu'il y avait de pire chez les mauvais et de meilleur chez les bons. Après avoir pendant cinq minutes écouté M. Bourgat, il me paraissait impossible de trop attendre de la France, il car il ne disait jamais " je ", il disait toujours " nous ", avec une sécheresse froide qui me donna d'emblée la certitude que " nous " voulait dire des millions. Son intelligence ordonna à mon enthousiasme, non pour le tempérer, mais, au contraire, pour l'exalter. Avant lui, je croyais à la flamme de la Résistance ; après lui, je crus à sa force ; avant lui, je croyais à la France fervente et fidèle, après lui, je crus à la France puissante dans son refus organisé, dans sa colère articulée, dans sa douleur combattante. Il me guéri du mythe de la grandeur morale pour m'ouvrir, comme disait le poète anglais, les portes d'or de la grandeur tout court... "

Philippe Soupault : "Je crois que Pierre Brossolette était non seulement un grand journaliste, mais le modèle de journaliste. Quand j’ai à juger un être, un évènement, quand j’ai à résoudre un cas de conscience, je ne puis m’empêcher de dire toujours : que dirait Brossolette ? Ces cinq années furent si lourdes d’angoisse, celles qui précédèrent la guerre et la catastrophe que chaque nuit. Chaque nuit travailler sur une salle de rédaction sous la même lampe, partageant le même encrier et formant une équipe avec celui qui fut un des plus sincères, un des plus lucides, un des plus grands journalistes de son temps, avec Pierre, avec celui que nous appelions affectueusement « Brosso ». J’ai été fier d’être son compagnon et de le voir travailler. J’admirais cette intelligence sans défaillance, cette force nerveuse, cette conscience et cette lucidité, qui nuit après nuit illuminait le travail souvent ingrat du journalisme quotidien et de notre besogne nocturne. On s’inclinait tout naturellement devant son jugement. Dans la salle de rédaction, aussi bien que dans l’atelier devant le marbre, il suffisait que Brossolette donna son avis pour que nous soyons tous d’accord. Je me suis souvenu avec quel respect le garçon de bureau, m’apportant une dépêche, me disait : Monsieur Brossolette vous fait dire qu’il faut la faire passer."


René Ozouf - Pierre Brossolette, Héros de la Résistance, librairie Gedalge, 1946
Site officiel Pierre Brossolette