"Hommage au général de Gaulle", Résistance, 2 mars 1943

Légende :

Publié sous le pseudonyme de Pierre Braud, au tout début du mois de mars 1943 dans le journal clandestin de zone nord Résistance cet article de Pierre Brossolette a pour objectif de présenter le général de Gaulle aux Français. Pour la plupart de ces femmes et de ces hommes soumis aux rigueurs de l’Occupation, le Général n’est encore qu’une voix. Il s’agit donc d’« incarner » cette voix avant de plaider pour l’union de toutes et de tous derrière l’homme du 18 Juin. Et ce, alors qu’à Alger, avec l’aide des Alliés, le général Giraud développe une alternative à la France Combattante.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Journal imprimé

Date document : 2 mars 1943

Lieu : France

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Analyse média

Alors qu’en Afrique du Nord une solution alternative à la France Combattante continue à se développer sous la houlette du général Giraud et avec le soutien, notamment, des Américains, Pierre Brossolette entreprend de présenter le général de Gaulle aux résistants de l’intérieur et, plus largement, aux Français de la zone nord. Il s’agit pour lui de faire passer ses compatriotes de l’« acte de foi », certes justifié par le « geste héroïque » du 18 juin 1940, à la « confiance raisonnée » sans laquelle rien ne sera possible à la Libération. Après avoir rappelé la lucidité du théoricien militaire Charles de Gaulle, Brossolette évoque son courage pendant la Grande Guerre et ses qualités de tacticien au cours de la campagne de France de 1940 – ce faisant, il annonce le résumé élogieux de la carrière militaire de De Gaulle jusqu'en juin 1940 présenté à la suite de son article.

Mais, explique Brossolette, non content d’avoir « relevé le drapeau de la France » à la fin du terrible printemps 1940, l’homme du 18 Juin est bel et bien un homme d’État. S’ensuit un savoureux portrait du Général tel qu'en lui-même, dans lequel apparaissent en filigrane certains des travers relevés par le même Brossolette dans sa lettre au général de Gaulle du 2 novembre 1942. Surtout, Pierre Brossolette assure à ses lecteurs que loin de n’être « qu’un splendide risque-tout », aux capacités politiques limitées et prêt à « mettre les armes françaises au service d’une nation étrangère », de Gaulle, « homme des grands refus », est et demeurera le garant de « la continuité française » envers et contre tout et tous. Il critique ainsi rudement le général Giraud (en se gardant toutefois de le nommer) et s’efforce de battre en brèche sa position.

Il présente ensuite une véritable défense et illustration de l'action gaullienne depuis près de trois années, fondée sur une vision de long terme, sur le souci de « maintenir la France » puis de la relever, et sur la volonté farouche de défendre la souveraineté nationale contre les Allemands, contre le pouvoir vichyste et, si besoin, contre les Alliés eux-mêmes, comme cela s’est produit au Levant, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Madagascar. Ce faisant, il justifie le tournant « politique » pris par la France Libre puis par la France Combattante.

Il conclut en affirmant sa conviction que l’homme du 18 Juin saura entreprendre « la reconstruction nationale » et profondément rénover la France. Ce rétablissement devra notamment s’effectuer via l’établissement d’institutions nouvelles dont les Français se doteront « librement », et en effaçant au passage « d’un trait de plume » l’oeuvre du régime de Vichy. Il ne sera possible qu’à condition que les combattants de la Résistance et, plus largement, les Français dans leur ensemble s’unissent et apportent sans compter leur soutien au général de Gaulle. Alors, annonce Brossolette, unie et forte des valeurs portées par la Résistance intérieure et par la France Combattante, une nouvelle France naîtra « dans un grand élan de recherche, de renonciation et de résolution ». On aura remarqué au passage la distinction opérée entre « France résistante » et « France combattante ». En prenant le contrepied du discours développé par le général de Gaulle, depuis le mois de juillet 1942, sur la France Combattante fruit de l’union de la France Libre et la Résistance intérieure, Pierre Brossolette souhaite vraisemblablement donner des gages à des résistants dont il a pu mesurer, depuis quelques semaines, le peu de goût pour la férule de Londres.

Voir la retranscription de l'article


Guillaume Piketty

Contexte historique

Pierre Brossolette rédige ce texte alors qu’il se trouve en zone nord pour sa deuxième mission clandestine, la mission Brumaire (27 janvier – 16 avril 1943). Avec le colonel Passy et l’agent du Special Operations Executive (SOE) Forest Yeo-Thomas, qui le rejoignent à Paris le 27 février 1943 peu après leur parachutage en France, il travaille à coordonner les activités de la Résistance de zone nord sous l’égide de la France Combattante. Cette mission est organisée selon trois axes : séparer le plus strictement possible dans l'activité des mouvements le renseignement, d’une part, l'action civile et militaire, d’autre part ; entreprendre un inventaire de toutes les forces résistantes, politiques, syndicales ou religieuses susceptibles de jouer un rôle dans le soulèvement national en vue de la Libération ; rechercher les cadres de l'administration provisoire qui prendra les commandes dès le départ des Allemands.

Tandis que Passy et Yeo-Thomas se concentrent davantage sur les enjeux paramilitaires et de renseignement, Brossolette se consacre à la dimension civile de l’action des résistants. Il convainc Passy d’ignorer les instructions gaulliennes du 21 février qui prescrivent de former directement un Conseil de la Résistance unique pour toute la France et comportant, outre les mouvements, des partis politiques et des syndicats. Tenant compte de l’hostilité aux partis manifestée par les organisations de résistance, les deux hommes forment un Comité de coordination (CCZN) limité aux cinq plus importants mouvements de la zone nord (Ceux de la Libération, Ceux de la Résistance, Front national, Libération-Nord, Organisation civile et militaire), qu’ils réunissent pour la première fois le 26 mars. Dans la foulée, ils rassemblent les responsables paramilitaires de ces organisations en un comité de coordination militaire officieux. Quelques semaines plus tard, sous l'impulsion de Jean Moulin, le CCZN fusionnera avec son homologue de zone sud pour former, avec le renfort d'hommes politiques et de syndicalistes résistants, le Conseil national de la Résistance (CNR). Celui-ci se réunira pour la première fois le 27 mai 1943. Au cours de la mission Brumaire, Pierre Brossolette ne manque pas de se faire l’ardent avocat du général de Gaulle auprès des résistants. Il publie notamment un « Hommage au général de Gaulle » dans le journal Résistance daté du 2 mars 1943. Sous-titrée « Le nouveau journal de Paris », cette publication clandestine a été fondée par Marcel Renet/Jacques Destrée. Son premier numéro est paru le 21 octobre 1942.


Guillaume Piketty