Le rapport "Catilina" : des services allemands bien renseignés

Légende :

Introduction du « Rapport  final » rédigé par Ernst Dunker-Delage (SIPO-SD de Marseille) à propos de la répression de la levée en masse et des maquis de juin 1944 dans les Bouches-du-Rhône (traduction)

Genre : Image

Type : Rapport

Source : © Archives nationales 72 AJ 104, A III 7 bis Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié.

Date document : 6 juillet 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le rapport Catilina a été rédigé en juillet 1944 par Ernst Dunker-Delage (SIPO-SD de Marseille). Destiné à sa hiérarchie, il fait le point sur l’action menée par les occupants (principalement les services du SIPO-SD) contre la Résistance et les maquis en juin 1944, dans la région de Marseille.
Il est organisé en courts paragraphes numérotés, de 1 à 39. Chacun d’entre eux a trait soit à un résistant arrêté (les numéros de 1 à 15 et de 17 à 25) ou repéré et recherché (numéros de 26 à 39), soit à une opération contre le maquis (numéro 16). Quelques brefs développements (dont le numéro 16) établissent des bilans partiels des opérations. Le rapport se clôt par une synthèse sur les maquis.

L’introduction de ce rapport, reproduite ici, attire l’attention sur l’importance des informations fournies par l’agent Érick. Elles concernent d’abord deux groupes des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Le premier est désigné par Dunker comme « giraudistes GAM – Groupes d’action militaire ». Il s’agit de l’ORA, Organisation de Résistance de l’armée, effectivement giraudiste, composée essentiellement d’anciens militaires. Le second est issu des MUR (Mouvements Unis de Résistance, devenu MLN - Mouvement de Libération nationale). Catalogué ici comme « gaulliste », il est, dans la région, de sensibilité socialiste.

Érick donne également toutes précisions sur les plans de guérilla généralisée (Plan rouge) et sabotage (Plan vert) que la Résistance entend mettre en œuvre. Il confirme l’imminence du débarquement allié en Provence, dans le Var et plus précisément « dans la région de Fréjus et Saint-Raphaël ». 


Robert Mencherini

Contexte historique

Le nom « Catilina » donné par Dunker-Delage à ce rapport, « en souvenir d’un traître de l’époque romaine », met en évidence la source sur laquelle il se fonde : les informations fournies par l’agent Érick. Celui-ci, en effet, de son nom véritable Maurice Seignon de Possel-Deydier, est, au départ, un agent de la France libre, connu dans la Résistance sous le pseudonyme de Noël. Parachuté en France, en provenance d’Alger, chargé en particulier de l’instruction au sein des maquis, il prend contact à Marseille, en mai 1944, avec les services du SIPO-SD et rencontre Dunker. Il lui propose de fournir, contre forte rétribution, des renseignements sur « ses chefs et camarades ». Les informations qu’il donne, le 6 juin, permettent, le lendemain, l’arrestation à Marseille d’André Gérard, premier maillon d’une chaîne répressive qui s’étend à l’ensemble du département, en passant par Martigues, Salon-de-Provence, La Motte-d’Aigues (en Vaucluse) et Marseille, de nouveau. Elle conduit jusqu’au maquis de la Chaîne des Côtes qui, le 13 juin, est annihilé dans le sang.  De plus, les documents saisis et les interrogatoires ont permis de repérer, de mieux connaître, parfois d’identifier une quinzaine de responsables de la Résistance.

Le bilan que tire Dunker de cette opération, au début juillet 1944, est donc extrêmement positif. Ainsi qu’il le note, les renseignements fournis par Érick ont été, de ce point de vue, fiables et très utiles. À une exception près - et de taille - celle du débarquement qui n’a pas eu lieu.

Il est nécessaire d’apporter de fortes nuances à ce satisfecit. Tous les maquis du département n’ont pas été massacrés. Certains (comme ceux du Ligourès, de la Trévaresse, de Vauvenargues) ont pu se replier en assez bon ordre, avant même les ordres nationaux et régionaux qui parviennent dès la deuxième quinzaine de juin. C’est le cas, par exemple du télégramme du général Koenig diffusé à partir du 10 août : « Freinez au maximum activité guérilla - Impossible actuellement vous ravitailler en armes et munitions en quantité suffisante – Rompre partout contact dans la mesure du possible pour permettre phase de réorganisation… ».  Dunker lui-même dans sa conclusion « Généralités sur les maquis », signale ces replis. Les réticences déjà signalées des courants FTPF et MUR-MLN ont également joué pour limiter les pertes et éviter des engagements irréversibles.

Il est vrai toutefois que cet épisode a des conséquences importantes au sein de la Résistance régionale, qui sort divisée de cette épreuve. Sapin persiste à maintenir son PC dans les Alpes et à vouloir favoriser le développement des maquis alpins. Rossi, Levallois, lui reproche cette attitude et finit par destituer Lécuyer de son commandement FFI. Il en informe tous les responsables départementaux FFI, par une note dont l’intéressé prend connaissance entre le 20 et le 25 juin et qu’il n’admet pas. Il existe donc bien une rupture au niveau du commandement FFI régional.

Pour terminer sur le rapport Catilina, signalons que Érick ne touche pas les dividendes de sa trahison. Il est assassiné, sur le chemin des Baumettes, au début du mois d’août par Dunker et ses hommes.


Auteur : Robert Mencherini

Sources :
Archives nationales, 72 AJ 104, le Kommandeur de la SIPO et du SD de Marseille, « Rapport final (…) Affaire Catilina », Marseille, 6 juillet 1944, signé Dunker, SS Scharführer ;

Archives départementales, 58 W 20, rapports d’interrogatoires de Ernst Dunker-Delage, mai-juillet 1945 ;

Sapin (Jacques Lécuyer) et quelques autres, Méfiez-vous du toréador, Toulon, AGPM, 1987 ;

Henri Noguères, en collaboration avec Marcel Degliame-Fouché, Histoire de la Résistance en France, tome 5, juin 1944-mai 1945, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 147 ;

Robert Mencherini, Résistance et Occupation, 1940-1944, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 3, Paris, Syllepse, 2011, p. 541-543.