La Drôme en armes, n°4, 5 septembre 1944

Légende :

C’est le dernier numéro du journal créé par Louis Aragon.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Collection Jean Sauvageon, don de Liliane Gerin Droits réservés

Détails techniques :

Format 45 x 28 cm. Le journal compte 4 pages imprimées sur un papier devenu bistre.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Donat-sur-l’Herbasse

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Analyse média

C’est la Une du n°4 du 5 septembre 1944. Le bandeau indique que c’est un « Journal d’information française sous le patronage des Comités nationaux des écrivains et des journalistes ». Pour la première fois, plusieurs articles sont signés alors que pour les précédents numéros parus avant la Libération ils ne l’étaient pas. Les signataires, certains annoncés en première page, sont : Louis Aragon, Elsa Triolet, Andrée Viollis, Alain Borne, Julien Blachon, P. M. Dornic, "Laurent Daniel" (pseudonyme d’Elsa Triolet déjà employé pour Les Amants d’Avignon).

Louis Aragon et Elsa Triolet, réfugiés à Saint-Donat-sur-l’Herbasse, ont pris l’initiative de créer un journal. Ils ont fait appel à des résistants pour collecter les informations et rédiger des articles. Les quatre derniers numéros ont été composés et imprimés chez Albert Gerin à Romans.

André Gerin, le fils cadet de l’imprimeur, écrit : « Pour distribuer ce journal, nous avions des vélos avec cageots, et c’est sous la paille des lapins et des poules que nous effectuions nos livraisons à des endroits tenus secrets… » La distribution s’est faite aussi dans toute la Drôme, à l’aide d’une voiture, conduite par Pierre Lenoir, avec Louis Aragon, Elsa Triolet et Jean Bonfils.

Le premier numéro a été manuscrit et tiré sur un duplicateur dans une cabane de jardin à Saint-Donat et porte la date du 10 juin 1944. Le second, portant aussi le n° 1, imprimé, est daté du 10 juillet, le n° 2 du 1er août, le n° 3 du 26 août et le n° 4 du 5 septembre, la Drôme est alors libérée. Un supplément d’une page a été édité le 15 août 1944 pour annoncer le débarquement de Normandie.

Ce numéro 4 est un cri de victoire : TOUTE LA DRÔME EST LIBÉRÉE. Après les victoires de Montélimar, Romans et Valence, la 19e armée allemande s’enfuit vers Lyon.

L’éditorial, JUSTICE !, non signé est vraisemblablement rédigé par Louis Aragon, l’article relatant la mort de Jean Prévost aussi. Par contre, le poème Paris porte sa signature. Dans « Les routes de la Drôme », Elsa Triolet relate leur périple dans le département pour distribuer le n°3 de La Drôme en armes, du 26 août, en plein pendant la période de la libération, elle nous emmène à Chabeuil, Combovin, Gigors, au « PC départemental dans un château », à Saillans où ils rencontrent les Américains, à Dieulefit, à Nyons, ils passent à Valréas, à Montélimar et reviennent à Romans définitivement libre. Un autre article informe sur « les opérations militaires du 25 au 31 août ».

En page 2, l’article d’Elsa Triolet se poursuit, quelques « Échos » donnent des informations nationales. Un article de Julien Blachon, ancien maire de Saint-Uze, dans les années 1930, responsable communiste, met « Les paysans à l’honneur ».

En page 3, la situation à Montélimar est donnée par le poète Alain Borne, celle de Romans par P.-M. Dornic, professeur dans cette ville. Celle de Valence par « un de ses libérateurs », anonyme. L’article « Prisonniers allemands » est signé Laurent Daniel, c’est le pseudonyme déjà utilisé par Elsa Triolet pour son livre Les amants d’Avignon, en souvenir de Laurent et Danielle Casanova, victimes de la barbarie nazie. Un article apporte des précisions sur « l’épuration de la presse ».

En page 4, ce sont des « Nouvelles de la région » et de « Marseille par un de ses libérateurs ». Enfin, un encadré renferme deux contributions, une d’Andrée Viollis (journaliste et écrivain réfugiée à Dieulefit), l’autre de Georges Meyzargues (un des pseudonymes d’Aragon) sur le drame du « Docteur Bourdoncle » (à signaler la faute puisqu’il s’agit du Dr Bourdongle), un des « Martyrs et héros de la Drôme ».


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

Après le débarquement du 6 juin 1944 surtout, les mouvements de Résistance de la Drôme souhaitaient mieux informer la population en faisant imprimer des journaux. Parmi les titres, nous trouvons notamment Vercors, du Mouvement de libération nationale, Le Résistant de la Drôme, du Comité départemental de Libération, En avant ! FFI !, des FFI drômois, Le Patriote Romanais, du Front national. La diffusion de cette presse clandestine permettait de contrer la propagande vichyste répandue par les journaux autorisés à grand tirage, Le Petit Dauphinois et Le Nouvelliste, et par la radio. Le slogan diffusé par Radio-Londres était, à ce propos : « Radio-Paris ment… Radio-Paris est allemand ».

Plusieurs imprimeries dans le département avaient une double activité. Une était officielle, au grand jour, impression de documents administratifs, commerciaux, privés (faire-part, par exemple) pour laquelle elles avaient droit à des dotations en papier, encre, matériel. Certaines d’entre elles imprimaient des bulletins ou journaux d’information locaux, des publications d’annonces légales. Cependant, sous cette couverture officielle, plusieurs imprimeries avaient une activité clandestine et travaillaient pour la Résistance.

Néanmoins, après la Libération, une enquête a été diligentée pour connaître les activités de ces entreprises.

Pour sa défense, Albert Gerin, imprimeur à Romans-sur-Isère, déclare le 13 mars 1946 : " Pendant l'Occupation, comme tous les journaux, j'étais obligé de faire paraître des articles qui m'étaient inspirés par les fiches de documentation, il m'est arrivé de ne pas faire paraître de tels articles et, une fois, j'ai été suspendu pendant huit jours à titre de sanction. "
Mais sous cette couverture de journal plutôt collaborationniste, l'imprimerie Gerin a participé à l'impression clandestine de documents favorables à la Résistance. Dans le "questionnaire sur les journaux ayant paru sous l'Occupation", Albert Gerin répond : "En 1943-44, nous avons imprimé des milliers de cartes d'identité et fourni des faux tampons. En 1944, nous avons imprimé La Drôme en armes, Les Étoiles, Franc-Tireur, des tracts et des romans de la série Bibliothèque française. " Plus loin, il est indiqué : " Au moment de la Libération, à laquelle il a participé les armes à la main, ainsi que ses deux fils aînés (17 et 18 ans), il imprimait Le Franc-Tireur, La Drôme en armes ainsi que des tracts communistes ou autres. A créé lui-même la maquette du Patriote romanais et Péageois et a contribué activement à sa parution, en compagnie des membres du Front national local (Le Patriote R. & P. remplaçant Le Bonhomme Jacquemart). En est l'imprimeur dévoué. A aidé puissamment à relancer l'organe départemental du Parti communiste, La Voix Populaire qu'il imprime toujours. "

Face aux menaces de la part de la police, de la Milice, voire des Allemands, André Gerin décide de déplacer une presse à imprimer à pédale dans le cabanon d’un jardin de monsieur Gathier, à Saint-Donat-sur-l’Herbasse. Sur cette presse, on imprimait certainement les documents les plus compromettants.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Collection Jean Sauvageon, don de Liliane Gerin. DVD-Rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, édition AERI-AERD, 2007.