Les arrestations des membres de la mission interalliée Michel, juillet 1944

Légende :

Interrogatoire de Ernst Dunker-Delage par le principal chef de la BST de Marseille, à propos de l'affaire "Antoine" (extrait), 9 juillet 1945

Type : Procès-verbal

Source : © AD Bouches-du-Rhône 58 W 20 Droits réservés

Détails techniques :

Transcription de document.

Date document : 9 juillet 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

En 1943-1944, le sergent-chef allemand Ernst Dunker, dit Delage, membre de la section IV du service de renseignement (SD) de Marseille, joue un rôle essentiel dans la répression de la Résistance régionale. Arrêté après la Libération, il est interrogé par la brigade de surveillance du territoire. Des questions très précises lui sont posées à propos des trois rapports « Flora », « Catilina » et « Antoine » qu’il a rédigés et dans lesquels il fait le point sur les arrestations des résistants. L’extrait reproduit ci-dessus évoque le rapport « Antoine », rédigé le 11 août 1944, et plus particulièrement son point 15 qui concerne le résistant Henry Chanay (écrit ici « Chenay »). Celui-ci figure dans la « première liste du rapport « Antoine », reproduite et analysée dans une précédente notice (cf. aussi "médias liés"). De fait, la déclaration de Dunker permet de reconstituer tout le cheminement qui conduit à la capture, par les services allemands, de la Mission interalliée Michel. Les opérations commencent avec les arrestations à Marseille, près du café des Danaïdes, d’Henry Chanay, Michel, chef de cette mission et de son adjoint, Michel Lancesseur, Victor (écrit ici « Lesueur »). Elles se terminent avec l’interpellation à Saint-Tropez du capitaine américain Jean-Maurice Muthular d’Errecalde, Lucas, en compagnie de François Pelletier, Ruben.

La graphie originelle des noms a été respectée dans cet extrait où ont été corrigées simplement quelques fautes d’orthographe d’usage et parfois la ponctuation. 


Robert Mencherini

Contexte historique

Le rôle de la Mission interalliée évoquée par Dunker-Delage lors de son interrogatoire était de préparer les opérations du débarquement à venir et d’encadrer, du moins d’aider, les maquis en cours de constitution. Elle devait travailler en lien étroit avec les organisations de Résistance et avec le Délégué militaire régional (DMR) qui représentait les autorités d’Alger en Provence (région R2), Louis Burdet, dit Circonférence.

La Mission interalliée Michel regroupait cinq hommes formés au Club des Pins à Staouéli, près d’Alger : son chef Henry Chanay, Michel, Emmanuel ou Grand Michel (du fait de sa haute taille), officier d’artillerie coloniale, deux autres officiers français, Michel Lancesseur et Henri Rosencher, le major britannique (écossais) Alastair Hay, Edgar, et un capitaine américain. Ce dernier ne put être parachuté en Vaucluse, à la fin mars ou au début avril 1944 en même temps que Chanay, Lancesseur et Alastair Hay. Henri Rosencher fut débarqué plus tard, le 24 mai 1944, près de Saint-Tropez sur la base Karikal aménagée par François Pelletier, autre officier en mission, parachuté en Provence au début mars 1944. Un officier américain, Jean-Maurice Muthular d’Errecalde, Lucas, rejoignit la mission après son parachutage en France, le 13 juin 1944.

Ernst Dunker-Delage a été informé de l’arrivée dans la région de cette mission par Maurice Seignon de Possel-Deydier, Noël pour la Résistance, Erick pour la Gestapo. Celui-ci, formé en même temps que ces agents qu’il dénonce, a été parachuté en France au début janvier 1944. Mais il a très rapidement proposé, contre rémunération, ses services à la Gestapo. Cette trahison explique que les membres de la Mission interalliée soient recherchés par les services allemands depuis la mi-juin.

Henry Chanay et les membres de la mission prirent contact avec la Résistance et participèrent aux combats de juin, lors de la mobilisation qui accompagna le débarquement en Normandie et se termina par une sanglante répression. Henri Rosencher rejoignit le Vercors et le major Alastair Hay fut tué, le 13 juin, lors des affrontements, près de Barcelonnette : Érick en informa Dunker, et la nouvelle fut confirmée, après son arrestation, par Henry Chanay. Muthular d’Errecalde, semble-t-il, avait comme mandat de préconiser un repli en bon ordre des maquis. Des tensions avaient pu naître, à ce propos, avec Henry Chanay. C’est du moins ce que laissent entendre les déclarations de Dunker-Delage. C’est sans doute aussi ce qui explique que Lucas gagna Saint-Tropez, à la mi-juillet, en attente d’un départ vers la Corse et Alger, pour y expliquer de vive voix son rapport sur la situation en Provence. François Pelletier, Ruben, y organisait les passages pour la Corse en vedettes rapides.

Mais les arrestations d’Henry Chanay et de Michel Lancesseur le 15 juillet, à Marseille, près du café des Danaïdes, provoquèrent la chute de l’ensemble de la mission. Le chef de la Mission interalliée et son adjoint avaient rendez-vous, dans ce café, avec Robert Rossi, alias Levallois, chef régional des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Le rendez-vous, selon les déclarations de Dunker-Delage, avait été découvert par un message saisi dans une boîte aux lettres. Chanay devait également rencontrer, plus tard, le DMR Circonférence qu’il avait d’ailleurs temporairement remplacé lors d’une brève incarcération de ce dernier. Au grand dépit de Dunker, Circonférence ne fut pas interpellé. 

Dunker-Delage fut accompagné pour l’opération aux Danaïdes par deux agents français, membres du Parti populaire français (PPF), rémunérés par les services allemands. L’un d’entre eux, Antoine Tortora, fut tué, le 17 juillet, dans un combat de rue avec la Résistance à Aix-en-Provence.

Après leur interpellation, Henry Chanay et Michel Lancesseur furent conduits au 425 rue-Paradis, siège de la Gestapo et interrogés. Dunker, apprenant que d’Errecalde était à Saint-Tropez, y dépêcha Seignon de Possel-Deydier. Les renseignements fournis par ce dernier permirent l’arrestation, le 24 juillet, et le transfert à Marseille de Jean-Maurice Muthular d’Errecalde, Lucas, du radio Paul Paoli et de François Pelletier, Ruben.

Henry Chanay fut fusillé à Signes le 18 juillet 1944 et, très vraisemblablement, Michel Lancesseur partagea, ce jour-là, le destin tragique de son chef. Jean-Maurice Muthular d’Errecalde et François Pelletier furent exécutés dans le même vallon le 12 août 1944.


Auteur : Robert Mencherini

Sources : DAVCC Caen, dossiers de Mort pour la France ; DAVCC Caen, 27 P 45, livre de saisies de la police de sécurité (SD), Marseille, commencé le 14 juin 1943 (avec jour d’inscription : Tag der Eintragung) ; archives nationales 72 AJ 104, AIII 7 bis, le Kommandeur de la SIPO et du SD de Marseille, « Rapport final sur l’identification d’un groupe de Résistance de Marseille par le Kommandeur de Lyon dans l’affaire “industriel”. L’affaire Antoine », Marseille, 11 août 1944 ; Vérité, organe du mouvement de libération nationale, 1944-1945, en particulier les numéros 1 et 42 ; presse quotidienne régionale, septembre 1944 ; Antoine Pelletier, Autrement qu’ainsi, Paris, Éd. Quintette, 1991 ; Henri Rosencher, Le sel, la cendre et la flamme, Paris, Kiron-Éditions du Félin, 2000, pp. 245, 253 et sq. ; Sapin (Jacques Lécuyer) et quelques autres, Méfiez-vous du toréador, Toulon, AGPM, 1987, pp. 294 et 336 (témoignages du sous-lieutenant Granier, alias Nicole, et du sous-lieutenant Cheylus) ; Jean Garcin, De l’armistice à la Libération dans les Alpes de Haute-Provence, 17 juin 1940-20 août 1944, Digne, Imprimerie Vial, 1983, réed. 1990, p. 218, p. 321 et sq. ; Madeleine Baudoin, Témoins de la Résistance en R2, intérêt du témoignage en histoire contemporaine, thèse de doctorat d’État, Université de Provence, 1977 ; Arthur Layton Funk, Les Alliés et la Résistance. Un combat côte à côte pour libérer le Sud-Est de la France, Aix, Édisud, 2001, trad. Christine Alicot (ed. originale, Hidden Ally, Westport, Greenwood Press, 1992), pp. 24-27 ; Jean-Marie Guillon, La Résistance dans le Var, essai d’histoire politique, thèse de doctorat d’État, dir. Émile Temime, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1989 ; Robert Mencherini, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 3, Résistance et Occupation, 1940 - 1944, pp. 506-508, tome 4, La Libération et les années tricolores, Paris, Syllepse, 2014, pp. 58-60.