La Drôme en armes n° 1 du 10 juin 1944

Légende :

Le journal a été créé par Louis Aragon et Elsa Triolet. Le n° 1 du 10 juin 1944 a été manuscrit par Elsa Triolet et dupliqué dans une cabane de jardin à Saint-Donat.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Collection Jean Sauvageon Droits réservés

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Contexte historique

La Drôme en armes, un journal créé par Louis Aragon et Elsa Triolet.

Le premier, n° 1 daté du 10 juin 1944, écrit de la main d'Elsa, a été tiré à Saint-Donat. Mady Chancel témoigne qu'il a été confectionné à l'aide d'un matériel dissimulé dans une cabane de jardin discrète.
Le recto de ce premier journal, qui ne comporte qu'une page, est occupé par un éditorial, qui se poursuit au verso, et insiste auprès de ses lecteurs sur la nécessité de se comporter en soldats et en soldats français : respect des personnes et des biens de la population (hormis avec les traîtres avérés). Sobriété. Usage et manipulation stricts des armes ("nous avons eu plus de blessés par imprudence, du 6 au 10 juin, que dans les combats"). Deux autres titres suivis d'informations occupent ce recto : en bas, sur les deux premières colonnes ("Nouvelles de la Drôme") et, dans la troisième et dernière colonne, sur toute la hauteur de la feuille ("Nouvelles du second front"), qui traite du débarquement de Normandie, à partir, manifestement, des informations données par Radio-Londres.

Les quatre autres numéros sont imprimés, sur un recto-verso de format A3, pour les n° 1 (10 juillet) et 2 (1er août) et sur quatre pages pour les n° 3 (26 août) et 4 (5 septembre). Aucun article n'est signé, même dans le n° 3 qui se présente pourtant comme le "premier n° légal de La Drôme en armes , organe clandestin des écrivains et journalistes français", mais s'ouvre sur la nouvelle que Valence est encore occupée.

En revanche, dans le n° 4, beaucoup d'articles sont signés - et pour cause : les occupants sont partis et ne risquent plus de revenir. À Saint-Donat, début juin 1944, les conditions de sortie d'un journal sont difficiles : manque de papier, d'argent, de moyens de s'informer pour retransmettre l'information par le canal du journal, de moyens d'imprimer, obligation de se cacher pour gérer tout cela. Tout doit se faire par agents de liaison et par le bouche à oreille de préférence à l'écrit.

Et cependant la nécessité de tels journaux, pour la Résistance, est capitale, car la presse collabo (Le Petit Dauphinois notamment) et légale est toujours là, qui distille le poison de la propagande ennemie, de même que la radio sous contrôle allemand, même si les gens ne se privent heureusement pas d'écouter les radios libres ou la radio suisse (Sottens) qui diffuse les informations des deux camps. Mais si le contre-poison, par ce biais radiophonique, existe au niveau des informations internationales, rien de tel n'est possible, au plan national et surtout régional sans une feuille clandestine qui donne à la population des informations de proximité fiables et une aide pour analyser la situation. Et si la majorité de l'opinion penche nettement alors, et de plus en plus, pour la Résistance, la peur, la terreur entretenue par Vichy et les occupants, les aléas des actions de Résistance, les bombardements meurtriers de l'aviation anglaise et surtout américaine, la propagande démagogique de l'ennemi nécessitent absolument un contre-poids que ces journaux veulent fournir à la cause de la Résistance.

Analysons sommairement le n° 4. On y lit, puisque c'est le seul où certains articles sont signés, les noms du lieutenant-colonel "Legrand", d'Elsa Triolet, de L.(aurent) Daniel (son pseudonyme de Résistance), d'Andrée Viollis, Alain Borne, P.-M. Dornic, Aragon, Georges Meyzargues (un de ses nombreux pseudos). La Une rend hommage, au-dessous de l'éditorial, "Justice", non signé, mais certainement de la plume d'Aragon, à Jean Prévost, dans un article, après son assassinat, à Sassenage, mettant en parallèle son destin avec celui de F. Garcia Lorca, dont il avait été le traducteur.
La page quatre contient deux articles entourés d'un filet commun à propos du même fait : l'assassinat du docteur Bourdongle (orthographié Bourdoncle), de Nyons, le 19 mars 1944, en même temps que celui de six autres personnes. Le premier texte, d'André Viollis, raconte les faits, jusqu'à l'enterrement du docteur. Le second, signé "Georges Meyzargues", pseudo d'Aragon, raconte l'anecdote qui lui a servi de point de départ pour sa nouvelle " Le droit romain n'est plus ", la dernière du volume Servitude et grandeur des Français. Les deux textes d'Elsa, "Les routes de la Drôme" relate un des itinéraires entrepris, avec Pierre Lenoir pour chauffeur, le 26 août, pour diffuser le n° 3 de La Drôme en armes. Il illustre bien l'état d'inextricable enchevêtrement des forces combattantes à ce moment de la Libération : Romans, Chabeuil, Crest, Combovin, Gigors, le PC départemental du maquis à l'Escoulin, Saillans, Dieulefit, Nyons, Valréas, Bourdeaux, Montélimar, où ils sont témoins du rasage d'une vingtaine de femmes, Dieulefit à nouveau, Crest, Chabeuil, Romans enfin, où ils sont le 31.
Le récit par Alain Borne de la libération de Montélimar est aussi saisissant. De même que le récit par "L. Daniel" (Elsa) de son interrogatoire de deux officiers allemands prisonniers, parmi lesquels l'un, ne sachant qui est cette dame qui l'interroge, se vante de ses exploits sur le front russe, espérant peut-être ainsi se concilier son interlocutrice...

La Une comprend aussi le poème " Paris " dont c'est la première publication, écrit autour du 20 août. Et puis, en page quatre, cet écho de St Donat, daté du 28 août : " Ce matin a été célébrée la messe pour le repos de Jeanine Chancel, âgée de 13 ans et demi, fille du Président du Comité local de Libération et de Mme Jean Chancel.[...]. Le deuil de la petite Jeanine jette à Saint-Donat libéré, mais qui n'a pas oublié ses récents malheurs, une ombre sur notre victoire. Mais déjà cette enfant d'une beauté presqu'inhumaine à ses derniers moments rejoint l'histoire. Peut-être un jour, mieux qu'à présent, on contera sa légende, d'où l'horreur de l'invasion allemande sortira grandie ". Cela devait suivre sans tarder, avec le poème "D'une petite fille massacrée". Cette tragédie a hanté Aragon toute sa vie, comme en témoigne l'épisode de Simha dans Le Fou d'Elsa, en 1963.

Le journal était distribué dans toute la Drôme, avec une voiture conduite par Pierre Lenoir où prenaient place Louis Aragon, Elsa Triolet et Jean Bonfils.
Yves Farge a dit que c'était le meilleur journal de la Résistance qu'il lui avait été donné de lire.


Auteurs : Jean Sauvageon. Jean Albertini.
Sources : DVD-Rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, édition AERI-AERD, 2007.