Les éditions de Minuit

Légende :

Couverture du poème de Louis Aragon, Le Musée Grévin, publié clandestinement aux éditions de Minuit en octobre 1943 sous le pseudonyme de François la Colère. 
Dans l'album joint à cette notice, une sélection de couvertures est présentée.

Genre : Image

Type : Couverture

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé

Date document : 1943

Lieu : France

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Contexte historique

Fondées dans la clandestinité par Pierre de Lescure et Jean Bruller dit Vercors, les Éditions de Minuit sont la maison d'édition littéraire de la Résistance.

Pierre de Lescure fréquentait avant guerre les milieux intellectuels communistes, publiant dans leur revue, Commune, et dans leur presse. Est-ce une de ses connaissances, René Blech, qui le mit en contact avec les communistes ? Toujours est-il que c'est à lui que fut confiée la responsabilité de la réalisation du deuxième numéro de La Pensée libre. Georges Politzer, Jacques Solomon et Jacques Decour avaient accompli le tour de force de publier clandestinement le premier numéro de La Pensée libre, revue de quatre-vingt seize pages, en février 1941. Mais La Pensée libre, développant exclusivement les points de vue du Parti, apparaissait comme une revue trop militante. A Pierre de Lescure échut la tâche d'ouvrir la revue à d'autres influences. Très lié avec Jean Bruller, alors dessinateur satirique, critique spécialiste des éditions de luxe, Pierre de Lescure lui propose de rédiger à eux deux la prochaine livraison de la revue, seule solution pour convaincre de l'autonomie de l'entreprise les futurs rédacteurs qu'il ambitionne de recruter. C'est initialement pour une livraison de La Pensée libre que Jean Bruller rédige une nouvelle intitulée "Le silence de la mer". Le numéro de La Pensée libre patronné par Pierre de Lescure ne paraîtra jamais. La légende veut que les manuscrits en aient été brûlés lors d'une descente de la Gestapo à l'imprimerie. Il est plus probable que ce numéro iconoclaste a été refusé par les communistes, refus qui a poussé Pierre de Lescure à concevoir une entreprise clandestine encore plus audacieuse : une "vraie" maison d'édition, éditant sur du beau papier de beaux livres, se distinguant par le style et l'allure de ses  réalisations, des brochures militantes peu soignées mises en circulation par les Éditions clandestines du PCF-SFIC. Lorsque Pierre de Lescure informe son ami de cette nouvelle idée, et lui demande de l'aider de ses connaissances techniques, et de le mettre en contact avec les imprimeurs sûrs qu'il connaît, Jean Bruller est enthousiaste. C'est d'ailleurs lui qui trouvera le nom de la maison d'édition. Le 20 février 1942, les Éditions de Minuit  font paraître leur premier titre, Le Silence de la mer. Jean Bruller a pris un pseudonyme : il signe Vercors.

Les milieux littéraires sont épatés. D'abord par la qualité de la publication réalisée à la barbe de l'occupant. C'est Georges Oudeville, artisan-imprimeur de faire-part dont la boutique est située face à la Pitié, devenu hôpital militaire allemand, qui compose et tire Le Silence de la mer, avec une police prêtée par un de ses confrères maître-imprimeur, Ernest Aulard. Le tirage initial du volume appelé à devenir l'un des titres les plus célèbres de la bibliothèque clandestine, n'excède pas quatre cents exemplaires - et encore la moitié seront-t-ils saisis par les Nazis lors du passage de la ligne de démarcation. Les Éditions de Minuit, dont les volumes suivants seront pour l'essentiel imprimés par Ernest Aulard, demeureront jusqu'à la fin une structure très artisanale, un phénomène circonscrit à la zone occupée, à la fois parisien et international - un exemplaire du Silence de la Mer parvenu à Londres assurera dès l'automne 1942 la réputation mondiale de l'entreprise.

La parution du Silence de la mer est une date essentielle dans la résistance des intellectuels. Ce texte rend exemplaire une "résistance civile" (Jacques Sémelin) plus facilement praticable que la résistance armée à l'occupant. Pour conserver leur dignité, les Français se doivent de limiter leurs échanges avec les Allemands au strict nécessaire, en ne leur adressant pas la parole par exemple comme dans le livre. Écrit dans un style classique, Le Silence de la mer montre également qu'il est possible de faire une littérature engagée, tout en respectant une esthétique de la forme, et ainsi de ne pas sacrifier l'autonomie de la littérature aux nécessités de la propagande. Enfin, paraissant en février 1942, au moment où les Allemands durcissent nettement le système de censure instauré par eux avec la collaboration du Syndicat des éditeurs à l'automne 1940 (listes Otto), Le Silence de la mer  illustre et rend possible le passage à la clandestinité. Les ennuis de Pierre de Lescure avec la Gestapo au printemps 1942, vont le tenir éloigné de Paris au moment où il est capital d'alimenter en textes les Éditions de Minuit afin qu'elles ne soient pas obligées d'interrompre leur activité. Un second volume, émanant du catholique Jacques Maritain exilé aux Etats-Unis, À travers le désastre, est programmé. Mais ensuite ? En l'absence de Pierre de Lescure et à ce stade essentiel de leur développement, Jean Paulhan, l'ex-directeur de la Nouvelle Revue Française, la plaque tournante du milieu littéraire parisien, contacté par Jean Bruller-Vercors, va prendre les Éditions de Minuit sous sa protection, et leur faire passer des textes d'écrivains dont il connaît les convictions patriotes. De retour à Paris à l'automne 1942, Pierre de Lescure -auteur Gallimard avant guerre sans avoir jamais fait partie du "clan" Paulhan- n'apprécie guère cette orientation et le troisième volume des Éditions de Minuit, Chroniques interdites (avril 1943), recyclage d'articles refusés initialement destinés à un numéro des Lettres françaises clandestines. Lorsque Pierre de Lescure quittera définitivement Paris en juin 1943, c'est au poète communiste Paul Eluard qu'il demandera expressément de prendre la direction des Éditions de Minuit. Grâce à l'appui croisé des réseaux communistes et de la mouvance Gallimard, les Éditions de Minuit parviendront à la fin de la guerre avec un catalogue de vingt-cinq plaquettes signées par certains des grands noms de la littérature française : Louis Aragon, Paul Eluard, François Mauriac, André Gide pour ne citer que quelques noms. Malgré la brouille définitive des deux fondateurs en 1945, du départ de Jean Bruller-Vercors de la direction de la maison en 1948, d'une faillite chronique jusqu'en 1962, les Éditions de Minuit sont la seule entreprise culturelle née dans la Résistance à être encore aujourd'hui en activité.


Anne Simonin in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Bibliographie :
Vercors, La Bataille du Silence, Paris, Les Editions de Minuit, 1992 et À dire vrai. Entretiens avec Gilles Plazy,Paris, Editions François Bourin, 1991.
Anne Simonin, Les Editions de Minuit : le devoir d'insoumission 1942-1955, Paris, IMEC Éditions, 2002.