Les symboles unificateurs: projet de monument aux libérateurs de Paris

Légende :

Maquette du projet de monument "A la gloire des Libérateurs de Paris", 1946.

Type : Maquette

Producteur : Cliché Denis Gliksmann

Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés

Détails techniques :

Maquette en plâtre. Hauteur totale 101,5 cm, longueur 47,5 cm, largeur 21,5 cm.

Date document : 1946

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

La libération de Paris a fait l’objet d’un projet de monument dès juin 1945. Un Comité du monument parisien A la gloire des Libérateurs de Paris a été lancé sur l’initiative d’une association intitulée « Les Amis et Artisans de la Libération de Paris ». La direction de ce comité associait d’anciens résistants du Mouvement de Libération nationale devenus députés à l’Assemblée constituante et/ou directeurs de journaux (Antoine Avinin, de Franc-Tireur, Jean-Daniel Jurgensen et Robert Salmon, de Défense de la France) ainsi que le général Dio, qui venait de succéder au général Leclerc comme commandant la 2e Division blindée. Cette initiative, qui se plaçait explicitement « sous le patronage du Conseil municipal de Paris et de la 2e DB » n’a pas abouti pour des raisons qui restent à étudier.

Il en reste la maquette de ce monument qui, à elle seule, montre quel était le cahier des charges donné au sculpteur. Il s’agissait de montrer la complémentarité des deux types de combattants ayant œuvré pour la libération de la capitale : les résistants unis dans les Forces Françaises de l’Intérieur, insurgés depuis le 19 août 1944 mais impuissants à réduire les points d’appui allemands, et la 2e DB dont l’intervention fut décisive le 25 août 1944 avec ses blindés et ses armes lourdes.

Cette maquette est intéressante par les options du sculpteur, qui se démarquent vigoureusement de toute représentation d’un combat triomphant. La libération des deux personnages (concrétisée par des chaînes défaites) associe l’image du relèvement (la femme debout) et de la souffrance (l’homme allongé).

Vu de loin, le monument est conçu pour rappeler une double référence militaire : la femme évoque par sa position en proue du monument et son attitude la déesse grecque de la Victoire (cf. la Victoire de Samothrace, fameuse statue conservée au Louvre) et l’homme nu rappelle la figuration "à l'antique" des soldats morts sur certains monuments de 14-18.

Mais de près, ce sont d’autres références qui l’emportent : la résistance des civils pour l’homme nu (dont le bras droit tient la seule arme représentée sur le monument : un pistolet) et la France, pour la femme : sa poitrine à moitié nue rappelle le tableau de Delacroix La Liberté guidant le peuple, mais l'absence du bonnet phrygien lui ôte son aspect révolutionnaire. L'artiste semble plutôt s'être inspiré des variantes les plus "pacifiques" des représentations philatéliques antérieures de la République.

L'absence des mains de la femme est énigmatique, mais le geste symétrique des bras vers l'arrière invite à une hypothèse sur la partie manquante: les mains ne devaient-elles par soulever en un geste libérateur des chaînes, celles dont on ne voit aujourd'hui que les bouts intégrés au reste du monument ?  Et ce d'autant qu'il n'y a pas une chaîne mais deux, bien distinctes de part et d'autre de la statue féminine.

Au Musée de la Résistance nationale existe une maquette plus grande de la partie supérieure du monument (sans le socle) qui est une variante: l'homme allongé tient une grenade, la chaîne est continue de part et d'autre de la figure féminine, les coiffures et les visages sont plus affinés, mais l'attitude générale des deux statues est la même.

Ce projet illustre en tout cas de façon saisissante un aspect fondamental de la mémoire de la Résistance: elle privilégiera après la guerre et pendant longtemps la Résistance de 1944, celle des combattants armés de la Libération, comme symbole de la participation de la population française elle-même à sa libération. Cependant, même lorsqu'ils sont célébrés comme combattants, les résistants sont moins représentés en vainqueurs glorieux qu'en volontaires prêts au sacrifice suprême : souffrances, torture et mort. Dans le cas de l'insurrection parisienne, cette mémoire correspond à la réalité: si la victoire militaire est venue des blindés de la 2e DB, ce sont bien les FFI et la population civile qui ont versé l'impôt du sang le plus lourd.


Bruno Leroux

Source: correspondance du Comité du monument parisien "A la gloire des libérateurs de Paris", Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne)