Fiche de la Surveillance du Territoire relative à Stéphane Fuchs

Légende :

Fiche est extraite d'un dossier relatif à l'affaire Jekiel traitée par les Brigades de surveillance du Territoire de Marseille et d'Alger et par le Bureau des menées antinationales (service de contre-espionnage du gouvernement de Vichy). Voir également l'album joint.

Genre : Image

Type : Dossier d'enquête

Source : © Service historique de la Défense, 28P9/60 Droits réservés

Détails techniques :

Documents dactylographiés

Date document : Septembre 1941

Lieu : France

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Analyse média

Cette fiche est extraite d'un dossier relatif à l'affaire Jekiel traitée par les Brigades de surveillance du Territoire de Marseille et d'Alger et par le Bureau des menées antinationales (service de contre-espionnage du gouvernement de Vichy). Cette fiche mentionne l'appartenance de Fuchs à l'Intelligence Service et au Service de renseignements interallié. Elle signale également qu'il a été arrêté pour espionnage. La fiche renvoie ensuite au dossier relatif à l'affaire Tadeusz Jekiel. Ce dossier montre la surveillance exercée sur Jekiel et Fuchs, les filatures dont ils sont victimes et les arrestations qu'elles ont engendrées.

Dans l'album joint à cette notice sont présentés plusieurs documents extraits de ce dossier :

- Fiche de synthèse datée du 2 août 1941 relative à Tadeusz Jekiel et Stéphane Fuchs. Ce document signale entre autres le départ de Fuchs pour Alger le 5 août 1941, son arrivée le 7 et son hébergement au Grand Hôtel Arago.

- Note établie à partir de renseignements communiqués par la BST d'Alger (1er septembre 1941). Il y est fait mention d'un voyage de Fuchs à Oran du 10 au 15 août puis du 20 au 23 août 1941.  Lors de ce dernier voyage, il a notamment rendu visite au Dr Sollal (signalé par la BST comme « juif gaulliste »). Le rapport signale également que "Fuchs a acheté à Alger une carte du fort d’Oran et a à plusieurs reprises paru s’intéresser aux yachts de plaisance du port d’Alger".

- Retranscriptions de télégrammes échangés entre Fuchs et Jekiel et interceptés par la BST d'Alger

- Note du 3 septembre 1941 signalant le retour de Fuchs en France : "Fuchs est rentré à Marseille parce qu'il s'est rendu compte qu'il était surveillé".

Les autres pièces du dossier apportent de précieux renseignements sur le rôle de Fuchs au sein de l'organisation, sur ses liens avec Jekiel... En voici les principaux éléments : 

Rapport BST Marseille du 2 décembre 1941 (extraits) : "Des indications qui nous ont été fournies par le commissaire principal Léonard de Marseille, il semble que cette affaire, d’une importance indéniable, puisse se diviser en deux parts distinctes. D’une part, une organisation purement gaulliste, travaillant pour la France libre, et dont le principal membre doit être le Dr Fuchs, arrêté à Marseille, d’autre part une branche importante du SR polonais à Londres, travaillant au bénéfice du gouvernement polonais à Londres, dont l’animateur est Jekiel. (…) Le seul élément connu de nous actuellement en outre des déclarations de Jekiel, est le fruit de filatures effectuées par nous lors du séjour de Jekiel et Fuchs à Alger au mois d’août 1941. Ce sont les contacts pris par les deux inculpés. Il se trouve que ces contacts sont presque exclusivement en milieux polonais, y compris l’Office polonais 29 rue du maréchal Soult, dont nous ignorons la situation juridique quant au bénéfice du droit d’exterritorialité.

Déclarations de Jekiel du 2 décembre 1941 (extraits) : "C’est à Marseille ou à Nice que Fuchs m’a été présenté, je crois. Fuchs savait que j’étais Polonais. Il m’a dit qu’il avait l’intention de quitter la France pour aller se battre contre les Allemands. Je lui ai dit qu’on pouvait très bien se battre contre les Allemands tout en restant en France. J’ai fait connaître à Fuchs que je cherchais des renseignements militaires et politiques contre les Allemands sans entrer en détails. Il a alors accepté de travailler avec moi et m’a demandé quel serait son rôle dans cette affaire. Je lui ai répondu que je lui ferais tout d’abord faire le courrier, c’est-à-dire lui faire porter des lettres à des adresses que je lui indiquerai. (…)
J’ai fait la connaissance de Fuchs vers le mois de janvier 1941. Fuchs a fait le courrier pour moi de février à avril environ. Il se rendait pour moi une fois par semaine à Vichy, chaque fois en principe avec le courrier. Il était également chargé par moi de recevoir à Vichy des lettres qui m’étaient destinées. Vers le mois d’avril, Fuchs m’a dit que ce n’était pas pour assurer le service du courrier qu’il était resté en France et m’a demandé un travail plus intéressant pour lui. Je dois vous dire que jusque-là Fuchs me fournissait quelques renseignements d’ordre militaire mais qui ne présentaient pas un très grosse importance. C’est donc à cette époque que j’ai demandé à Fuchs s’il ne voulait pas se rendre en zone occupée et notamment à Paris pour y recueillir sur les Allemands des renseignements de tous genres. Il a accepté et il est allé. Sa mission consistait à se renseigner sur les troupes allemandes, les champs d’aviation, les bases navales, etc. Fuchs a accepté avec joie, car le voyage lui permettait également de voir son fils à Tours. Il est resté absent environ 10 jours et en revenant il m’a apporté des informations assez intéressantes, et m’a signalé en même temps qu’il avait en zone occupée plusieurs amis qui, pendant son absence chercheraient des informations du même genre. Fuchs est allé en zone occupée 4 ou 5 fois pour moi. Je lui remboursais les frais qui s’élevaient généralement pour chaque voyage à la somme de 3 ou 4000 francs. A part les frais touchés, il ne touchait de moi aucune rémunération.

Je sais que Fuchs rencontrait des gens appartenant au mouvement « France libre » mais sans aucune précision. Je lui ai d’ailleurs fait des reproches à plusieurs reprises à ce sujet, lui disant qu’il se mêlait à une affaire qui à mon sens n’était pas sérieuse, ajoutant que cette activité pouvait être nuisible à la mienne. (…) Je sais que Fuchs ne travaillait pas seul et qu’il avait plusieurs amis qui l’aidaient. (..)

Un autre ami était le docteur Marion Gallois, 26 boulevard d’Athènes à Marseille. Il m’a été présenté par Fuchs au mois de juin ou juillet 1941 au café « Brûleur de loup » qui d’ailleurs a été le lieu de rendez-vous de Fuchs et ses amis. (…) Je savais que Fuchs avait monté une revue « La France médicale » dont l’adresse était celle de Gallois et que pour écrire à Fuchs il fallait s’adresser à la France médicale, 26 boulevard d’Athènes à Marseille. (…)

Lorsque j’ai décidé de quitter la France et après avoir reçu l’autorisation de mon gouvernement, Fuchs m’a demandé l’autorisation de m’accompagner. C’est lui qui m’a procuré le passeport dont je suis porteur au nom de Jequel Thomas. Je ne sais pas comment il a pu se procurer le passeport, mais je suppose qu’il a pu l’obtenir par le mouvement « La France libre ».

Dans sa déclaration, Tadeusz Jekiel insiste sur le fait que toute son activité était dirigée contre les Allemands, qu'il n'a accepté cette mission que sous cette condition et qu'il ne comptait rien entreprendre contre la France. Il relativise le rôle de Fuchs au sein de son réseau, se contenant de donner des informations que les enquêteurs avaient déjà obtenues par leurs filatures et enquêtes. Il ne donne aucune indication sur les contacts de Fuchs extérieurs au réseau de Jekiel.


Rapport BST Marseille du 4 décembre 1941 (extraits) : « Fuchs Stephan paraît avoir été spécialement chargé d’établir une liaison constante entre les dirigeants de groupements similaires disséminés tant dans la Métropole que dans les Colonies. On le retrouve en AFN, à Paris, à Marseille, à Nice, à Vichy où il rencontrait notamment le nommé Mouzillat, inspecteur de police spéciale, détaché à l’ambassade des Etats-Unis à Vichy, agent important du SRI, arrêté dans cette dernière ville. Lors de son arrestation, le Dr Fuchs était sur le point de se rendre en AFN. Nanti de fausses pièces d’identité aux noms de Fabre Sylvain et de Achard Etienne, il voyage, selon ses dires, pour la réalisation d’une revue dite « France Médicale » dont il installe les bureaux au domicile de son ami, le Dr Marion Gallois. La revue « France médicale » n’a qu’une existence fictive. C’est en réalité la dénomination sous laquelle les agents de cette organisation adressaient leur courrier. Le docteur Fuchs s’est occupé, ainsi qu’il l’a reconnu, de regrouper toutes les associations et organisations telles que "Liberté", "Vérité", "Les Petites ailes" en vue de coordonner leurs efforts.

D’autre part, de la documentation saisie, il ressort que le docteur Fuchs était également chargé de recueillir des renseignements sur l’état d’esprit de la population en AFN et notamment au Maroc. Il s’informait sur ce qui se passait en zone occupée et se documentait sur le stationnement de nos troupes en AFN. Enfin, il a pu être établi que Fuchs était le principal agent de renseignements du nommé Jekiel Tadeuz, alias Jequel Thomas, officier polonais, chargé par le SR polonais de Londres de missions d’ordre militaire, économique et politique en France occupée et inoccupée. Fuchs n’ignorait pas la qualité de Jekiel et lui a procuré une carte d’identité et un passeport français au nom de Jequel Thomas. Dans la documentation trouvée sur Jekiel, Fuchs est inscrit comme agent sous le n°1800 et 1801. Jekiel, arrêté à Alger, a reconnu qu’il remboursait tous les frais de mission de Fuchs."


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Service historique de la Défense, 28P9/60

Contexte historique

Mobilisé le 12 septembre 1939 à l’ambulance médicale d’armée n°93 de Marseille, Stéphane Fuchs est ensuite transféré comme médecin-lieutenant au 6e régiment de tirailleurs marocains le 11 janvier 1940. Démobilisé le 5 septembre 1940 à Bourg, il rejoint la Résistance dès la fin de l’année 1940. Officier des FFL, il s’engage comme agent de renseignement au sein du réseau franco-polonais F2 sous le pseudonyme "Gynécologue". Ses activités clandestines le conduisent alors à Nice et à Marseille où il est arrêté le 22 décembre 1941. Jugé par la section spéciale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, il est condamné à trois ans de prison le 10 mars 1942. Il arrive à Eysses le 15 octobre 1943 après avoir été incarcéré à Aix , au fort Monluc à Lyon puis à Nîmes.


Fabrice Bourrée