Le brassard, fragile rempart contre le statut de hors la loi

Légende :

Brassard d'un combattant des Forces Françaises de l'Intérieur du secteur de Rouen, fabriqué localement.

Genre : Image

Type : Brassard

Source : © Collection Gilles Chapin Droits réservés

Date document : 1944

Lieu : France - Normandie (Haute-Normandie) - Seine-Maritime - Rouen

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Analyse média

Bien des maquisards n'ont pas reçu le brassard "réglementaire", parachuté par les services du Comité français de la Libération nationale en 1944. Ils ont donc fabriqué eux-mêmes leurs brassards.

Celui-ci reprend les caractéristiques du brassard réglementaire (trois couleurs et croix de Lorraine) et y ajoute le sigle des "Forces françaises de l'intérieur", enchâssé dans le V de la victoire. D'autres maquis se montreront plus particularistes, substituant au sigle FFI celui de leur formation (ce qui renvoie au fait que l'unification des différentes groupes dans les FFI était très relative, même à l'été 1944). Parfois, la croix de Lorraine était absente, ce qui pouvait manifester le refus d'une allégeance inconditionnelle au général de Gaulle pour l'après-libération (puisque cet emblème était celui de la France libre depuis 1940).

Retrouvez l'histoire des brassards FFI dans l'exposition virtuelle qui leur est consacrée

Les brassards de la Résistance


Bruno Leroux

Contexte historique

En vertu de l'armistice signé par le gouvernement français en 1940, les Français prenant les armes contre l'occupant étaient considérés par celui-ci comme des "francs-tireurs", et donc passibles automatiquement de la peine de mort.  Le Comité français de la Libération nationale a tenté de protéger les résistants en les faisant rentrer dans le cadre énoncé à l'article 1 de la convention de La Haye de 1907 sur les droits des populations en temps de guerre: cet article autorisait à considérer comme des combattants réguliers les groupes de civils dotés d'un chef, d'un insigne reconnaissable, portant ostensiblement une arme et respectant les lois de la guerre. D'où la recommandation du port du brassard faite aux Forces Françaises de l'Intérieur. Cela n'a pas empêché les Allemands d'exécuter sommairement de très nombreux FFI en 1944, considérant qu'ils ne rentraient pas dans ce cadre légal.

Voici la genèse, encore peu connue, de l'adoption du brassard. Dès l’automne 1943, le War Office britannique  se préoccupe de la question de la reconnaissance de la qualité de belligérant aux « civils prenant les armes pour aider à la libération de leur pays » . La solution préconisée est de les équiper de brassards même si « personne ne sait quelle protection cela leur accordera » . Cependant, l’Etat-major allié s’oppose catégoriquement à l’envoi de brassards en France aux patriotes se trouvant derrière les lignes ennemies, considérant que le brassard n’est pas une protection suffisamment efficace.

A partir du mois d'avril 1944, les télégrammes provenant de France et à destination de Londres insistent sur le nécessité de munir les FFI d'un signe de reconnaissance, brassard ou insigne. Le BCRA puis l’état-major FFI du général Koenig mettent tout en œuvre pour parvenir à doter les résistants d’un signe de reconnaissance. Ainsi le 22 avril 1944, un concours est ouvert à Londres pour la création d’un brassard des FFI qui devra comporter : « l’insigne tricolore, la croix de Lorraine et un écusson blanc dans lequel le destinataire pourra mettre une inscription de son choix telles que 12e région, Haute-Savoie… ».

Le 13 juin 1944, le SHAEF accepte d'équiper les FFI de brassards. Le 19 juin, le général Koenig annonce par télégramme au général Cochet que le brassard des FFI a été adopté. La première commande est alors envoyée à l’intendant général d’Alger pour la fabrication de 50.000 brassards qui seront à livrer aux Services spéciaux d’Alger. En parallèle, Londres lance également la fabrication de brassards. Le premier parachutage de 14.000 brassards a lieu le 24 juin 1944. Les services d'Alger semblent se cantonner principalement à la partie sud du territoire alors que les brassards de Londres vont être répartis sur une grande partie de la France. Pour pallier l'insuffisance du nombre de parachutages de brassards, certains maquis ou unités FFI fabriqueront leurs propres brassards plus ou moins inspirés des modèles réglementaires.

En France occupée, les premières consignes sur la conception des brassards émanent de l’état-major national FFI et datent du 25 mars 1944 : « brassard d’étoffe blanche portant au centre une croix de Lorraine » . L'EMN-FFI reprend alors les préconisations d'Alger adressées aux délégués civils et militaires quelques jours plus tôt.

L’impression de la croix de Lorraine sur les brassards fait l’objet de nombreuses discussions, qu’on peut relier à la volonté d’autonomie politique de certaines tendances de la Résistance vis-à-vis du Gouvernement provisoire dirigé par de Gaulle. Dans sa séance du 10 juillet 1944, le COMAC prescrit « que le signe distinctif des FFI sera fait d’un brassard tricolore portant sur la couleur blanche les trois lettres FFI côte à côte » . De même, le 14 juillet 1944, le comité militaire national des FTP prescrit de respecter les normes du brassard FFI défini par le COMAC. Le communiqué publié dans France d'Abord le 24 juillet 1944 précise en outre que "toute autre indication en surcharge est interdite".

Des industriels mettent leurs entreprises à la disposition de la Résistance pour confectionner les brassards. Ainsi, Roger Zoller, chef d’état-major des FFI de Seine-et-Oise Sud et administrateur d’une manufacture de confection, utilise ses propres machines pour confectionner clandestinement 60.000 brassards FFI. A Epernay (Marne), un ingénieur, Henri Rondeaux, conçoit une machine pour imprimer les brassards. Dans le Rhône, à Tarare, ce sont 8.000 brassards qui sont confectionnés par une entreprise locale, fin mai 1944, à destination des maquisards du Mont-Mouchet.

A ces brassards FFI, il faut ajouter ceux des résistants « civils » relevant des CDL, CLL ou du CPL et qui semblent avoir surtout servi dans les premiers temps de l’après-libération, pendant la phase d’installation des pouvoirs locaux résistants. Ces derniers sont le plus souvent rapidement confectionnés à partir de rubans d’inauguration ou d’écharpes d’élus. Après la Libération apparaissent les brassards commémoratifs parfois difficiles à différencier des brassards FFI.

Même si de nombreux FFI ont été exécutés malgré le port de leur brassard, ceux-ci ont sûrement beaucoup fait pour le moral des maquisards les plus éloignés du front, en leur donnant le sentiment d'appartenir bel et bien à la force expéditionnaire alliée. 


Fabrice Bourrée

Sources :
AN 3AG2/457, note du War Office, 5 novembre 1943 
AN 3AG2/457, note du commandant Lejeune, chef du Bloc Opérationnel du BCRA de Londres, 22 avril 1944 
"Instructions générales sur l'organisation des FFI", 25 mars 1944, archives privées Jean Louis Rolland
PV de la réunion du COMAC du 10 juillet 1944, AN 72 AJ 2306 (fonds Jean de Vogüe)